Après avoir réalisé trois courts métrages qui ont fait le tour des festivals, le jeune réalisateur et scénariste belge Hans Van Nuffel donne enfin vie à son premier long-métrage. « Donner vie », c'est le mot puisque ce film qui sort le 12 octobre, Oxygène, est une ode à la vie sur la maladie, l'espoir, le temps, et la mort. Oxygène ne vous donne ni trop, ni moins d'air, juste ce qu'il faut pour tenir et souffler. C'est en effet l'histoire de Tom, atteint de mucoviscidose. Il se bat contre cette maladie et ce lieu froid qu'est l'hôpital en se révoltant contre ses proches et en rencontrant de nouvelles personnes qui vont lui faire découvrir des sentiments nouveaux... Victimes ? Pas du tout, les personnages et surtout Tom ne sont que des malades combattants et plein de vie. On retiendra d'ailleurs la citation de Tom reprise de Star Wars : « Lève-toi, Lord Vador! ». Mesdames et Messieurs, ne retenez pas votre souffle trop longtemps car Hans Van Nuffel et l'interprète de Tom, Stef Aerts, vont peut-être nous le couper...
le réalisateur Hans Van Nuffel
Allociné : En voyant "Oxygène", on se dit que vous avez réussi à éviter de tomber dans le cliché mélodramatique... Comment avez-vous fait ?
Hans Van Nuffel: C'est vrai. J'ai vraiment réfléchi et fait attention, pendant l'écriture et surtout pendant le tournage, à instaurer une sorte d'équilibre entre les moments assez frappants et sensibles, et les moments plein d'énergie et aussi d'espoir. J'ai voulu, sans interrompre cette pression omniprésente de la maladie, glisser des moments plus légers, plus énergiques et tout aussi cohérents avec l'histoire et les personnages. Ce qui fait un film, ce n'est pas seulement ce qu'on voit en avant-plan, ni le thème principal, c'est tout ce qui entoure et colore, puis l'harmonie est là. Le cliché empêche tout cela, car il ne fait rien exister, il contredit toute harmonie, sauf lorsque c'est assumé d'un point de vue surprenant.
Du point de vue du spectateur, le malaise est souvent présent pendant le film avec des images froides, très souvent en intérieur, à proximité des machines d'hôpital, et en plus vous ne donnez pas d'explication, vous nous laissez presque sur notre souffle j'ai envie de dire.
H.V.N : (rires) Ne pas donner de réponse c'est peut-être mieux que de donner une mauvaise réponse, je crois. En fait, le spectateur est plus intéressé et plus investi lorsqu'on ne lui donne pas de réponse.
Stef Aerts : Le plus intéressant dans le film, c'est que le spectateur est placé dans la même situation que Tom. Le point de vue n'est pas traité radicalement de manière subjective mais il y a un peu de cela. On est proche des personnages, et de leur maladie.
H.V.N : Beaucoup de films, aujourd'hui, se contentent de répondre à des questions auxquelles le public ne s'intéresse pas nécessairement. Le plus important pour moi, c'est que le film pose les bonnes questions, ou la bonne question, mais la réponse appartient au spectateur.
Et quelle serait cette bonne question ?
H.V.N : (réfléchit puis sourit) : Ca peut faire cliché et ça l'est lorsqu'on le dit, mais quand on le pense... : Est-ce que ma vie vaut la peine d'être vécue ? C'est une question qu'on peut se poser en voyant Oxygène et si on comprend le personnage de Tom. Ce sont tous des personnages tiraillés, entre la vie et la maladie, avec cette épée de Damoclès au-dessus de leur tête. J'ai voulu supposer que, malgré cela, cette vie vaut la peine d'être vécue. Tout ce qu'ils font ne finit pas dans le néant, mais a au contraire des conséquences immédiates. Ils ne sont sûrement pas là pour longtemps mais ils sont là, maintenant.
S.A.: Le problème de Tom, c'est qu'il est tellement obsédé par le temps qu'il reste qu'il en oublie la qualité. Il pense de façon quantitative au lieu de vivre et de profiter du présent. Pour savoir si la vie vaut la peine, il faut d'abord la vivre, être à deux doigts de la perdre... C'est une fois qu'on vous dit que vous êtes malade et que vous allez mourir que vous vous en rend ezcompte. Mais heureusement il n'y a pas que ça dans le film, il y a aussi de l'espoir, des découvertes...
Concrètement que vouliez-vous raconter ?
H.V.N : L'histoire d'un combat qui a peu ou pas d'issue. Une lutte humaine face à quelque chose de pas si matériel, la maladie, qu'on ne peut pas aller attraper pour lui casser la gueule ! Parler de la résistance de quelqu'un face à une menace provoque forcément plus d'intensité, la personnalité se fortifie. La mise en scène de cette maladie, je l'ai comprise parce que j'en suis atteint mais sous une forme bénigne. Ce n'est pas un film sur moi ni sur ma vie, je vous l'assure, c'est une histoire proche de moi et des gens qui m'entourent. Les personnages incarnent des états-d'esprit qui m'ont traversé, c'est ce qui m'a permis de les écrire et de les mettre en scène.
S.A.: Ce qui m'a frappé dans le personnage de Tom, c'est ce côté à la fois excitant, fort, mais aussi tellement fragile. Il ne tient à rien, ce qu'il veut c'est seulement économiser le temps.
Comment avez-vous choisi vos comédiens ?
H.V.N : Le casting a été très long, surtout pour le personnage de Tom. C'est d'abord lui que je devais trouver pour ensuite construire les autres personnages. Je cherchais des jeunes comédiens avec une intensité songeuse et mélancolique, un peu à la James Dean. Une fois que j'avais trouvé Stef, il fallait que le personnage d'Eline soit un contrepoids par rapport à lui, en étant plus coriace, plus brillante, afin de pouvoir réveiller des choses en lui. L'harmonie et le dynamisme sont importants entre les acteurs car c'est un ensemble d'acteurs qui fait le film !
S.A.: Anemone Valcke, la comédienne qui joue Eline, est à l'opposé de ce à quoi je m'attendais en lisant le scénario. Lorsque j'étais aux auditions pour donner la réplique aux filles castées, Anemone m'est apparue vraiment surprenante et je pense que c'est pour cette raison que ça a marché. La surprise marche souvent au cinéma. Elle était totalement différente des autres, drôle et plus grande, elle créé le décalage inattendu dans un couple. J'ai moins senti cette différence sur le tournage car on était très proches, mais on voit à l'écran cette différence qui donne un ton léger et drôle, et qui crée également cette attirance entre les deux personnages.
Comment avez-vous préparé le tournage concernant la direction des acteurs ?
H.V.N : Il y a eu beaucoup de répétitions en amont pour trouver le sous-texte et les degrés de jeu entre les comédiens, et peu d'improvisation durant le tournage. Je pense que souvent il faut jouer quelque chose pour dire autre chose, ce sous-texte illustre un autre sentiment qui grandit dans la scène. Nous avons fait peu de prises car les comédiens et l'équipe savaient ce qu'il fallait faire et le temps nous était compté. Les répétitions nous ont permis de prendre le temps qu'on voulait sans aucune pression.
S.A.: Au début du tournage, ce travail qu'on avait fourni depuis des semaines se concrétisait. J'avoue avoir eu peur car c'était la première fois que je tenais le premier rôle et que j'étais présent sur le plateau tous les jours. Quand tu as un petit rôle, tu peux te diriger tout seul parce que le réalisateur s'occupe des comédiens principaux, et là, je me retrouvais à la première place.
H.V.N : Après plusieurs jours de tournage, Stef est venu me dire : « Hans, tu me diriges pas assez... » Et c'est vrai que je n'étais pas assez dirigiste, mais en fait c'est parce que je n'avais rien à lui dire, il avait compris le personnage. Avec ce tournage, j'ai compris que c'était essentiellement une question de concentration. Et quand les acteurs sont dévoués et généreux, le travail est plus facile, et les scènes se mettent à vivre.
Cela n'a-t-il pas été éprouvant de jouer un personnage malade pendant un mois ?
S.A.: Pas éprouvant, mais très difficile au début. On se demande ce qu'est la peau d'un malade, comment jouer un malade... En fait, ca ne sert à rien de se poser ces questions, il suffit de comprendre l'essentiel du scénario et l'enjeu, et c'est parti ! Mais je suis curieux d'expériences et de rôles : j'ai joué un petit rôle de révolutionnaire et c'était très différent mais tout aussi plaisant. Passer d'un rôle fort et faible à là fois à un rebelle, au cinéma ou au théâtre, c'est très enrichissant et ça vous fait réfléchir sur votre propre personnalité.
Pouvez-vous me parler de la séquence à la mer qui nous sort complétement de l'hôpital et qui fait vraiment du bien ?
H.V.N : C'était le tout début du tournage, à Ostende. C'était assez difficile de s'y mettre parce que c'était le début et parce qu'il faisait très froid. Mais on savait qu'après on passerait le reste du tournage enfermés dans un hôpital donc on en a profité un maximum. J'ai toujours aimé voir la mer au cinéma, que ce soit dans Le Grand bleu ou La Vie aquatique. Dans Oxygène, la mer et la plage incarnent une échappatoire pour les personnages, un lieu où on peut courir loin. J'avais prévu dans le scénario qu'il fasse très beau, mais l'effet opposé a aussi bien marché.
S.A.: Pareil pour la scène sur le banc avec ma mère et mon frère : Hans avait prévu une scène idyllique avec un très beau temps dans le parc de l'hôpital, alors qu'il s'est mis à neigé, le lac était gelé, ça a donné un aussi beau résultat. Le peu de fois où l'on tournait en extérieur, le temps était merdique, mais ça a beaucoup servi le film pour justifier peut-être que la vie de ces personnages était aussi foutue, autant que le temps...
Le téléphone joue un rôle important dans "Oxygène", surtout entre Tom et Eline...
H.V.N : Pour moi le téléphone est une déformation de la réalité, il diminue tout contact physique. Seule la voix est concrète et le reste on l'imagine. Il permet aussi de créer une relation avec quelqu'un de malade, Eline. Tom veut toujours ce qu'il ne peut pas avoir, et le téléphone témoigne de cette distance.
S.A.: D'ailleurs, pour tourner les scènes au téléphone, j'appelais vraiment Anemone Valcke qui n'était pas sur le tournage mais en cours puisqu'elle était en période d'examens. Elle me répondait dans les toilettes de son école pendant les prises.
Quelles ont été vos inspirations ?
H.V.N : J'aime beaucoup les films de Ridley Scott, sa mise en scène des différents « sous-textes ». Il donne beaucoup d'importance à la lumière, à la texture des éléments, ses espaces sont souvent homogènes. Jacques Audiard aussi, c'est magnifique, l'espace est limité mais on peut s'échapper quelques secondes : dans Un prophète, à chaque fois que le personnage sort, il est encore enfermé. Cette forme de claustration et cette pression constante m'ont beaucoup inspiré.
Oxygène vous a-t-il apporté une forme de satisfaction, est-ce un accomplissement ?
H.V.N : C'était une superbe expérience. Mais ce n'est jamais parfait bien sûr, c'est toujours après qu'on se dit « merde, j'aurais du le tourner comme ça... ». Ce sentiment est toujours présent. La seule force qu'on a en tant que réalisateur, c'est de toujours tout questionner, ses idées, ses comédiens, ses financeurs, son équipe technique, soi-même. La remise en question est à la fois une force et un générateur de doutes, mais tout cela te garde vif. Être trop sûr de soi peut encourager à se casser la gueule rapidement. Par exemple, le premier volet de Matrix est vraiment génial et a connu un succès très rapidement, mais les deux volets suivants étaient trop sûrs d'eux, donc mauvais, c'est l'argent qui a fait les films, et non l'inspiration.
Le film est déjà sorti en Belgique côté flamand, cette sortie vous a-t-elle surpris, malgré le peu de copies ?
H.V.N : Pour un film à petit budget, oui. J'ai eu de bons retours, ça à marché grâce au bouche-à-oreille. J'avais peur que les gens ne viennent pas à cause de la thématique. J'ai eu beaucoup de chance aussi en recevant des récompenses qui m'ont donné envie de continuer ce métier que je commence à peine.
Etes-vous déjà sur un deuxième projet ?
H.V.N : Oui, en pleine écriture d'un film différent, avec une autre équipe, un autre thème : la période post-coloniale au Congo. Je pense que c'est important de ne pas se répéter, surtout au début d'une carrière, j'ai d'autres thèmes à découvrir. Vers 50-60 ans, je pense qu'on s'installe pas mal sur un thème particulier, comme Philippe Garrel ou Manoel de Oliveira... Mais quand on à mon âge, c'est important de découvrir des choses sur soi-même et sur la vie.
Quelles autres pistes pourriez-vous explorer plus tard ?
H.V.N : Peut-être un film de science-fiction, quelque chose de révolutionnaire, d'atemporel, à la Blade Runner ! Ou à la Star Wars ! Le film d'aventures m'intéresse également, c'est assez intimidant de créer un film dans un univers pas réel, mais ça me donne envie. En tout cas pas dans un futur proche parce que ça coute très cher !
Propos recueillis par Yoni Nahum, le 27 septembre 2011 à Paris.
La bande-annonce d'Oxygène