Artiste peintre, telle était la vocation d'Andy Serkis durant sa jeunesse. Né au sein d’une famille nombreuse, il grandit dans l'ouest de Londres. Et bien que ses parents tentent de le dissuader d’être artiste, il ne cède pas. Inscrit dans des lycées et universités réputés de Grande Bretagne, il étudie l’histoire de l’art, le design et le dessin. Lors de sa première année de fac à Lancaster, il ne choisit d’étudier le théâtre que pour son amour des affiches. Mais lorsqu’à la fin de l’année, on lui demande de jouer le rôle d’un adolescent preneur d’otages dans la pièce Gotcha, il accepte. Cet événement fait office de déclic, ou comme il le dit souvent d’"epiphanie". Il décide alors de changer de cursus et d’étudier le théâtre. A partir de ce moment, la comédie sera sa nouvelle passion.
Volte-face
Après cette décision, l’acteur se distingue au théâtre au sein des compagnies Dukes et Nuffield Studio, avant de rejoindre diverses formations telles Paines Plough, Hull Truck, Lyric Hammersmith ou la Royal Exchange Manchester, où il rencontre sa future femme, l'actrice Lorraine Ashbourn. Il y joue, entre autres, des textes de William Shakespeare, Christopher Marlowe ou Ronald Harwood. Il s'installe ensuite dans le centre de Londres et parallèlement à sa carrière sur les planches, fait ses débuts sur le petit écran en apparaissant dans de nombreuses séries télévisées, notamment Finney signée David Hayman. C'est justement ce dernier qui lui offre son premier rôle au cinéma, en 1995, dans le thriller The Near Room, puis il tourne la même année Le Prince de Jutland, adaptation du mythe de Hamlet, aux côtés entre autres de Christian Bale et Gabriel Byrne. Enchaînant sur des projets plus ou moins connus (De la part de Stella, Mojo, Les Géants, Shiner, 24 Hour Party People), Andy Serkis s'illustre également dans deux films de Mike Leigh : Deux filles d'aujourd'hui (1997) et Topsy-Turvy (1999) dans lequel il campe un surprenant chorégraphe et prouve une nouvelle fois sa polyvalence. De ces années-là, Andy Serkis ne retient que le positif : "Il y a eu des moments difficiles. Je cherchais juste à travailler, à faire mes preuves. Je ne voulais pas être une célébrité donc cela me convenait."
Une rencontre précieuse
A la fin des années 1990, Andy Serkis fait une rencontre qui va changer sa vie en la personne de Peter Jackson. Le réalisateur néo-zélandais prépare l'adaptation du Seigneur des anneaux et va lui proposer un rôle particulier, celui de Gollum, un hobbit légèrement fou et obsédé par l’anneau. Le personnage emprunte la gestuelle, la voix et les expressions faciales de l’acteur, qui interprète le rôle grâce à une combinaison munie de capteurs-récepteurs. Sans jamais apparaître à l'écran (sauf lors d'une courte scène illustrant le passé de Hobbit de la créature dans Le Seigneur des anneaux : le retour du roi), l'acteur livre une performance impressionnante. Le personnage devient culte et l’expression "mon précieux" est popularisée. Les spectateurs ne semblent pas tous savoir qui se cache derrière Golum, mais les professionnels n'ont d'yeux que pour sa performance allant même jusqu’à militer pour qu’il soit cité à l’Oscar du meilleur second rôle. Et même s’il n’obtient pas de nomination, l’aventure lui aura permis de rencontrer Peter Jackson, qu’il définit comme son "mentor et ami". Fidèle au réalisateur, il collabore de nouveau avec lui pour le remake de King Kong. Il interprète deux rôles, celui d'un marin et celui du gorille. Pour préparer ce dernier, qui une nouvelle fois le verra enfiler sa combinaison de performance capture, il part en Afrique étudier des singes et regarde un nombre de fois conséquent le premier film. Andy Serkis est un travailleur acharné et soigne sa préparation. Le rôle demande un physique imposant, du coup, il passe de nombreuses heures à la salle de gym. Au final, le film divise. Certains aiment l’aspect technique, d'autres critiquent la longueur du film (3h), mais personne ne trouve à redire sur la performance phénoménale d’Andy Serkis, qui a laissé quelques séquelles : "J'ai tendance à me fondre dans mon personnage. Après le tournage, quand je jouais avec mes enfants, je marchais à quatre pattes et faisais des cris de singes. Ce n'était pas vraiment préméditer."
La découverte d'un visage
Après King Kong, Andy Serkis décide de montrer ses cheveux hirsutes et son visage arrondi un peu plus souvent. Il enchaîne donc les tournages en tout genre, passant du cinéma (Extraordinary Rendition, Le Prestige, Alex Rider : Stormbreaker, Bienvenue au cottage) à la télévision (Little Dorrit, Accused, Einstein and Eddington, Longford) avec aisance. Durant cette période, il se distingue en particulier dans Sex & Drugs & Rock & Roll, un biopic malheureusement inédit dans les salles françaises. Il y interprète Ian Dury, un chanteur de New Wave décédé en 2010, qui connaissait de grandes difficultés motrices à cause de la polio qu'il avait contractée enfant. Sa prestation lui vaut des critiques élogieuses et lui apporte une citation au BAFTA 2010 du Meilleur acteur, en compagnie de George Clooney, Jeff Bridges, Jeremy Renner et Colin Firth. Modeste, l'acteur ne retient pas les éloges : "J’ai fait ça pour sa famille et pour son groupe. Il avait la polio et il a remis en cause la société avec une telle énergie et une telle passion. Il ne voulait pas la célébrité, il l’a mal vécu et il était 10 ans trop vieux pour être une star. C’était un homme très fort. Le jouer était une expérience unique, une vraie fierté.”
En route vers l’Oscar ?
D'un naturel assez discret, Andy Serkis apprécie l'anonymat, mais l'année 2011 pourrait bien tout changer. Après une appariation remarquée dans le policier Brighton Rock, il est dirigé par l'un des maîtres de la comédie, John Landis (Le Loup-garou de Londres, Le Flic de Beverly Hills 3, The Blues Brothers) dans Cadavres à la Pelle, une comédie macabre où il côtoie Simon Pegg. Mais c'est sa prestation dans La Planète des singes : les origines qui fait le plus de bruit. En revêtant une nouvelle fois son costume de performance capture, il interprète César, un chimpanzé doué d'une intelligence humaine qu'il met au service d'une révolution planétaire. Sa prestation à la fois émouvante et terrifiante émerveille critique et public, et participe au succès inattendu du film. Dès lors, une question est sur toutes les lèvres à Hollywood : Andy Serkis sera-t-il le premier acteur utilisant la performance capture à être nommé à l’Oscar du Meilleur acteur ? L'Académie des Oscars sera-t-elle moins conservatrice qu'à l'époque du Seigneur des anneaux ? Réponse en janvier 2012. Mais récompense ou pas, Andy Serkis aura marqué les esprits, et c'est tout ce qui compte pour l’acteur : "Peu importe les prix, l’essentiel c’est de jouer et de faire plaisir aux spectateurs. Je pense que ce procédé permet d'élargir les horizons et de repousser les limites. Tant mieux si on reconnaît enfin que derrière les images de synthèse se cache un acteur. Sinon, il restera toujours l'enthousiasme du public." Après César, Andy Serkis prêtera ses traits au capitaine Haddock dans le très attendu Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne de Steven Spielberg et sa suite, Tintin et le Temple du soleil de Peter Jackson. Et comme on ne change pas une équipe qui gagne, il retrouvera ce dernier pour la quatrième fois à l'occasion du dyptique Bilbo le hobbit où il reprendra son rôle de Gollum et fera office d’assistant réalisateur, un "vrai cadeau" selon l'acteur : "Peter a conscience que les gens évoluent, et qu'ils veulent tenter de choses nouvelles dans ce milieu. Il accorde énormément de confiance et fait vraiment ressortir le meilleur de ce avec qui il travaille. Je suis content de travailler à ses côtés."
Tous ces rôles vont une nouvelle fois faire d'Andy Serkis un acteur invisible mais il ne se formalise pas. Fier de cette technologie, il a même créé son propre studio, "The Imaginarium", qui propose ses services au cinéma et aux jeux vidéo, et produit du matériel permettant aux comédiens d'explorer de nouvelles applications de performance capture, puisque selon lui, entre performance capture et performance live, il n'y pas de différence : "Pour moi, le jeu d'acteur est le même. La préparation, le travail avec le réalisateur et les acteurs sont identiques. Le processus de manière générale est le même, sauf qu'il n'y a pas de costumes ou de maquillage. Quand je regarde dans les yeux des acteurs, je vois que l'on joue la même scène." Au vu de ses performances, les possibilités de l'acteur semblent infinies, et ce n'est pas Rupert Wyatt, le réalisateur de La Planète des singes : les origines, qui nous contredira : "C'est un peu le Charlie Chaplin notre génération. C'est le seul acteur capable de raconter une histoire avec un minimum de mots. Il est l'essence même du cinéma actuel et futur."
Sophie Serbini