Comment décririez vous le métier de distributeur ?
Marc Bonny : C'est un intermédiaire entre les producteurs et le grand public. Il est en relation avec le producteur pour négocier les droits du film, conclure des mandats de distribution, après il fait tout le travail de préparation des sorties : le marketing c'est-à-dire le choix de l'affiche, la bande annonce, le dossier de presse, la promotion, le partenariat éventuel, la commercialisation du film... Il crée l'image du film pour le public, et après, c‘est lui qui contacte les exploitants et construit son plan de sortie. Il y a des stratégies de marketing différentes suivant la taille des sorties, le nombre de copies, il faut convaincre les exploitants de passer le film et la bande annonce... Le distributeur organise tout ça. Quand le film sort en salles, le travail n'est pas fini pour autant. Le distributeur va veiller à ce que les bordereaux de recettes lui reviennent pour facturer, relancer les clients, enfin il garde une commission sur l'argent qui remonte après avoir amorti les coûts de sorties et remet l'argent qui reste au producteur.
Vous êtes vous déjà senti obligé de distribuer un film en vous disant que c'était une chance de pouvoir récupérer de l'argent pour distribuer des films plus "obscurs" ?
Je ne pense pas que les distributeurs réagissent comme ça. Ils pensent film par film, et le critère de base, c'est si on a envie de distribuer le film ou pas. Est-ce que ça rentre dans la ligne éditoriale, est ce qu'on a envie de faire un travail là-dessus... Le travail du distributeur est assez long, sur 6 à 9 mois, entre le moment où on s'intéresse à un film et la sortie en salles, il se passe pas mal de temps, il faut être quand même un peu motivé pour faire ce travail pendant un certain temps. Le critère de motivation c'est qu'on aime le film, et qu'on a envie que cet auteur rencontre le public, critère en effet tempéré par le fait qu'on ne peut pas perdre de l'argent tout le temps.
Gebeka existe depuis 12 ans. Vous êtes plutôt estampillés jeune public, comment est e que vous avez vu évoluer le marché des films jeune public ?
On est passé d'une période de quasi-monopole Disney à une période de prolifération d'offres en direction des enfants et des familles. Quand on a sorti Kirikou et la sorcière, notre deuxième film, en décembre 1998, c'était la première année que Disney était concurrencé à Noël par un autre film américain. Il y avait Mulan chez Disney, Le Prince d'Egypte chez Dreamworks et... Kirikou et la sorcière chez nous ! C'était il y a onze ans, et progressivement il y a eu de plus en plus d'offres. Chaque année au lieu d'avoir un ou deux films, il y en eu trois, quatre, puis maintenant une dizaine. Le marché n'est pas extensible à l'infini, il y a les gros films comme Volt ou Madagascar qui arrivent à marcher très fortement mais la plupart n'y arrivent pas ou dans des proportions très moyennes. Là où on arrivait à faire 600 000 entrées chaque année, on n'en fait plus que 300 ou 400 000 parce que les gens ont plus de choix, ils ont l'habitude de voir des films d'animation.
On va parler d'un film un peu particulier pour vous : "Panda petit panda". Vous avez distribué "Mon voisin Totoro", "Kié la petite peste" de Takahata, vous suiviez un peu Ghibli, qu'est ce qui différencie "Panda petit panda" des autres ?
Ce sont deux moyens métrages, pas un long. Et puis ça faisait longtemps que je voulais sortir ce film, je n'arrivais pas à trouver un accord avec le studio japonais TMS qui est l'ayant droits. C'était avant que Miyazaki et Takahata fondent le studio Ghibli. Mes propositions n'allaient pas à TMS, mais on a fini par y arriver. J'étais très motivé. Il s'agit d'un Miyazaki, j'ai distribué Mon Voisin Totoro et pour moi c'est évident que ce film est un peu la maquette de Totoro. On a trouvé un accord, et on a positionné le film comme une oeuvre de jeunesse. On est parti du principe que l'oeuvre de Miyazaki et Takahata est presque connue dans son intégralité en France, je crois que presque tout est sorti au cinéma sauf Souvenirs goutte à goutte...
C'est grâce à "Kirikou" que les Français ont pu voir "Mon voisin totoro" en salles ?
Oui. C'est grâce au succès de Kirikou, il a débloqué la situation.
Justement à propos des autres oeuvres du studio Ghibli, "Nausicca de la vallée du vent" date de 1983, il est sorti dans les années 2000. Il y a énormément de films de Ghibli qui sont sortis beaucoup plus tard, comment vous expliquez cela ?
Il y a eu un accord mondial en 2002 je crois entre Ghibli et Disney, c'est Disney qui a les droits de distribution des films Ghibli dans le monde. En France la filiale Disney était Gaumont, ce sont eux qui ont les droits, donc ils ont sorti les nouveaux films du studio et aussi les anciens qui n'étaient jamais sortis. L'accord mondial a été signé un peu après que l'on ait sorti Mon Voisin Totoro, et nous n'avions plus accès aux films Ghibli. Gaumont l'avait et était intéressé pour les sortir en France. Panda Petit Panda échappe à ça car ce n'est pas un film Ghibli, il a été fait avant, ce qui fait qu'on a pu avoir accès aux droits et le sortir maintenant.
Pour les autres Ghibli, comment se fait-il qu'on ait du attendre les années 2000 ?
Porco Rosso a du sortir en 1996 ; comme ça n'a pas marché on a un peu enterré le truc. Après "Gebeka" a fait 500 000 entrées sur Mon Voisin Totoro, c'était le premier succès de Miyazaki en France, ce qui n'est pas une mince fierté pour moi. Par contre ce n'est pas moi qui a sorti les suivants, qui ont été très bien sortis, Princesse Mononoké, Le Voyage de Chihiro...
Vous êtes estampillés jeune public et vous sortez le 28 octobre Panique au village. Le public de la série est plutôt constitué de jeunes adultes, est ce que ça signifie que Gébéka va s'ouvrir vers des films plus " pour adultes " ?
Non. L'idée de départ sur Gébéka c'était d'avoir une ligne éditoriale films de qualité jeune public, et ça a fini par faire un ensemble de films cohérents. Et puis il se trouve que le succès de Kirikou et la sorcière, au bout d'un an d'expérience nous a fait identifier au sein des distributeurs comme un distributeur de films d'animation, ce qui était pas notre idée première. Là on ne fait presque que ça. Du coup, on sort des trucs très variés, entre Le Petit chat curieux, ou Panique au village, on varie. Fiction, on a peu trouvé. On en a un qui vient de finir d'être tourné, c'est Mademoiselle Mumu de Joël Seria avec Sylvie Testud qui sortira en mars. Si il marche, ça pourrait nous ouvrir des propositions d'autres producteurs, ça ne me déplairait pas, d'avoir plus de fictions.
Par contre, Panique au village a la particularité, pour moi, d'être vraiment tout public, ce qui est rarissime. Il peut intéresser les jeunes adultes comme les enfants. On a décidé de le positionner comme un film pour adultes mais on espère arriver à toucher aussi les enfants.... Ce n'est pas un film pour enfants comme on a l'habitude d'en avoir à Gébéka. Cannes nous a aidé sur le plan des ventes internationales. Le film s'est bien vendu, y compris en Angleterre, aux U.S.A, ce qui est très rare pour un film d'animation européen...Le film est particulier et la prévision d'entrées s'avère très compliqué. Il y a un style tellement particulier, un humour décalé... On fera peut être la moitié des entrées à Paris, ce qui n'est pas du tout le cas sur les films qu'on sort habituellement où c'est l'inverse. Chaque film demande une approche différente.
A propos de l'approche, ce serait intéressant que vous nous parliez de votre double casquette, car vous êtes aussi coproducteur sur certains films, comme "Panique au village"...
Ça aide le film à se faire. Quand on arrive à trouver un accord et que le film nous plait beaucoup, on donne de l'argent. Panique au village, sur le papier, ça me paraissait intéressant. On avait déjà coproduit U, Princes et princesses, Kirikou et les bêtes sauvages... Bon Kirikou c'était différent, car on était sur que ça nous rapporterait de l'argent. Sur d'autres films on y va aussi parce que ça nous assure la distribution. En même temps coproduire, c'est un risque à plus long terme. Le producteur peut perdre de l'argent en salles mais en gagner avec la diffusion télé, le film peut aussi ne pas marcher en France et marcher dans d'autres pays. Sur la production, à part Kirikou et les bêtes sauvages, on a perdu de l'argent sur tous les films. C'est un risque d'une autre nature.
Vous êtes aussi exploitant, vous avez vécu le congrès des exploitants dernièrement, à votre avis, quel est l'enjeu maintenant pour une salle arts et essai comme la votre ?
Actuellement il y a un gros chambardement de l'exploitation, notamment au niveau de la technique avec l'arrivée du numérique. Mais le plus gros changement c'est le développement des multiplexes, les cartes illimitées et le positionnement plus large des multiplexes. Pendant un temps c'était les films grand public, après UGC a commencé à mettre ses multiplexes sur des films en version originale sous-titrée, d'abord à Paris puis dans toutes les grandes villes. C'est une concurrence nouvelle pour les salles arts et essais qui avait l'habitude d'êtes seules à passer ce type de film. Maintenant Gaumont et Pathé s'y mettent. Pour les indépendants, c'est une concurrence accrue. Tout ça mène à une situation où dans la plupart des grandes villes, les films d'arts et essais " porteurs " comme les Woody Allen, les Clint Eastwood, passent majoritairement dans les multiplexes. Du coup des les salles indépendantes n'ont plus cette spécificité et elles ont perdu une partie de ces recettes. Pour les grands groupes, cette partie là n'est pas vitale car ils font leurs recettes sur les films grand public. Alors que les salles arts et essais, leur équilibre économique, il est là, si ils n'ont pas ce terrain là, ce n'est pas avec des films d'auteur plus difficiles et des films de recherche qu'ils vont trouver leur équilibre de distribution.
Il faut que les indépendants arrivent à créer des lieux forts et attractifs pour que les gens aient envie d'y aller. Ça reste la règle de base, le cinéma marche si les gens ont envie d'y aller.
Propos recueillis par Judith Godinot