Allociné : Avant de devenir écrivain vous étiez avocat. Qu’est ce qui vous a donné envie de passer à l'écriture ?
Jens Lapidus : Tout d’abord, je tiens à préciser que je suis toujours avocat. En fait c’est mon métier à plein temps, être écrivain est un travail à temps partiel pour moi. En réalité je n’ai jamais décidé de devenir écrivain, mais j ‘ai commencé à écrire comme un exutoire. Plus j’avais de grosses affaires à plaider plus je ressentais ce besoin. En tant qu’avocat j’ai rencontré tellement de gens, entendu tellement d’histoires que je commençais à saturer. J’ai ressenti un gros besoin d’écrire sur ces gens et sur ce monde et c’est ce que j’ai fait. Au départ je ne voulais vraiment pas écrire un livre, mais au fur et à mesure je me suis aperçu que ça allait dans cette direction. J’ai donc continué à écrire en étant conscient que ça allait devenir un livre. Mais au départ, j’ai commencé à écrire pour me défaire de toute cette pression que je ressentais, un peu comme une thérapie. Mais je ne me suis jamais dit « Je vais écrire un livre ».
C’était un peu comme un journal intime…
Exactement ! Il se passait des choses pendant les procès et quand je rentrais le soir j’écrivais ce qui s’était passé. Dans Stockholm Noir. L’argent facile, je me suis inspiré d’affaires sur lesquelles j’ai travaillé mais je ne pouvais pas décrire les affaires exactes parce qu’en tant qu’avocat je suis tenu au secret professionnel, de ce fait je me suis inspiré de mes affaires mais jamais je n’ai décrit les véritables histoires. Ce qui est paradoxale c’est que, plus je suis impliqué dans une affaire, plus je sais de choses sur les crimes commis, moins je peux écrire dessus parce que plus je travaille sur une affaire plus je suis tenu au secret.
Votre livre a été un best-seller quand on vous a proposé de l’adapter au cinéma, avez-vous accepté tout de suite ?
La société de production m’a contacté alors que mon livre n’était pas encore un best-seller. Il se vendait bien mais c’est tout. J’ai été approché par différentes sociétés de production qui m’ont proposé d’adapter mon livre en film, série ou encore téléfilm. Ce qui m’a poussé à choisir cette société de production plutôt qu’une autre, est le fait que le producteur et moi parlions le même langage. Nous avons discuté à plusieurs reprises et je me suis rendu compte qu’on avait les mêmes références, les mêmes gouts en littérature,… De ce fait je me suis dit que je pouvais lui faire confiance et qu’entre ses mains, mon histoire ne serait pas complètement transformée.
Qu’est ce que ça fait de voir ses héros prendre vie sur grand écran ?
C’est effrayant ! Quand on m’a proposé d’adapter mon livre, j’avais peur qu’on fasse de mes personnages des pseudos gangsters américains ridicules, avec des styles vestimentaires complètement idiots et qu’ils perdent toute crédibilité. De nombreux thriller sont mis en scène mais je trouve qu’il y en a peu de crédible au final. Mais quand j’ai vu Easy Money j’ai été grandement rassuré. Les acteurs sont formidables et vraiment crédibles, ce ne sont pas des caricatures de gangsters.
Quand vous voyez ces acteurs à l’écran vous vous dites que vous pouvez très bien les croiser dans les rues et c’est grâce à ça que le film fonctionne. Daniel Espinosa, le réalisateur, a gardé l’esprit du livre et des personnages, bien que le film soit une adaptation libre de mon roman. Easy Money est basé sur mon livre mais n’en est pas sa retranscription exacte sur grand écran. J’ai travaillé un peu avec les scénaristes pour voir si la direction qu’ils prenaient me convenait mais honnêtement c’était plus des discussions à propos d’un sujet qui nous intéressait que du travail. J’ai lu le scénario et on en a parlé. C’était une collaboration intéressante qui m’a beaucoup appris sur l’écriture de scénario, et j’ai appris beaucoup sur ce que les gens pensent des personnages de mon livre. C’était enrichissant…
Le personnage de JW est très touchant, il se lance dans le milieu juste pour pouvoir avoir le même train de vie que ses amis d’école. Il fait parti du milieu sans vraiment prendre part au trafic, il est assez complexe. Comment avez-vous travaillé l’écriture de ce personnage ?
La raison qui m’a poussée à inclure ce personnage dans mon livre est assez simple. J’ai observé un changement, ces dernières années en Suède. Auparavant, si vous aviez de l’argent vous ne le montriez pas, si vous vouliez devenir riche vous n’en parliez à personne, parce que c’était considéré comme impoli. Mais depuis ces 10 dernières années, un changement s’est opéré chez les jeunes. Désormais il n’y a rien de mal à montrer qu’on a de l’argent en dépensant des sommes extravagantes dans des bouteilles de champagne ou dans des montres en or hors de prix.
Le personnage de JW, incarné à l'écran par Joel Kinnaman, est le reflet même de cette évolution des mentalités chez les jeunes suédois. Il est très matérialiste, et tout ce qu’il fait (vendre de la drogue, faire le taxi…) est dans le but de gagner de l’argent pour faire la fête avec ses amis riches. J’ai voulu montrer ce changement dans mon livre parce que c’est à la fois excitant et répugnant.
La presse vous compare assez souvent à James Ellroy, qu’en pensez-vous ?
Je suis très flatté, d’autant plus que je suis un grand fan de James Ellroy. Je suis très inspiré par sa manière de s’exprimer, sa manière d’écrire, j’aime la façon qu’il a de mélanger la fiction à la réalité. De ce fait on ne sait jamais si les histoires qu’il écrit sont vraies ou fausses. James Ellroy est d’ailleurs ma principale source d’inspiration. Je sais qu’il a aimé mon livre, parce que dès que Stockholm Noir a été traduit en anglais, il est la première personne à laquelle je l’ai envoyé. On nous compare mais pourtant nous avons des styles bien différents. Ses personnages principaux sont souvent des policiers ou des agents du FBI, tandis que les miens sont des gangsters, ce sont donc deux manières bien différentes d’appréhender une histoire. Mais je reste très flatté de la comparaison.
« Morse », « Millenium », « Easy Money » sont autant de films suédois qui fonctionnent à l’étranger. Pensez-vous qu’un renouveau du cinéma suédois s’opère actuellement ?
Je l’espère… Jusqu’ici le cinéma danois était prédominant en Scandinavie, d’ailleurs de nombreux jeunes réalisateurs suédois, à l’image de Daniel Espinosa (réalisateur d’Easy Money), ont fait leurs études dans des écoles de cinéma danoises. J’espère que ces jeunes vont mettre en scène de bons films suédois, apporter un nouveau souffle, une nouvelle manière de raconter des histoires, de filmer,…
Bon c’est sûr qu’avec les films américains ou autres on aura déjà vu ça, mais ce sera nouveau en Suède pour le cinéma suédois. D’autant plus que ces jeunes sont plus proches de la réalité et de ce qu’est la Suède aujourd’hui…
Vos livres forment une trilogie, savez-vous s’il y aura également 3 films ?
Mon troisième livre sera publié au mois de juin en Suède. Ce livre va relier mes deux précédents ouvrages. Mon premier et mon second roman n’étaient pas vraiment connectés, mais le troisième livre va permettre de relier des éléments du 1 et du 2. J’ai également sorti un roman graphique qui peut s’intégrer à cette trilogie, on peut donc dire que c’est une trilogie et demie. Actuellement mon deuxième livre Stockholm noir. Mafia blanche est en pleine réécriture, le tournage devrait commencer au mois de septembre en Suède et je pense que les 3 livres vont être adaptés au cinéma. Mais encore une fois, ces adaptations sont assez libres, ce n’est pas la retranscription exacte de mes romans. D’ailleurs le second film va être encore moins fidèle au roman que le premier. Je pense que le troisième livre va également être adapté. Bon pour le moment il n’est pas encore sorti, ils ne m’ont rien dit à ce sujet, mais en toute logique il devrait être adapté au cinéma.
« Millenium » et « Morse » ont été racheté par les Américains qui en ont fait ou vont en faire des remakes. Savez-vous si « Easy Money » va également connaître une version américaine ?
Justement les studios Warner Bros. ont racheté les droits de remake d’Easy Money. Ils sont en train de travailler dessus, c’est Zac Efron qui va tenir le rôle de JW. Je pense qu’ils se sont intéressés au film parce que dans tous les pays c’est Avatar qui tenait la première place du Box-office, et en Suède juste derrière il y avait Easy Money, c’est pour ça qu’Hollywood a racheté les droits de remake. Ils se sont dit : « Qu’est ce qui se passe ? Qu’est ce que c’est que ce film qui colle Avatar ? » De ce fait ils se sont intéressés au film et ont décidé d’en faire un remake.
Zac Efron ? Mais le personnage de JW, brillamment interprété par Joel Kinnaman, n’est-il pas un peu trop « sombre » et complexe comparé aux films dans lesquels Zac Efron joue habituellement ?
C’est vrai que Zac Efron a l’image d’un garçon qui plait aux adolescentes et est bien éloigné du personnage de JW, mais c’est justement pour ça que Warner Bros. l’a choisi. Je pense que c’est une volonté de la part de Zac de casser cette image. Incarner un rôle aussi complexe et sérieux que le personnage de JW est un véritable challenge pour lui et c’est ce qu’il veut il me semble.
Quels sont films de gangsters préférés ?
J’aime les classiques du genre, comme Le Parrain, Scarface, Donnie Brasco… Toutes ces histoires qui sont intemporelles, qui parlent de famille, de choix,… J’apprécie également beaucoup les films de Quentin Tarantino, c’est assez violent, un peu comme mes livres. D’ailleurs certains critiques en Suède ont comparé mes livres à des scénarios parce qu’à certains moment il y a des gros plans sur des personnages comme le ferait une caméra.
Et justement maintenant que vous avez vu comment se déroulait l’écriture d’un scénario, seriez-vous intéressé pour en écrire un ?
Peut-être que je le ferai oui. Pour le moment j’ai déjà beaucoup de travail avec la sortie prochaine de mon 3ème livre mais pourquoi pas par la suite. J’ai appris beaucoup avec Easy Money et ça m’amuserai d’écrire moi-même un scénario.
Propos recueillis par Laëtitia Forhan, le 18 mars 2011 à Paris