AlloCiné : Beaucoup de spectateurs risquent d'être surpris s'ils s'attendent à voir "Garden State 2". "Last Kiss" n'a que peu de points communs avec votre film. Il est plus sombre, c'est un véritable drame n'est-ce pas
Zach Braff : En effet. Aux Etats-Unis, les gens pensaient qu'il s'agissait d'une sorte de suite de Garden state, ça les a donc un peu perturbé parce que les deux films sont effectivement différents. Les deux seuls points communs sont une bonne bande originale
et un personnage, que j'incarne, en plein milieu d'une crise existentielle. Mais ce film est plus sombre avec un regard très acéré sur les hommes trentenaires et leur peur de s'engager. Si vous allez voir ce film, vous devez être conscient et vous attendre à un film à la fois réaliste et dramatique. Bien entendu vous allez rire quelquefois, mais c'est tout de même assez dur, et c'est d'ailleurs ce qui m'a plu. J'avais vu le film original et, lorsque j'ai su qu'une adaptation américaine allait être produite, j'étais persuadé qu'elle allait être édulcorée, qu'ils n'allaient pas conserver l'acidité du film italien. Je ne pouvais pas croire qu'un studio américain allait s'engager là-dedans.
Juste par curiosité, combien de fois vous a-t-on posé la question précédente aujourd'hui ?
Vous êtes le premier ! Beaucoup de gens commencent les interviews en disant "Alors c'est la suite de Garden state ...". Je suis donc ravi que vous trouviez que Last kiss est différent parce que c'est aussi ce que je pense.
La fin du film n'est pas une fin typique. Il n'y a pas LA scène de réconciliation entre Michael et Jenna que tout le monde attend. Est-ce que vous aimez ce procédé qui consiste à laisser la fin ouverte afin de permettre à l'imagination du téléspectateur de vagabonder ?
Oui ! Et j'apprécie ça également en tant que spectateur. Par contre je ne suis pas sûr que tout le monde soit de mon avis aux Etats-Unis ! Ce qui est amusant c'est que Garden state avait une fin heureuse et romantique, parce que je désirais cette fin et ce baiser dans l'aéroport. Mais beaucoup de gens m'avaient alors reproché d'avoir écrit une fin très hollywoodienne. Je leur répondais simplement que, étant moi-même un romantique, je trouvais ça beau et je voulais voir les deux personnages s'embrasser. Et aujourd'hui ceux qui vont aller voir Last kiss vont nous reprocher de ne pas donner d'explications à la fin ! Pour ma part, je pense que la situation de Michael est tellement compliquée qu'elle ne peut pas être résolue simplement. En réalité nous avons tourné un épilogue qui se déroulait un an après,
mais ça faisait tellement fabriqué que nous l'avons laissé tomber et qu'il ne figure pas dans le film.
Après le succès de la bande originale de "Garden State", vous avez produit celle de "Last Kiss". Quel est le secret d'une bande originale réussie ?
Tout d'abord c'est une musique qui accroît les émotions sans prendre le pas sur les dialogues. Quelquefois elle est exploitée pendant une scène afin de vous imposer ce que vous devez ressentir. Si vous regardez Garden state, ou la façon dont Tony (ndlr : Goldwyn, le réalisateur de Last kiss) la travaille, vous verrez que la musique est toujours utilisée comme un élément de construction, un outil de montage, et très rarement sur un dialogue parce que ça minore généralement la performance des acteurs. Et puis, utiliser votre chanson préférée peut également s'avérer néfaste au film parce qu'elle peut détourner l'attention de la scène. Donc, en conclusion, je pense qu'il faut choisir des chansons qui ont des qualités cinématographiques, en évitant de nuire aux dialogues.
Et comment choisissez-vous ces chansons justement ?
Dans le cas de Last kiss, lorsque Tony était en montage je lui ai donné 5 CD avec des musiques que j'aimais bien, soit au total une centaine de chansons. En montant le film il pouvait ainsi essayer différentes chansons à divers endroits.
Une autre particularité de "The Last Kiss" est le fait que votre personnage fait les mauvais choix, il n'est pas le héros typique...
Quand j'ai lu le scénario, je me suis dit qu'ils allaient édulcorer l'histoire. Dans un film de studio, le personnage principal couche avec une femme
alors que sa fiancée est enceinte (rires) ! Je pensais vraiment qu'ils allaient atténuer tout cela, alors lorsqu'ils m'ont dit qu'ils n'allaient rien changer... Dans des films de studio, le héros aurait pu éventuellement embrasser le personnage de Kim (ndlr : Rachel Bilson) mais se serait ensuite rendu compte que c'était mal. Là il l'embrasse et revient la voir pour coucher avec elle ! Beaucoup d'hommes dans la situation de Michael le feraient... surtout si la femme en question est Rachel Bilson ! J'ai trouvé cela très réaliste et rafraîchissant.
Les mauvais choix de Michael lui sont-ils nécessaires pour sa vie, et même pour sa relation avec Jenna ?
Je le pense. Il a besoin de cette pièce manquante du puzzle afin de pouvoir se marier, de voir à quel point elle ne signifie rien en comparaison de sa vie avec la femme qu'il aime et qui attend son enfant. Et même s'il risque de perdre l'amour de sa vie, il doit vivre cette expérience. C'est nécessaire pour lui parce que ça lui permet de grandir. C'est une grande étape. Il ne le fera plus et je ne crois pas qu'il l'a fait avant. Il avait besoin de voir ce que serait la vie sans Jenna et, encore une fois, il réalise qu'il ne veut justement de cette vie-là.
Le film est un d'un romantisme réaliste, où rien n'est facile à construire et tout peut se détruire très rapidement. "Last Kiss" montre-t-il le côté obscur de l'Amour ?
Beaucoup de spectateurs vont au cinéma pour y voir l'Amour magnifié. Je le comprends d'autant mieux que dans Garden state je désirais une fin romantique. Mais je crois qu'il est également intéressant de voir les aspects sombres de l'Amour.
Nous avons tous eu le coeur brisé et nous avons tous brisé des coeurs, je trouvais intéressant d'explorer ça dans Last kiss.
Vous parliez de gros films de studio précédemment. Pourquoi n'être jamais apparu dans l'un d'eux ?
J'ai fait Chicken Little (rires) ! Je n'ai jamais joué dans ces films tout simplement parce que je ne les aime pas. Je suis très heureux de pouvoir vivre confortablement grâce à Scrubs, et je n'ai aucune envie de devenir l'homme le plus riche du monde. J'ai la chance de pouvoir choisir les films que je veux faire, je n'ai pas à accepter des navets afin d'obtenir un gros chèque et, pour un acteur, c'est une bénédiction. C'est un des principaux avantages de Scrubs. Je n'ai pas à courir partout et à accepter des propositions des studios pour faire de l'argent. Je ne dis pas que je n'en ferai jamais mais je peux attendre un qui me plaise vraiment. Je ne suis pas obligé de faire un film à propos de moi... et d'un singe (rires) !
A ce propos, quel est le plus beau film que vous ayez vu dernièrement ?
Volver ! C'était tellement puissant et Penélope Cruz y est incroyable.
Tony Goldwin à la réalisation, Paul Haggis pour le scénario, Tom Wilkinson, Blythe Danner au générique. L'équipe de "The Last Kiss" est une vraie Dream Team...
C'est vrai. Ce qui est marrant c'est que j'ai adoré le scénario de Paul mais quand il l'a écrit il n'était pas encore aussi célèbre. Million dollar baby venait à peine de sortir. Je n'aurais jamais imaginé qu'il devienne un double lauréat des Oscars ! Il a fait un boulot extraordinaire sur le script de Last kiss. J'aime également beaucoup Tony Goldwyn parce qu'il est à la fois acteur et réalisateur. C'est toujours agréable d'être dirigé par un acteur parce qu'il vous comprend, sait comment vous parler et ce que vous voulez donner. La performance d'un acteur sera meilleure s'il sent qu'il collabore réellement et qu'il n'est pas simplement utilisé.
Les acteurs adorent sentir que vous les avez engagés pour ce qu'ils peuvent apporter et pas simplement pour dire des répliques, et Tony le comprend parfaitement.
"Last Kiss" est un drame, "Scrubs" une comédie. Est-ce important pour vous de passer d'un genre à l'autre ?
Si je fais toujours la même chose je finis par m'ennuyer. Quand vous travaillez sept mois par an sur une série comique, vous n'avez qu'une idée ensuite : jouer un drame. Et après un drame très sombre, je ne parle pas forcément de Last kiss mais plutôt de l'adaptation du film de Susanne Bier, Open hearts, je suis sûr que j'aurai envie après de faire de la comédie. Faire toujours et encore la même chose est ennuyeux, et c'est vrai pour n'importe quel métier. Je ne serais pas très performant sur une chaîne de montage.
Que pouvez-vous justement nous dire sur "Open Hearts", votre prochain film en tant que réalisateur ?
C'est l'histoire d'un homme qui devient tétraplégique à la suite d'un accident de voiture et des conséquences de ce drame sur les deux familles impliquées. C'est limpide, presque comme une pièce de théâtre. Le film de Susanne Bier fait partie du Dogme, dont je ne suis d'ailleurs pas particulièrement fan. J'aime leur matériau mais pas leur style. Je ne supporte pas les caméras vidéos tremblantes (rires) ! Malgré tout, le film original était magnifique, il parlait de la vie d'une façon très simple. Et j'ai pensé que si je trouvais les bons acteurs, ça pourrait donner quelque chose de magnifique.
Et qui sont ces acteurs en question ?
Je ne peux pas rien en dire. Je suis en train de les approcher.
Propos recueillis par Thomas Destouches à Paris le 2 octobre 2006