"Sur l'écran noir de mes nuits blanches..." chantait jadis Claude Nougaro. Des paroles qu'on aurait pu entendre sur 5:55, le deuxième album de Charlotte Gainsbourg, dans les bacs depuis le 28 août (Because Music) et déjà Disque d'or. 20 ans après Charlotte for ever, écrit et composé par son père à tête de chou, elle revient avec un CD en forme de B.O.R. (Bande Originale de Rêve), peuplé de fantômes, de fantasmes et d'obsessions en tous genres. Au casting : le tandem versaillais Air -très inspiré- et la crème de la pop anglo-saxonne (Jarvis Cocker de Pulp, Neil Hannon de Divine Comedy), et à la production le très couru Nigel Godrich. Pour Allociné, Charlotte Gainsbourg a accepté de se prêter au jeu du blind test, réagissant avec humour, spontanéité et curiosité aux morceaux que nous lui avons proposés, de Robert Mitchum ! Ca fait longtemps que je connais ça et j'adore. Je me souviens que ça m'avait surprise d'apprendre qu'il avait enregistré un disque parce que je ne connais pas bien sa vie.
La Nuit du chasseur m'a beaucoup influencée pour l'album. Mais c'est à l'opposé de ce qu'on entend là ! (sourire) J'ai eu beaucoup de plaisir à me plonger dans l'univers de ce film, son côté faussement naif. Je l'ai revu avant d'entrer en studio, et je suis toujours autant frappée par cette manière de filmer. Ce n'est d'ailleurs pas forcément lié à la musique du film, bien que Air, je crois, s'en soit pas mal inspiré... Et puis il y a un thème que j'adore, quand la petite fille se met à chanter sur la barque, avec une voix très pure, sur très peu de musique. Air m'a filé la BO de Brown Bunny, où il y a aussi ce côté ballade, chanson américaine.
Beck : Paper tiger (extrait de l'album Sea change, 2002)
(croyant reconnaître une reprise d'une chanson de son père) Ah oui d'accord, c'est sur l'album-hommage... Ce n'est pas Neil Hannon, ni Jarvis... (se reprenant) Mais non, en fait, ça ne fait pas du tout partie de cet album. Ah bon, ce n'est pas une reprise de mon père ? C'est énorme : les violons, c'est exactement Melody Nelson ! Ah, c'est Beck... Sur mon album, il y a plein de clins d'oeil à mon père, d'évocations. On les a vécues très simplement et ouvertement, sans tabou, sans faire les choses par en-dessous. Ca me faisait vraiment plaisir quand j'entendais un son de basse ou un rythme qui me rappelaient quelque chose qu'il avait fait. Nigel était le plus effacé par rapport à mon père, c'est avec Air qu'on l'a beaucoup évoqué.
Ce que j'ai découvert avec plaisir en enregistrant ce disque, c'était de pouvoir voir des musiciens travailler. Tout se faisait en même temps : Air travaillait sur des morceaux, moi j'essayais d'écrire des bouts de trucs, Nigel travaillait de son côté, et puis j'allais chanter à un moment... Certains jours, je n'avais rien à faire, j'avais juste le plaisir d'être là, à les regarder travailler, à voir comment se crée une chanson, instrument après instrument. C'était très excitant pour moi de voir la naissance d'un morceau.
Romy Schneider : La Chanson d'Hélène (extrait de la BO des Choses de la vie de Claude Sautet)
Ah, je connais ça. Vous me dites que c'est une actrice... C'est Romy Schneider ? Et c'est Piccoli qu'on entend parler... On m'a filé une compil avec cette chanson, et on m'a prévenue que c'était très émouvant. Mais je ne l'ai pas encore écoutée... Donc j'ai deviné sans connaître !
Qu'on soit acteur ou pas, je pense que la musique est à la portée de tout le monde. Il est évident qu'un acteur est tenté de le faire : ce n'est pas si loin, même si ce sont deux domaines complètement différents. Si ça me paraît assez naturel, c'est aussi parce que depuis toujours j'ai vu mon père faire chanter des actrices... Mais la différence, c'est qu'un studio d'enregistrement est un univers beaucoup plus fermé qu'un plateau de cinéma. On est dans une intimité, pas sous les yeux d'une équipe : quand je chantais, j'étais face à Nigel, c'est tout. Et puis on ne fait pas passer la même chose quand il n'y a que le son. Dès qu'il y a l'image, c'est très différent. J'ai l'impression qu'il y a quelque chose de très intime avec la chanson. Il y a moins de masque : même si ce ne sont pas forcément nos mots, il y a une intimité qui passe.
Oui Oui : Les Cailloux (extrait de l'album Chacun tout le monde, sorti en 1989 ; le batteur du groupe Oui Oui n'était autre que Michel Gondry, le futur réalisateur de "La Science des Rêves")
Vous dites que je connais un musicien de ce groupe ? Ah oui, c'est le groupe de Michel Gondry ! Il m'en a parlé, comment ça s'appelle déjà ? C'est ça, Oui Oui ! Je n'avais jamais entendu.
C'est vrai que j'ai fait deux films sur le rêve, La Science des rêves et Anna Oz, et que sur l'album on parle beaucoup des rêves aussi... Le rêve, c'est une échappatoire. Tout le côté analyse, c'est pas mon truc, je ne maîtrise pas du tout. J'ai vu récemment un documentaire qui disait que le souvenir qu'on a de nos rêves, ça représente juste un petit instant avant le réveil, c'est vraiment rien... J'aime l'idée de se plonger dans un univers, et le rêve facilite cela. L'histoire qu'on s'était racontée pour l'album, c'est qu'après la première chanson [5:55], je suis sensée m'endormir. Donc après, ça laisse le champ libre : il peut y avoir un voyage en avion (la chanson AF607105), une introspection (Beauty mark)... Quand je pensais à l'album, les références de films que j'avais tournaient autour de la nuit, des rêves, des cauchemars. Je sais pas pourquoi ça m'anime à ce point. Je trouve que les rêves ont une puissance terrible : je peux être très très perturbée par mes rêves...
Baby Birkin : Et même (extrait de l'album Classée X, paru en 1998 ; Baby Birkin était un groupe anglais de reprises de chansons françaises, produit par Russell Senior, ancien complice de Jarvis Cocker au sein de Pulp...)
Ah bon, ça s'appelle les Baby Birkin ? C'est drôle ! Jarvis Cocker ne m'en a pas parlé. Faire des reprises ? C'est effectivement un des problèmes qui se pose si je fais de la scène : j'ai un seul album à jouer -parce que je ne vais pas chanter les morceaux de mon premier disque [Charlotte for ever]-, et on ne tient pas les gens pendant 1h30 avec un seul album. Mais les reprises, ça me paraît tellement vaste ! Je n'ose pas m'attaquer à des trop grands artistes. J'ai pensé aux Pink Floyd, mais en même temps c'est des monstres... J'ai trop peur d'écorcher les morceaux, et si c'est pour faire quelque chose de pas très intéressant, ça vaut pas le coup.
L'autre problème avec les concerts, c'est : comment chanter l'album sur scène ? Tout le monde le dit : un live, ça ne sonne pas pareil qu'un album. Il faut donc que ce soit différent, mais comment faire différent ? Je ne vais pas transformer ces titres en chansons pop pour la scène, il faut travailler sur un son. Je n'ai pas les réponses à toutes ces questions, et ça me panique plus qu'autre chose... J'ai commencé à chanter en live pour des télés, et je ne suis pas du tout à l'aise. J'aurais bien aimé avoir six mois de travail derrière moi, me sentir un peu plus maître de moi. Dès que le trac monte, je n'ai plus de voix, plus de souffle. Il faut que j'arrive à me contrôler sinon...
Georges Delerue : Julien et Barbara (extrait de la BO de "Vivement dimanche !", qu'on entend également sur la BO de 2046)
C'est 2046 ! Il y a un thème vraiment sublime sur cette BO, le thème principal je crois. J'ai été transportée par ce film, sans forcément tout comprendre d'ailleurs, mais vraiment transportée par la beauté des acteurs, la musique... Ca fait partie de ces musiques grandioses, très très puissantes, sans complexes, chargées. J'aime bien les musiques chargées ! (sourire)
Très souvent, les musiques que j'écoute me renvoient à des époques, et aux sentiments qui vont avec. Parfois, il y a beaucoup de mélancolie à retrouver des sentiments très anciens. Il m'arrive d'écouter des musiques pas forcément géniales, mais qui sont chargées de souvenirs. J'aime par exemple écouter certaines comédies musicales qui ne sont pas des chefs d'oeuvre, mais qui provoquent des choses en moi, liées sans doute à l'enfance.
Drugstore : El president (duo avec Thom Yorke, le chanteur de Radiohead, extrait de l'album White magic for lovers, sorti en 1998)
J'ai l'impression de connaître... On dirait une reprise de Dylan. C'est Thom Yorke ! Je ne savais pas qu'il avait fait ce duo. C'est à un concert de Radiohead, au Réservoir, que j'ai rencontré Nicolas de Air. Je suis une telle fan de Radiohead ! Et Yvan aussi, avant moi d'ailleurs. Après ce concert, on est allé dîner avec le manager de Radiohead, et le guitariste je crois. Et peu après je me suis permis de rappeler Air. Donc c'est vrai que Radiohead est un peu le point de départ de cet album, même si c'est anecdotique. Mais pour ce concert du Réservoir, il n'y avait que Thom Yorke et un guitariste [Johnny Greenwood]. Depuis, j'ai vu le groupe au complet à Rock en Seine, et j'ai trouvé ça magique. C'est un des plus beaux concerts que j'ai vus. Ce type est tellement puissant, et très humain. Et il y avait cette réaction magique du public... Je ne savais pas que le groupe avait un tel succès en France, que les gens connaissaient les chansons par coeur ! C'était un concert incroyable.
Michel Legrand : Devant le garage (extrait de la BO des "Parapluies de Cherbourg")
Ah c'est genre... Jacques Demy. Les Parapluies de Cherbourg ? J'ai plus écouté les comédies musicales américaines. La seule comédie musicale française que j'aie vraiment écoutée, c'estPeau d'âne (Peau d'âne), un film que j'ai dû voir 50 fois quand j'étais petite.
[on évoque le mélange de douceur et de noirceur des comédies musicales, qu'on retrouve dans son disque] J'aime bien ce mélange. Je n'aurais pas eu envie de faire un album noir, mélancolique, sur une seule touche. J'aime bien justement le côté contradictoire : des rêves qui peuvent être des cauchemars, un côté enfantin mais aussi effrayant... Tourner aujourd'hui dans une comédie musicale ? [elle fait la grimace] Ca me paraît difficile d'être aussi innocent qu'on pouvait l'être à l'époque...
Rufus Wainwright (photo) : Beauty Mark (extrait de l'album Rufus Wainwright, sorti en 1998)
C'est une chanson qui s'appelle Beauty mark, c'est ça ? (sourire) On en avait parlé avec Nigel... Sur mon album, cette chanson, Beauty mark, a quelque chose de très intime, mais en fait elle ne vient pas du tout de moi. Nicolas et Jean-Benoit sont venus avec le titre, ensuite il a pris une autre tournure avec Neil Hannon, à qui j'avais demandé d'en faire quelque chose de plus sinistre, de plus douteux... Je voulais de toute façon éviter le côté mièvre, il fallait un double sens. Jarvis aussi sait faire ça, il apporte un truc souterrain très intéressant. Mais toutes les chansons, je me les suis appropriées. Ce ne sont pas mes mots, mais j'ai chanté comme si c'était mes mots. J'ai l'impression que je me livre beaucoup.
Les chansons viennent parfois d'une envie de moi, comme Little monsters ou Morning song : là, j'étais sûre du sujet que je voulais aborder, j'avais même écrit des petits textes... Le voyage en avion, ça vient vraiment de Jarvis, mais j'ai pu parler avec lui de ce que ça m'évoquait. De manière générale, j'ai l'impression qu'on était plutôt sur la même longueur d'ondes. Mais par exemple, pour la chanson Jamais [qui parle du métier d'actrice], on a beaucoup discuté : j'ai beaucoup parlé de mon rapport au métier, de la façon dont je je vivais les choses, de mes rapports avec les metteurs en scène, etc. Et il en a fait quelque chose de totalement différent, sur un ton plus dur, plus revendicateur. Et par exemple, l'expression "Sincere impostor" [qu'elle prononce dans la chanson Little monsters] a beaucoup de sens pour moi ! Autant comme parent (ce dont parle la chanson) que comme actrice, comme chanteuse, comme tout ce que j'ai pu faire. Est-ce parce que je n'ai pas eu le parcours classique d'une actrice, avec les cours de théâtre, l'idée de gravir des échelons ? Je ne sais pas...
Jane Birkin : L'Homme imparfait (sur l'album Live in Japan, sorti en 2000)
Ah bon, c'est une chanson qu'elle a écrite ? (rires) C'est dingue, elle ne m'en a jamais parlé... Je savais qu'elle avait l'intention de s'écrire un album. Et d'ailleurs je suis sûre qu'elle va le faire. S'il y a des similitudes entre mon album et le sien [Fictions, paru il y a quelques mois], ce sont des hasards. Par exemple, pour Neil Hannon [qui a écrit pour l'une et pour l'autre], je ne lui avais pas dit qu'on l'avait appelé, et elle ne m'en avait pas parlé non plus... Donc ce sont vraiment des hasards qu'on a découverts chacune très tard. C'est drôle.
J'ai essayé d'écrire des textes, et j'ai continué tout au long de la durée de l'enregistrement, mais je ne me suis pas du tout sentie douée pour ça, je n'arrivais pas à quelque chose dont j'étais fière. J'ai vu des personnes qui y arrivaient tellement mieux que moi... Le seul texte qui reste, c'est le texte de fin. Mais ce n'est pas une frustration, c'est juste que ce n'est pas forcément mon truc. Peut-être que je peux réessayer, que j'y arriverai mieux la prochaine fois.... Voilà : "Peut mieux faire" (sourire).
Ricchi e poveri – Sara perche ti amo (extrait de la B.O. de L'Effrontée)
Ah ça, c'est facile ! C'était super, je me souviens que nous mettait cette musique pendant le tournage, on marchait en rythme dessus... Les scènes étaient vraiment faites avec la musique, et ça c'est un plaisir, ça provoque des vraies sensations. Ca m'est arrivé d'autres fois, par exemple sur un film italien qui n'est pas encore sorti [], le metteur en scène était très animé par une musique. Là, je vais faire un film sur Dylan [ de ], et le scénario est truffé de textes de Dylan. On sait déjà que sur telle scène, il y aura telle chanson. Ca fait partie du projet -mais c'est un cas rare. Sinon, je ne me fais pas une bibliothèque musicale pour un rôle. J'écoute des choses, mais pas forcément en fonction de mon personnage.
[Sur le fait que de nombreuses jeunes actrices, comme Sylvie Testud et Natacha Régnier, déclarent avoir eu envie de faire ce métier après avoir vu "L'Effrontée"] Ca me touche vachement. Sylvie Testud, je le savais. Natacha Régnier, j'ai cru comprendre -je sais pas bien comment- qu'elle m'aimait bien. Mais sinon je ne savais pas que ce film avait eu cet effet dont vous me parlez, car je ne lis pas les interviews. Ce qui me touche beaucoup, c'est quand j'apprends que des enfants de 13 ans regardent L' Effrontée encore aujourd'hui. C'était tellement fort pour moi, ce film !
The White Stripes : One more cup of coffee please (reprise d'une chanson de Bob Dylan, sur l'album The White Stripes, paru en 1999)
C'est marrant, la voix me fait penser à . Ah, mais non c'est les White Stripes ! Je les adore. Je ne connaissais pas cette reprise de ...
Le scénario du film deTodd Haynes est très intrigant. Ca s'appelle mais le sous-titre est : Suppositions on a film concerning Dylan. Et c'est vraiment ça. C'est complètement imaginaire, comme cinq facettes qui pourraient représenter Bob Dylan : un adolescent, un personnage qui rappelle Rimbaud, un autre qui pourrait être un prêtre... Une de ces facettes serait une star du cinéma pendant la Guerre du Vietnam, un acteur a priori engagé, qui devient une grande vedette, et qui a une histoire d'amour qui dure de 1963 à 1973. On raconte donc la rencontre, la vie de famille, et la rupture de ce couple, dont je joue la femme [ce "Bob Dylan" étant interprété par Heath Ledger]. J'espère pouvoir tourner ensuite un film de James Ivory. Après, ça dépend : si je fais de la scène, il faut vraiment que je prenne du temps pour ça.
Propos recueillis le 4 septembre 2006 par Julien Dokhan