"Les Inséparables" : rencontre avec Christine Dory

"Les Inséparables", en salles aujourd'hui, est l'émouvant récit d'une histoire d'amour intense, avec l'incandescent Guillaume Depardieu dans un de ses derniers rôles. Rencontre avec la réalisatrice Christine Dory.

AlloCiné : Quel a été votre parcours avant "Les Inséparables" ?

Christine Dory : J'ai fait des études très longtemps, en repoussant le plus tard le possible le moment de travailler.

Je me suis retrouvée, tout à fait par hasard, à écrire des films pour les autres. Il y a quatre ans, j'ai réalisé un film, Blonde et Brune. J'ai aussi travaillé longtemps pour Archimède, une émission de vulgarisation scientifique d'Arte. J'ai beaucoup aimé faire ça. Ce que j'en retiens, c'est l'esprit d'invention. C'était intéressant de demander à des gens qui travaillent à un tel niveau d'abstraction, par exemple dans les maths ou la physique, de modéliser leur pensée.

Il y a aussi quelque chose de chimique, ou en tout cas d'organique, dans la façon dont vous décrivez la relation de couple des "Inséparables"...

Il y a peut-être un fantasme d'objectivité qui me ressemble. J'adorerais que tout soit scientifique ! (sourire)

3 thèmes sont au coeur du film : l'emprise à l'intérieur du couple, la dépendance à la drogue et la création. Quel était le point de départ ?

C'est une histoire personnelle à la base. Donc les 3 éléments étaient liés d'emblée dans mon esprit. J'ai surtout essayé de décortiquer la façon dont elles s'organisent ensemble. En tant que raconteuse d'histoire, ce qui m'intéresse, c'est : "Comment ça marche ?" et pas "Pourquoi on en est arrivé là ?"

Pourquoi avoir fait de Boris un dessinateur ?

La personne à laquelle je me réfèrais dans la vie est dessinateur. Pour m'éloigner de cette histoire personnelle, j'avais décidé d'en faire un écrivain. Mais filmer un type qui écrit, c'est très ennuyeux. Dans les dessins de Bruno, on voit qu'il a un don pour la beauté, mais aussi pour la paix, la joie, la clarté. Je pouvais ainsi faire admettre au spectateur que, même s'il a un côté sombre, il aspire comme tout le monde à l'harmonie.

Votre film est produit par Martine Marignac, la productrice de Rivette ; on a vu Guillaume Depardieu dans "Ne touchez pas la hache" ; et comme Rivette, vous aimez les acteurs de théâtre...

C'est un hasard. Les gens m'ont beaucoup parlé de Rivette au moment de Blonde et Brune, mais je ne connais pas bien ses films. Le cinéaste que j'admire le plus, c'est Paul Verhoeven. J'adore ses films sans restriction, je les trouve très intelligents, violents... Je ne comprends pas pourquoi mon film ne ressemble pas à un film de Verhoeven ! (rires) J'aime bien sûr le cinéma français, mais je crois qu'on a besoin aussi d'un peu d'étrangeté. En revanche, c'est vrai que j'aime beaucoup les comédiens de théâtre, comme François Chattot ou Roland Bertin, dont j'aime le côté "gros bonhomme fragile". Quant à Marie Vialle, je l'avais trouvée formidable il y a plus de dix ans dans Julie est amoureuse, mais dans ma tête elle était restée une jeune fille.

Comment avez-vous travaillé avec Guillaume Depardieu et Marie Vialle ?

Guillaume et Marie avaient des besoins très différents. Marie avait besoin de s'assurer, en amont, qu'il n'y ait aucun malentendu sur le scénario : elle voulait comprendre toutes les intentions, tous les enjeux de chaque scène. C'était pas mal, parce que ça m'obligeait à formuler les choses. Guillaume, lui, avait une intimité avec le personnage, donc dès le début il connaissait les recoins de tous les sentiments du film. Avec lui, il s'agit plus de réunir des conditions amicales, de créer de la confiance, pour qu'il se sente en sécurité, qu'il soit heureux, et alors là il donne tout. J'avais écrit en pensant à lui. Pas à cause d'un rôle en particulier, même si je l'avais adoré dans Tous les matins du monde. C'était plutôt ce qu'il dégageait de lumineux, son engagement physique. J'avais le sentiment qu'il comprendrait ce personnage. Dès le début, j'ai parlé de lui à ma productrice. Elle trouvait que c'était une bonne idée, mais ensuite elle a travaillé avec lui sur Ne touchez pas la hache de Rivette, un tournage assez rock'n'roll, sur lequel il a pas mal fait l'andouille. Du coup, elle m'a appelée pour me dire : "Si tu fais le film avec lui, c'est sans moi." Je me suis dit : attendons. Mais quand elle a vu sa prestation "fleurir" au montage, elle a changé d'avis. Et puis il avait beau être parfois infernal, elle l'aimait profondément.

On dit souvent que les fictions sont des documentaires sur les comédiens.

Je crois ça aussi. Evidemment cette sortie de film est très compliquée [Guillaume Depardieu est décédé en octobre dernier] Pendant quelque temps, je ne remontais pas du tout. C'est complètement fou... Vous me parlez du côté troublant de cette scène au piano, c'est vrai qu'il a ces dialogues sur le thème "Je préfère être en bonne santé que malade...". D'ailleurs, ce piano est arrivé par hasard. Un jour, Guillaume est venu chez moi, il s'est mis au piano. Je l'avais déjà entendu jouer, mais comme son piano était complètement désaccordé, je n'avais pas remarqué qu'il jouait comme un dieu !

Les deux personnages auraient pu apparaître comme des victimes, mais l'un et l'autre se montrent combatifs.

Pour se dire, comme Boris, "je me drogue, je l'assume" -même si en réalité il ne l'assume pas aussi bien que ça – il faut bien se connaître soi-même. Sandra aussi se connaît : elle a renoncé à la danse, elle sait un peu où elle en est... C'est pour ça qu'ils ne devaient pas être trop jeunes. C'est la plus grande histoire d'amour de leur vie, mais ce n'est pas la première. Boris a fait le choix de rester junkie, il ne veut pas décrocher parce que c'est comme ça que ça marche pour lui s'il veut travailler. Sandra, elle, paraît intégrée. En fait, elle est pragmatique. On sent qu'elle a mené une vie de patachon et qu'elle aspire à une vie normale. Après, en rencontrant Boris, ça la ramène à quelque chose de plus complexe, qu'elle connaît. Mais elle maintient son cap, sans se laisser avaler.

Sur la représentation de la drogue, vous évitez les deux écueils : le côté romantique ou au contraire glauque.

J'ai vu les films sur le sujet, je connais bien le junkart, mais l'expérience que j'en avais, c'était de voir quelqu'un qui se droguait, non pas pour le plaisir, mais pour faire marcher la machine. Il n'en était pas fier, il n'était pas content de lui, il n'avait pas le mythe de l'artiste maudit. Je voulais restituer ça, d'autant plus que je pense que ça concerne plein de gens.

Au départ, le film s'appelait "Circuit fermé"...

Je trouvais que ça illustrait le fonctionnement du couple, mais aussi le type de narration que je devais mettre en place : quelque chose de fractal, qui se répercute à l'infini. Mais c'était un titre provisoire.

Après, j'ai été en panne. Et j'ai voulu appeler le film Les Oiseaux. Heureusement, je ne l'ai dit à personne ! Et un matin, en me réveillant, je me suis souvenu que ces oiseaux, au début du film d‘Hitchcock, c'étaient des inséparables, Lovebirds en anglais.

Vous aviez imaginé l'épilogue dès le départ ?

Oui. Au début, le tournage devait s'étaler sur 12 semaines, on a finalement tourné en 6. J'ai donc dû couper la moitié du scénario, en resserrant sur les deux personnages. Dans la version longue, un troisième personnage très important était développé : le type avec qui Sandra part et dont elle attend un enfant, Serge. Et ce qui était dur pour Boris, c'est qu'elle n'était pas partie avec un abruti, mais avec un mec vachement bien. Or, c'est Boris qui lui avait ouvert l'esprit : elle n'aurait jamais rencontré un type aussi bien si elle n'avait pas connu Boris...

L'année 2008 a été marquée par les revendications du Club des 13 sur le système de financement du cinéma. Quelle est votre position ?

Je pense qu'ils ont raison, d'ailleurs j'aimerais bien rejoindre le groupe étendu. Aujourd'hui, il est possible -même si c'est difficile- de faire un film comme le mien, qui coûte 1 million d'euros. Il est possible aussi de faire un film à 8 millions. Mais à partir de 3 millions, ça ne devient plus possible... Ce sont les gens de la télévision qui décident quel film va marcher, avec quels acteurs... Alors qu'on sait bien qu'ils se vautrent 9 fois sur 10. Mais je pense comme Serge Daney que, tant qu'il y aura des cinéastes, il y aura du cinéma.

Propos recueillis à Paris le 5 décembre 2008 par Julien Dokhan

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