AlloCiné : Avez-vous éprouvé des difficultés à jouer l'épouse délaissée dans "Raisons d'Etat" ?
Angelina Jolie : En fait, j'ai déjà deux divorces derrière moi, mais je garde de bonnes relations avec mes anciens maris. J'imagine qu'il est plus facile de jouer un tel rôle lorsque vous avez une vie de famille équilibrée. Je pense que si j'avais dû affronter une telle expérience dans ma vie personnelle, comme l'alcoolisme ou des relations difficiles avec mon mari, il m'aurait été bien plus inconfortable d'incarner cette femme. C'était l'aspect du personnage qui m'intéressait : une femme qui se sent perdue et prisonnière. Et j'ai ressenti la même chose.
Comme votre personnage, vous avez un caractère fort. Qu'est-ce qui vous a attirée dans ce rôle ? Et comment en avez-vous parlé avec Robert de Niro ?
J'ai été intéressée par le caractère de cette femme qui est pleine de vie au début, et complètement morte à l'intérieur à la fin. J'étais curieuse de connaître les étapes de cette transformation, toutes les choses qui la mènent à ça. Je vois ce personnage comme une femme forte, aussi forte qu'on peut l'être dans cette situation, et qui en même temps a de nombreuses cassures en elle. Je n'ai pas eu souvent l'occasion de jouer une femme brisée. C'est pourquoi il nous a fallu du temps, à Robert De Niro et moi-même, pour décider si je devais jouer ce rôle de femme servile, très vulnérable. C'était un véritable défi en tant qu'actrice, et en tant que femme également. Robert est un homme très précis, attentif à tous les détails du film. Il fait attention à tout. Il y a plusieurs facettes de ce personnage qu'il ne m'imaginait pas capable de jouer. Nous en avons beaucoup discuté, car il avait besoin de savoir que je la comprenais. Ce sentiment de solitude que ressent mon personnage, je l'ai souvent éprouvé dans ma vie, même si aujourd'hui ce n'est plus le cas. Si j'étais dans une situation identique, entourée de tant de secrets et de non-dits, je pense que je commencerais également à boire ou à faire quelque chose de terrible.
Etiez-vous intimidée par Robert de Niro comme réalisateur ? Ou est-ce vous qui l'avez intimidé ?
Rien n'intimide Robert De Niro ! Je m'amuse à penser qu'il est un espion de la CIA depuis des années, et qu'il n'est pas du tout acteur ! J'étais vraiment intimidée par lui, mais en même temps rassurée. C'est intéressant de travailler avec un réalisateur qui est aussi un grand acteur, et qui soit aussi attentif que lui. Il n'aime pas parler du processus mais lorsqu'il s'agit de se mettre au travail, il le fait exceptionnellement bien, avec beaucoup d'attachement. On se sent nerveux d'avoir à jouer devant lui, parce qu'il est tellement impressionnant en tant qu'acteur... Et, en même temps, l'avoir près de soi est rassurant. Et quand il dit que tout va bien, alors on peut respirer !
Vous avez fait beaucoup de travail humanitaire dans différents pays où a opérée la CIA. Avez-vous remarqué des changements dans la politique ou la culture de ces pays, dus aux activités de l'agence ?
Je ne sais pas vraiment. Je ne suis même pas sûre d'avoir vu quoi que ce soit en ce sens. En revanche, j'ai pu observer les changements de perception vis-à-vis de la politique étrangère de notre pays. A chaque voyage que j'ai fait, les lieux étaient différents à cause des changements dont nous sommes responsables, et je suis persuadée que la CIA y a participé d'une manière ou d'une autre. Il y a cinq ans, quand je commençait à voyager, lorsque je me présentais comme Américaine, tout le monde était très excité et pensait qu'il s'agissait du plus bel endroit au monde. Aujourd'hui, je suis plus prudente. On sent bien que les gens sont moins enthousiastes. Ils me posent des questions sur mon pays, certains s'étonnent même de la présence d'une Américaine. Ce n'est pas juste pour le peuple américain. Ce sont des gens attentifs et généreux, rien à voir avec l'image que notre gouvernement a donné ces dernières années.
Vous avez été très active durant ces cinq dernières années. Avez-vous changé votre façon de choisir vos rôles ? Les sélectionnez-vous d'abord pour leur point de vue politique, ou simplement pour le plaisir de le faire ?
Je crois qu'il est important de s'amuser et de ne pas toujours tout prendre au sérieux, car notre société laisse beaucoup de place au divertissement. Les films que je fais sont ceux que j'aime voir avec mes enfants. C'est aussi notre rôle. Je ne suis qu'une actrice, pas une femme politique, et en tant que telle, je suis supposée divertir et raconter des histoires. Maintenant, je choisis aussi mes films selon la durée de tournage, je ne crois pas avoir passé plus de sept semaines en tournage ces deux dernières années, car je fais en sorte d'avoir du temps pour mes enfants. Je suis consciente du fait politique mais je n'ai jamais vraiment imaginé m'y impliquer. Dans un sens, du fait que je ne sois pas politicienne, j'ai plus de possibilités. Je peux discuter aussi bien avec les Démocrates qu'avec les Républicains, m'investir dans de nombreux pays, lever mes mains au ciel et annoncer : "Je ne suis qu'une citoyenne." J'ai plus de liberté ainsi, et je la perdrais si j'essayais d'assumer un rôle politique.
Croyez-vous que les films ont la capacité de changer le monde ?
Je le pense, oui, mais je ne crois pas qu'on puisse se reposer uniquement sur les films pour cela.
Propos recueillis par Emmanuel Itier le 1er décembre 2006 à New York.