Eclipse totale. Réagissant hier lundi à l'annonce du décès d'Ingmar Bergman, le Président du Festival de Cannes Gilles Jacob déclarait à l'AFP : "Personne, sauf Antonioni, n'a sondé aussi profondément, aussi magnifiquement, le mystère féminin". Au lendemain de l'annonce du décès du Suédois, on apprend ce matin la mort du Maestro Michelangelo Antonioni, survenue lundi soir. L'auteur de L'Avventura avait 94 ans. Difficile de ne pas être frappé par ce coup de destin : la disparition, à quelques heures d'intervalle, de deux phares de l'Histoire du 7 art, deux artistes exigeants, singuliers et influents, deux figures majeures du cinéma moderne.
Des scénarios pour Rossellini et Fellini
Né au nord de l'Italie, Michelangelo Antonioni étudie l'économie à l'université de Bologna tout en écrivant des critiques de pièces de théâtre et de films pour un journal local. Passionné par le 7ème art, il s'inscrit ensuite dans l'école de cinéma "Centro Sperimentale". Une fois diplômé,il commence sa carrière en écrivant des scénarios pour Roberto Rossellini et Federico Fellini puis fait ses premiers pas en tant que réalisateur dès 1942, en signant des documentaires et des courts métrages qui flirtent avec l'inspiration néoréaliste introduite par Fellini.
1950, première "Chronique d'un amour"
En 1950, il signe son premier long métrage, Chronique d'un amour pour lequel il s'éloigne du néoréalisme et préfère se concentrer sur la psychologie de ses personnages. Ses films suivants – Les Vaincus, La Dame sans camélias,
Femmes entre elles et Le Cri – sont construits sur le même modèle et forment des chroniques sociales et psychologiques. Ces longs métrages restent toutefois assez confidentiels, se limitant à un public italien.
Le scandale "L'Avventura"
En 1960, Antonioni présente L'Avventura (affiche ci-contre) à Cannes. Le film suscite de nombreuses controverses mais offre au réalisateur le Prix du Jury. Il s'inscrit dans une tétralogie complètée par L'Eclipse, La Nuit et Le Désert rouge (photo ci-dessus), qui offre une vision très novatrice du cinéma, se voulant "à l'égal de la littérature". Les commentateurs ne tardent pas à employer un terme pour qualifier ces oeuvres qui examinent la difficulté des relations humaines dans les sociétés modernes : incommunicabilité.
Pour chacun de ses films, Antonioni dirige Monica Vitti, qui deviendra son égérie et sa compagne pendant quelques années et qu'il retrouvera en 1981 pour Le Mystere d'Oberwald.
La Palme d'or pour "Blow up"
De retour sur la Croisette en 1967, Antonioni se voit remettre la Palme d'Or pour son Blow Up (photo), dans lequel un jeune photographe arrogant croit être temoin d'un meurtre. Le film est un énorme succès spectateur (il engrange plus de 20 millions de dollars à travers le monde, soit plus de 10 fois ce qu'il avait coûté) et permet au réalisateur de s'expatrier outre-Atlantique le temps d'un film (Zabriskie Point,
qui peine à trouver son public).
Les voyages d'un "reporter"
Explorant de nouvelles contrées, il part à la découverte de l'Asie en tournant le documentaire Chung Kuo, chronique de la vie quotidienne en Chine, puis pose sa caméra entre l'Algérie et l'Angleterre pour Profession : reporter (photo), dans lequel Jack Nicholson incarne un reporter basé en Afrique et enquêtant sur un meurtre mystérieux pour tromper l'ennui. Revenu en Italie, il réalise Identification d'une femme et rencontre Enrica Fico, qui deviendra sa femme, sur le tournage.
Le cinéma, par-delà la maladie
A l'âge de 73 ans, il est victime d'un accident cérébral qui entraîne une paralysie partielle de ses membres et l'empêche de parler. Il n'arrête pas pour autant son activité de cinéaste puisqu'il réalise en 1995 Par-delà les nuages avec son ami Wim Wenders avant de prendre part au projet collectif Eros (photo), dans lequel il expose sa vision de l'amour et de l'érotisme aux côtés de deux autres réalisateurs, Steven Soderbergh et Wong Kar-Wai. En 1995, il reçoit un Oscar d'honneur pour l'ensemble de sa carrière.
La rédaction d'AlloCiné