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    Remakes, songes et vidéo : interview avec Michel Gondry

    AlloCiné a rencontré le génial bricoleur Michel Gondry à Berlin, où "Soyez sympas, rembobinez" était présenté en clôture. Passant d'un sujet à l'autre (le football, les poubelles ou... Tarantino), le cinéaste s'est montré drôle et disert. Morceaux choisis.

    Poubelles. J'ai tendance à utiliser mon imagination pour transformer des choses. En cela, l'histoire de Soyez sympas rembobinez m'est proche.

    J'ai toujours été fasciné par les poubelles, peut-être parce que j'ai grandi en banlieue. Là, plus qu'en ville, on se rend compte des effets de l'urbanisation, du côté inutile de la société de consommation. Mais moi, gosse, je voyais tout ce materiel rejeté comme quelque chose qui pourrait être recyclé de façon futuriste. Par exemple [il montre le micro], je me dis que si on mettait des ailes à ce micro, ça ferait un super avion !

    Retour rapide. Quand j'avais 18 ans, mon père avait une caméra Betamax noir et blanc, avec un magnetoscope. J'ai invité des copains, et pendant deux jours on a tourné non stop des vidéos, des sketchs, des pubs, des trucs surréalistes. Ca a donné une cassette vidéo avec deux heures d'images, qui sont un témoignage de tout ça. Des années après, on l'a revue, c'était génial ! Mais un jour, mon frère a prêté cette cassette à un copain. Quelques années après, j'ai voulu qu'il me la rende, et il a fini par admettre qu'il avait enregistré un match de foot par-dessus... C'est peut-être pour ça que j'ai fait Soyez sympas rembobinez.

    Foot. J'ai toujours eu des opinions politiques, des points de vue, voire des solutions, mais j'ai toujours été trop timide pour les exposer. Ce film est un premier pas, pour avoir le courage de défendre les idées auxquelles je crois. Le DIY [Do It Yourself], c'est une idée importante pour moi. Le message du film, c'est que les gens devraient s'amuser à partir de choses qu'ils font eux-mêmes plutôt que de choses qu'ils achètent. C'est un comportement très américain. Par exemple je n'ai jamais aimé le football américain : il y a un tel équipement ! Quand je les vois sur le terrain, je cherche toujours la voiture : avec tout ce qu'ils trimballent, il doit forcément y en avoir une quelque part... Alors que pour jouer au foot, il suffit d'une boite en métal, et ce n'importe où dans le monde, comme on le voit par exemple au Brésil. Il y a quelque chose de démocratique qu'on ne trouve pas aux Etats-Unis, où tout est prétexte à acheter.

    C'est un pays créé par des gens venus là pour faire des affaires. Mais je crois que c'est un système qui s'essouffle. On voit bien que ça détruit la planète. Donc recycler, faire les choses soi-même, c'est une solution.

    Publicité. C'est vrai que j'ai réalisé des publicités, c'est contradictoire avec ce que je disais avant. Je ne m'en vante pas. J'en fais le moins possible, une ou deux par an, ça me permet de faire les films que je veux. Mais si j'avais les moyens de faire disparaitre totalement la publicité, je le ferais ! En attendant, j'espère juste que mes films auront plus de succès, comme ça je n'aurai plus besoin de réaliser de pubs.

    Remakes. On m'a demandé de faire des remakes, mais j'ai toujours refusé. On m'avait demandé par exemple une version cinéma de The Lost World, un show télévisé... Mais moi, ce que je veux, c'est créer un monde. L'essentiel dans Soyez sympas rembobinez, ce sont moins les remakes que les gens qui font ces remakes, la communauté qui se forme autour d'eux. J'ai choisi des films évidents, ceux que, me semblait-il, les personnages choisiraient. Ca ne reflète pas mes gouts personnels. Ce qui me plaisait avec ce vidéo club, c'est l'idée de la boutique au coin de la rue où les gens peuvent passer du temps, discuter, le côté social.

    Mia & Sigourney. Je n'avais pas pensé à La Rose pourpre du Caire en choisissant Mia Farrow. J'adore ce film, mais je ne prendrais pas un acteur en hommage à un film. Et d'ailleurs, je pensais plus à Rosemary's Baby, un film qui a eu un fort impact sur moi. Elle a un petit rôle et peu de dialogues, mais elle venait tous les jours sur le plateau pour participer, aider. Ca correspond bien à sa personnalité, on l'a vue récemment se mobiliser pour le Darfour. La façon dont elle mène sa vie m'impressionne, elle fait ce en quoi elle croit, et en même temps elle est très simple. Sigourney Weaver, elle, a ce côté très impressionnant, sérieux.

    Je trouvais ça marrant qu'elle vienne défendre les gens d'Hollywood, elle qui fait partie de ce monde. Et puis j'avais ce rêve érotique sur elle dont je parle dans mon DVD. J'ai oublié de lui en parler, mais je crois qu'elle l'a vu. Elle est très cool, très ouverte d'esprit.

    Immaturité. Les gens me disent souvent que je suis immature. Je le suis parfois, mais quand je suis face à mon fils ou à mes acteurs, je suis mûr, parce que je dois être l'adulte. C'est vrai que la créativité est associée à une certaine forme d'immaturité. Quand on devient adulte, on doit brider sa créativité, à moins que ça ne corresponde à une demande de la société. Si vous créez quelque chose qui est seulement lié au plaisir, par exemple un grand train électrique, vous paraitrez bizarre, on vous prendra pour un grand enfant. C'est un peu ce que je suis. J'en parle souvent avec Björk. Parfois elle me dit : "Tu devrais aller vers quelque chose de plus adulte", et je pense qu'elle a raison parce qu'elle est très intelligente. Là, je pense qu'en parlant des communautés, on est dans quelque chose de plus adulte, même si la façon dont est fait le film et les personnages ont quelque chose d'enfantin. Mais si être adulte c'est devenir cynique et prétentieux, je préfère rester immature.

    Propriété.

    Quand on emprunte mes idées, je dois prendre ça pour un hommage et quand moi, je veux emprunter une idée, je dois payer... Dans Human Nature, Tim Robbins dit à un moment : "Freedom is just another word for nothing left to lose". Eh bien on a dû payer 20 000 dollars à Kris Kristofferson (auteur de la chanson homonyme) pour emprunter cette phrase ! Dans le même temps, certaines de mes idées, très précises, sont utilisées dans d'autres vidéos ou films. La propriété intellectuelle, c'est important parce que ça permet aux gens créatifs de vivre, mais c'est inégalitaire. Je pense que je ne suis pas assez protégé, ni respecté. Dans le film, je suis du côté de gens qui ne respectent pas la propriété intellectuelle, mais je ne crois pas qu'ils fassent de mal au business. Ils ne veulent pas en faire partie, ils veulent construire leur système. C'est pourquoi l'avocat vient les arrêter. Le corporatisme est très fort aux Etats-Unis. Ils n'aiment pas que les gens fassent les choses dans leur coin.

    Syndicat. J'aime avoir peu de gens sur les plateaux. Aux Etats-Unis, le syndicat vous oblige à employer beaucoup de monde. Par exemple, je voulais utliser des gens du coin non-acteurs, mais la SAG (Screen Actors Guild) vous autorise à employer un acteur qui n'est pas du syndicat seulement si vous avez engagé le même jour 50 acteurs du syndicat ! Pour la scène du night club, je voulais des non-professionnels pour faire les danseurs, mais je n'ai pas pu. Alors que tous ces figurants qu'on doit employer sont des pauvres types, ils passent leur journée à se regarder dans un miroir, les plus âgés ont tous le visage refait... Et ces gens-là prétendent être un reflet de la population !

    Personnel. Ce système qu'ils mettent au point pour recréer les effets spéciaux, ce sont des techniques qui me sont très personnelles. Il y a aussi de moi dans Jerry, dans sa naiveté à croire qu'il n'y a pas d'obstacles, dans Mike, dans son respect pour le passé, les vieux, ainsi que dans Alma, dans le fait de diriger des gens qui sont trop auto-centrés pour avoir un sens de l'organisation.

    Temps. C'est vrai que je suis un peu obsédé par le temps, les boucles, l'effacement. Ca doit être au fond une peur de la mort, de l'oubli, insconsciemment. Et j'aime le côté scientifique de tout ça. Le film d'Alain Resnais Je t'aime, je t'aime est une des influences que je peux revendiquer.

    Tarantino. Quand nous ne sommes pas d'accord, mon fils me dit : "Tu es mauvais, Quentin Tarantino est meilleur réalisateur que toi", je déteste quand il me dit ça. Il m'a forcé à aller voir Kill Bill 2 , mais je suis parti avant la fin, comme pour tous les autres Tarantino, sauf Pulp Fiction, le seul que j'ai vu jusqu'au bout. Il est plus doué que moi, c'est sûr, il est brillant, mais le message est dangereux. Ca m'enrve parce que les ados comme mon fils ont envie de voir ces fIlms, alors qu'ils ne sont pas faits pour eux. Il n'est question que de revanche, de méchanceté, de vengeance...

    Projets. Il y a Interior design, un film de 30 minutes, qui fait partie d'un tryptique cosigné par Leos Carax et Bong Joon-ho, tourné au Japon avec une équipe et des acteurs japonais ; C'est une histoire simple, prise dans un comic book d'une artiste Gabrielle Bell, qui a écrit le scénario avec moi, une expérience formidable. L'autre projet, un film d'animation tourné avec mon fils, c'est Megalomania, d'après une idée de mon fils sur un rebelle et un dictateur, la dynamique de leurs rapports compliqués. Le dictateur, c'est mon fils et je suis le rebelle. Daniel Clowes écrit le scénario. Vous pouvez déjà voir sur Youtube une vidéo du groupe The Willowz, basée sur ces personnages.

    Propos recueillis à Berlin le 15 février 2008 dans le cadre d'une table ronde par Julien Dokhan

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