A l'origine, ce dictionnaire devait être publié en annexe de la revue "Cinérotica"... Et finalement, il vient en remplacement de ce magazine... Pourquoi ?
Cinérotica est une histoire ancienne, une tentative de presse certainement audacieuse, un pari intenable faute de grands moyens et de la difficulté à être bien placé dans les rayons des maisons de la presse. Une revue historique sur le cinéma érotique et porno français, cela en a décontenancé plus d’un. Il fallait être disponible en rayon cinéma, et on se retrouvait au rayon cul ! Mais attention, le Dictionnaire des films français pornographiques & érotiques 16 et 35 mm ne vient pas remplacer cette aventure éphémère. Vous ne retrouverez pas dedans les dossiers thématiques que nous proposions sur 32 pages illustrées. Le dictionnaire, c’est… le dictionnaire des films, d’A bout de sexe à Zob, zob, zob, qui était inclus dans la revue Cinérotica, encarté au milieu. J’ajoute que, depuis, la maquette du dictionnaire a évolué vers une présentation plus agréable, un format plus large et même un contenu complètement remanié. Nous avons cru que la presse était la solution pour éditer (en fascicules mensuels) le dictionnaire. Erreur providentielle puisqu’elle a abouti à ce que le dictionnaire a toujours souhaité être : un imposant ouvrage de référence, 1226 pages reliées, en couverture cartonnée, 1,8 kg. Bref, un objet pérenne, d’une belle austérité sur un sujet qui l’est beaucoup moins.
Parlez-vous de votre équipe rédactionnelle... Comment s'est-elle constituée ?
Je suis très fier de cette équipe, 27 rédacteurs (dont quelques « guests » pour une poignée de titres spécifiques) parce qu’elle m’a soutenu pendant des années et qu’elle reflète exactement la façon dont j’avais envie de parler d’érotisme et de pornographie, en maniant l’érudition, l’analyse critique, le respect des œuvres, la passion. Je voulais une équipe éclectique, venant de tous les horizons mais avec un point commun : la passion. Parler d’érotisme, et encore plus de pornographie, n’est pas une mince affaire. J’ai souvent été confronté, dans ma quête de rédacteurs, à une incompréhension immédiate. Pour beaucoup, il semble impossible de parler d’un film porno comme de n’importe quel autre film. La pornographie résiste à leur analyse ou les effraie. S’enclenche alors un curieux et détestable mécanisme de protection au détriment systématique de l’œuvre commentée. Ironie, jeux de mots n’ont plus qu’un objectif : mettre en valeur son rédacteur qui tient à dire haut et fort qu’il vaut mieux que l’objet dont il parle. S’il peut y avoir de l’ironie, elle n’est jamais autocélébration. Le second degré, condescendant, est exclu. Nous nous sommes tous mis au service des œuvres. J’ai interdit les plaisanteries faciles, je n’ai pas non plus voulu un descriptif chiffré des pratiques sexuelles des films pornos, comme c’est l’usage au dos de certaines jaquettes. 2 double-pénétrations, 6 éjacs faciales, 14 fellations et 4 cunnilingus… Et alors, le film dans tout ça, il est intéressant ou pas ? Aurait-on idée de parler d’un polar en mentionnant 4 meurtres, 2 effractions, 6 baffes, etc. ? Nous parlons de cinéma, non d’une pipe ! Les lecteurs découvriront de nouvelles plumes, jeunes critiques férus de cinéma « de genres », quelques critiques pionniers en matière de pornographie comme Alain Minard et Britt Nini, un ancien de Starfix passé à la production (François Cognard), des cinéastes comme Dominique Forma, un pilier de Mad Movies (Gilles Esposito) ou de Brazil (Frédéric Thibaut), le programmateur de la Cinémathèque (Jean-François Rauger), des historiens spécialisés dans le cinéma français (Armel de Lorme et Italo Manzi), l’exégète incontournable de José Bénazéraf (Herbert P. Mathese) un connaisseur éclairé des comédies navrantes (Grégory Alexandre), Hervé Joseph Lebrun, auteur d’un documentaire sur le porno gay des Seventies et meilleur historien de ce sujet… Sur le site de Serious Publishing, vous trouverez toute l’équipe, constituée au fil des années, depuis 1999.
Cela a dû vous demander un travail colossal de recherches... Comment êtes-vous parvenus à collecter autant d'informations sur un genre aussi "pointu" ?
La recherche nécessite toujours beaucoup de temps, d’énergie et de ténacité. La question ne devrait même pas se poser, car cela me semble évident, tous ces efforts. Mais c’est vrai qu’il est de plus en plus rare aujourd’hui de découvrir un livre de cinéma qui soit le résultat du temps, de l’énergie, de la ténacité et d’un travail acharné. Avec Internet, on oublie le sens et la nature de la recherche. Il faut mener des enquêtes auprès des gens du cinéma, trouver de la documentation, fouiller dans les archives, avoir accès à des collections de films, solliciter l’aide des Cinémathèques. Et on découvre alors, pendant dix ans, que le cinéma français érotico-porno est une longue histoire pleine de rebondissements, passionnantes, avec des auteurs, des courants, des genres et des films singuliers.
L'érotisme et la pornographie à la française de demain, c'est quoi ?
C’est Internet, non ? Le retour du format court, en vidéo. Une pornographie hyper-sectorisée. Alors, pouvons-nous rêver aussi à une pornographie qui retrouverait un peu de l’innocence – et de la transgression – de celle des années 1970-80, quand un porno disons « hétéro » pouvait contenir des scènes homos entre hommes, des physiques très différents, non stéréotypés, des âges différents. Mais s’il faut envisager un avenir cinématographique au porno, en dehors des niches internet, il faudra d’abord obtenir l’abolition de la loi X, laquelle existe toujours, peut toujours sévir et qui est la cause majeure de la disparition du cinéma porno en salle. La pornographie doit reconquérir les salles de cinéma, c’est là – et non sur les écrans de téléphones ou d’ordinateurs – qu’elle s’épanouit le mieux : des sexes gigantesques sur grand écran, dans l’obscurité, quelle émotion troublante.
Propos recueillis par G.M.
Le Dictionnaire des films français pornographiques & érotiques 16 et 35 mm, collectif (sous la direction de Christophe Bier), Serious Publishing, cartonné relié, 1226 pp. 18,5 x 24,5 cm, 89 €. Disponible ici (avec la liste des points de vente)