AlloCiné : Vous avez écrit la bible et plusieurs des scénarios du dessin animé "Tara Duncan", pourquoi avoir privilégié des épisodes à intrigues fermées, alors que vous mettez l'accent sur les cliffhangers dans les livres ?
Sophie Audouin-Mamikonian : Si les épisodes de Tara Duncan n’ont pas de cliffhanger, c’est parce qu'à la télévision, il vaut mieux éviter le format feuilletonnant. Les chaînes veulent pouvoir programmer chaque épisode indépendamment les uns des autres. De plus, je trouvais intéressant que chaque histoire soit une vraie intrigue à part entière, plutôt que quelque chose à la Candy où on attend pendant 3000 ans qu’elle embrasse l’autre ! Dans chaque épisode, il se passe quelque chose et ça se termine dans l’épisode. Je me suis dit que je n’allais pas torturer les fans aussi à la télévision.
Il y a toujours eu beaucoup d’humour dans les romans, avez-vous veillé à le garder ?
Bien sûr, c’est très important ! Je pense que Tara Duncan sans l’humour, ce n’est pas Tara Duncan. C’est pour ça que mon personnage Cal n’arrête pas de dire "je suis lourd comme un pot" au lieu de dire"sourd comme un pot", et qu’il mélange toutes les expressions. Il vient d’un univers où il n’y a pas ce genre de métaphore et où les langages sont différents et c’est cela que je trouve intéressant. C'est tout le temps drôle. Ensuite certains épisodes sont plus tournés vers l'action, et d’autres plus axés sur la comédie.
Avez-vous intégré de nouveaux personnages ?
Sandra et Livia sont deux nouveaux personnages, il y a Henry de la Chasse, un non-manipulable, qui résiste à la magie. Il sait donc plus ou moins que les créatures étranges existent et ne rêve que d’une seule chose : créer un zoo où il va pouvoir avoir une espèce de collection extraordinaire de créatures étranges. Il suit Tara désespérément pour arriver à capturer une licorne, un pégase ou un truc comme ça et à chaque fois, ça se finit assez mal pour lui. C’est un peu comme le chasseur dans le Marsupilami. C’est ce type de personnage que j’adore, moi. J’adore les maladroits.
Êtes-vous contente de la réalisation du dessin animé ?
Très ! Je leur ai dit : "Ils prononcent le sort, et ils puisent la magie de tout autour d’eux, et la relance. D’accord ?". Eric Bastier, le réalisateur, a vu, dans ma description, les hiéroglyphes du sort qui tournent autour des sortceliers et le fluide qui vient de partout, et qui jaillit dans leur corps et qui repart. C’est génial, ça m’a éclaté, j’adore. La première fois que j’ai reçu le premier épisode, qui était juste dessiné, j’étais en pleurs tant j’étais contente. Je me disais "Ma fille de papier est sur l’écran, c’est trop top".
Un film est aussi en préparation et vous en écrivez l’adaptation, avez-vous terminé le scénario ?
Oui, et j’y ai mis trois ans. 500 pages à réduire en 90 ça a été l’enfer car il y a tellement de scènes incroyables dans Tara Duncan que pour arriver à les réduire en 90 minutes, c’est l’enfer, j’en dormais plus ! J’ai beaucoup souffert. Il a fallu que je réécrive des scènes. Au final, c’est un nouveau film car il y a plein de scènes qui n’existent pas dans le livre, que j’ai du récréer pour donner une unité aux milieux des coupes.
Donc le film reviendrait sur la genèse de l’histoire ?
Oui, c’est une adaptation du tome 1. Comment Tara Duncan découvre que sa mère est prisonnière sur AutreMonde, et non décédée, et décide de partir sur AutreMonde pour aller la délivrer. Et là, c’est vraiment un choix. C’est la pilule bleue et la pilule rouge de Matrix. Soit, elle laisse tomber, elle oublie et redevient une jeune fille normale, ou elle part dans un monde où elle risque de se faire tuer toutes les trente secondes. J’aime beaucoup cette idée que les héros aient le choix de rester ordinaire.
Avez-vous une idée en tête de l'actrice qui pourrait jouer le rôle de Tara ?
Je n’en ai aucune idée ! Je me suis rendue compte que, mes goûts à moi, n’ont rien à voir avec ceux des directeurs de casting. Et directeur de casting, c’est un vrai métier, que j’ai découvert. Ils vous chopent une fille dans la rue, vous avez l’impression que la fille est moche, ou qu’elle n'a aucun intérêt, qu’elle n'a rien, et ils vous la collent devant une caméra, et c’est juste une bombe et je n’ai pas cet œil là. Je vais donc laisser les directeurs de casting faire leur travail.
Il semblerait que vous ayez pas mal de points communs avec Tara Duncan, en quoi vous ressemble-t-elle ?
Alors, je fais moins de magie, j’ai effectivement jeté un sort sur mon livre si vous voulez, un charmus rigolus, ça marche vachement bien ce sort. Dès que vous l’avez lu, c’est mort, vous êtes addict. Plus sérieusement, elle est comme moi. J’étais une petite fille très solitaire. Mes parents ont divorcé quand j’avais 6 mois. J’ai donc été élevée plus par mes grands-parents que par ma mère qui était très jet-setteuse, très "je vais voir les copains sur les yachts, je m’occupe un peu moins de ma fifille". J’étais donc plutôt élevée par des nurses, et comme j’étais très solitaire du coup j’écrivais beaucoup. Je me suis inventée très vite des histoires, et un peu comme Tara parce que Tara est toute seule, elle se sent un peu rejetée par tout le monde parce qu’elle ressent qu’elle est différente. C’est vraiment une espèce de clone.
Quelles sont vos influences pour écrire "Tara Duncan" ?
J’utilise beaucoup la culture populaire. Je suis totalement fan de Stargate SG-1, NCIS, Buffy contre les vampires. Buffy, c’était juste une idole pour moi. Par exemple, la première page du tome 8, Tara chasse un vampire et dit que quand même elle trouve que Buffy est vachement avantagée par rapport à elle parce qu'elle, un coup de pieu dans le cœur et puis, c’est fini alors que Tara est obligée de les capturer. Je fais souvent des hommages et des clins d’œil, comme par exemple à Star Wars, Le Seigneur des anneaux, à tout ce qui a fait ma culture de ex-jeune femme. De plus, l’université de Lille qui a fait une thèse sur mon livre, a découvert que j’avais utilisé plus de 250 contes et légendes. Je ne le savais pas, je ne m’en étais pas rendue compte.
Vous êtes issue d’une famille d’artistes, est-ce que cela a aidé à votre vocation ?
Bien sûr, tout le monde écrit chez moi. Je suis issue d’une famille de 15 écrivains. Je suis quasiment née dans une bibliothèque. Ma grand-mère écrivait des romans d’amour, chez Flammarion, mon grand-père était directeur du Matin de Paris, mon arrière-grand-père a écrit Fanfan la Tulipe, Mon arrière-grand-oncle était Tristan Bernard, mon oncle étant Francis Veber, le cinéaste. Il écrivait puis est devenu réalisateur car la façon dont étaient réalisés ses films le rendait dingue. Il m’a d’ailleurs fait une sombre prédiction : "Tu vas voir, tu vas écrire le scénario et tu vas détester le film". Mais je ne vais pas le réaliser, ça va pas être possible.
Surtout qu’entre le dessin animé, le film, la saga Tara Duncan qui n’est pas encore terminée, la comédie magicale aussi en préparation et une vraie présence sur internet, vous ne vous arrêtez jamais. Vous faites des pauses parfois ?
Jamais. Le problème c’est que j’ai 15 idées à la minute qui me tombent dessus. Je ne sais pas ce que j’ai fait au Seigneur Dieu là-haut, mais il m’en a mis une triple dose ! Je vous donne un exemple très simple. Je suis à Los Angeles et j’attends mon avion. Le Concorde se crashe, et mon avion est retardé. Les news, dans le lounge montrent, à ce moment là, un homme de 450 kilos, qui est sorti de sa maison accroché à son sofa qu’il n’avait pas quitté depuis 4 ans, il s’était amalgamé à son sofa. Dans les 13 heures qui m’ont ramené à Paris, j’ai écris un Thriller qui s’appelle La danse des obèses et qui est sorti en 2008.
Après La danse des obèses, est-ce qu’on peut espérer vous relire dans la littérature adulte ?
Oui. Je dois écrire la suite de La danse des obèses et j’ai un livre merveilleux, qui s’appelle La couleur de l’âme des anges en préparation. C’est l’histoire d’un homme qui devient un ange. C’est ma conception de ce qu’est réellement Dieu, et ce qu’est réellement le diable. Il est à moitié écrit. Une fois que Tara Duncan sera terminé, je pense que je vais retravailler ça. J’ai tenu à publier La danse des obèses car je n’aimais pas le côté "elle ne sait écrire que pour les ados", c’est pas vrai ! Quand on est un écrivain, on écrit pour tout le monde. Surtout que mon lectorat est complètement transgénérationnel ! Mon lecteur le plus âgé a 97 ans maintenant, donc ça fait 7 ans qu’il suit Tara Duncan. Le premier mail qu’il m’a envoyé était : "Chère Sophie, je vous écris en reprenant les termes de mon petit-fils pour dire que votre livre, il déchire grave". Et que demander de mieux ? J’étais morte de rire. Et chaque année, il m’envoie un petit mail pour me raconter à quel point c’était génial, qu’il s’était éclaté, qu’il trouve ça tellement drôle. De plus, je ne voulais pas qu’on me mette dans une case, je voulais prouver que j’étais capable d’écrire n’importe quoi. C’est pourquoi j’ai écrit la chanson du générique du dessin animé. J’avais vraiment envie de prouver que j’en étais capable.
Propos recueillis par Marine Glinel à Neully-sur-Seine le 26 juin 2010