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    "La Bête dans le coeur" : rencontre avec la réalisatrice

    A l'occasion de la sortie du drame "La Bête dans le coeur", AlloCiné a rencontré la réalisatrice italienne Cristina Comencini. Entretien.

    AlloCiné : "La Bête dans le coeur" est basé sur votre propre roman. A quel moment avez-vous su que vous vouliez l'adapter pour le cinéma ?

    Cristina Comencini : J'ai écrit six romans et réalisé huit films, et jamais ces deux carrières ne se sont unies, sauf pour La Bête dans le coeur. Quand j'ai écrit le livre, je ne pensais pas du tout l'adapter, car c'était un thème très compliqué et charnel, donc difficile à filmer. Mais mon producteur m'a dit que, cette fois, il voyait un film dans ce livre. Et au fur et a mesure, je me suis dit que je devais essayer, car je voyais que je pouvais faire un film autonome, mais puissant en lui-même.

    Quels sont les principaux changements que vous avez effectués par rapport au roman ?

    Dans le roman, il y a toute une reflexion sur le rêve de Sabina. Et tout ce qu'elle vit commence avoir un autre sens. Il y a aussi tout un travail sur la tragédie grecque, sur la catharsis, et toute une façon de raconter des endroits obscurs de nous-mêmes, avec des mots antiques au lieu de la psychologie d'aujourd'hui. Mais dans un film, on a une limite de temps incroyable. On a seulement quatre-vingt-dix minutes pour s'exprimer. Du coup, on doit avoir des scènes qui disent beaucoup de choses en même temps. Donc il y a des choses qui se perdent. Mais ça gagne dans le sens qu'une même image peut suggérer beaucoup de choses contradictoires et différentes en même temps. L'histoire entre Maria et Emilia, par exemple, a pris un aspect charnel dans le film qui n'était pas dans le livre, parce que les personnages sont incarnés par des acteurs.

    Quelle scène a été particulièrement difficile à adapter ?

    Pour moi, en tant que réalisatrice, c'est la scène du cauchemar. Car j'ai dû diriger une petite fille qui ne savait rien. Comment la diriger, et même la manipuler, sans qu'elle sache ? Je lui ai donc raconté la partie de vérité qu'elle pouvait avoir pour l'âge qu'elle avait. Je lui ai dit : "Tu es dans un rêve de toi, plus grande. Et tu la conduit (toi plus grande) dans quelque chose qui est arrivé à la maison qui te fait peur. Tu pense à ça quand on tourne." Après, je lui ai demandé à quoi elle a pensé et elle a dit : "J'ai pensé que je tuait mon père, ma mère..." (rires). Des choses qui étaient tellement horribles que je me suis dit : "Les enfants sont pires que nous !"

    Vous sentez-vous proche de Sabina, le personnage principal ?

    Oui, beaucoup. Mais aussi du frère, car il a plus souffert qu'elle, puisqu'il a essayé de la protéger. Et aussi de Maria, car elle incarne la peur de toutes les femmes, qui se sentent menacées par le fait que les hommes sont toujours très fascinés par la jeunesse.

    Pourquoi Sabina a-t-elle ces cauchemars seulement à partir du moment où elle est enceinte ?

    Je n'avais pas fait de recherches. Je me suis mis dans la peau de Sabina et je pensais qu'en étant elle, ça arriverait comme ça. Et puis les psychanalystes m'ont confirmé que c'est exactement comme ça que ça arrive. Chez leurs patients qui ont des histoires du passé refoulées, beaucoup de ces histoires resurgissent quand les femmes sont enceintes.

    Est-ce que le personnage du réalisateur dans le film vous sert à faire un commentaire sur la situation du cinéma italien d'aujourd'hui ?

    C'était la situation d'il y a dix ans. La télévision avait tout mangé en Italie. Et le cinéma n'avait pas réagi à ça. L'Etat italien non plus. Ca a été la débacle. Mais les gens ont continué à travailler, bien sûr. Comme le réalisateur dans le film, qui pourtant ne compte plus par rapport aux géants du passé. J'ai beaucoup aimé mettre en scène ce personnage. Aujourd'hui, le cinéma italien recommence à être très fort, même s'il ne sort pas encore beaucoup de l'Italie. Mais on a toute une génération de nouveaux metteurs en scène, acteurs et écrivains. Tout n'est pas encore exactement en place, mais on a un public. Ca recommence.

    Si vous deviez choisir d'abandonner soit la mise en scène soit l'écriture de romans, qu'abandonneriez-vous ?

    Je ne pourrais pas ne pas écrire. J'ai écrit pour le théatre, j'ai écrit des romans, j'ai écrit pour le cinéma. C'était mon point de départ. Mais je serais également très triste de ne plus pouvoir faire des films. Ce qui est merveilleux au cinéma, c'est le jeu des acteurs. Je crois que c'est surtout pour ça que je le fais. Ca me manquerait beaucoup. Et aussi le fait que c'est un art collectif. Car la solitude est très lourde quand on écrit. Dans un film, par contre, beaucoup de gens participent et inventent. C'est quelque chose de très bien, de très vivant.

    Propos recueillis par Sebastian Schmieder le 8 mars 2007 à Paris

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