LE CONCEPT
Quelle a été votre réaction en apprenant que les personnages seraient des voitures ?
Darla K. Anderson : Je venais de terminer Monstres & Cie, et j'étais enchantée de travailler de nouveau avec John Lasseter. Cependant, le fait que les personnages soient des voitures me laissait un peu sceptique. Mais John débordait déjà d'idées, alors je lui ai fait confiance.
En quoi "Cars" diffère-t-il des autres films ?
Chez Pixar, chaque film a sa touche personnelle. Cars aborde des thèmes profonds et est très différent de nos précédentes créations.
Pixar n'a cessé de développer l'animation en images de synthèse. Est-ce l'une de vos principales préoccupations dans votre travail de productrice ?
La technologie ne doit jamais primer sur l'histoire et les personnages. Nous cherchons surtout à véhiculer des sentiments et à donner au spectateur l'impression de faire partie de l'univers du film. La technologie doit servir la narration. Elle n'est jamais une fin en soi.
Faut-il être passionné par les voitures pour apprécier "Cars" ?
Non, heureusement ! Nancy, la femme de John, ne s'intéresse absolument pas aux voitures, et elle nous a en quelque sorte servi de "mètre étalon" : si ce qu'on faisait lui plaisait, alors cela pourrait plaire à tous ceux que les voitures laissent indifférents. Nous voulions que n'importe quel spectateur puisse être bouleversé par cette histoire très émouvante.
Quel message le film souhaite-t-il faire passer ?
Ce n'est pas la course, mais le voyage qui compte. Il faut profiter de chaque instant. De nos jours, on est toujours en train de se presser. Nous sommes pris dans une course éperdue qui semble ne jamais devoir s'arrêter. Les gens se servent de la technologie pour gagner du temps. Parfois, il vaut mieux faire tranquillement quelques détours plutôt que d'aller droit au but.
Pourquoi faut-il aller voir ce film ?
Il est merveilleux. Les spectateurs seront surpris, ils seront entraînés dans l'histoire et se laisseront porter par elle.
Quelle a été votre réaction en voyant la version finale ?
Je me suis sentie très fière. Je ne me lasse pas de la revoir. J'aime particulièrement le dénouement, ainsi que le générique de fin qui est très drôle. Les personnages sont tous très attachants.
LES PERSONNAGES
Avez-vous un personnage préféré ?
Je ne saurais lequel choisir... L'un de mes préférés est le camion de pompiers parce qu'il s'exprime très peu. C'est un camion gentil et timide qui arrose les fleurs. Il ne ressemble en rien à l'image que nous avons des camions de pompiers conduits par des hommes musclés et courageux.
Les voix sont très importantes dans la construction des personnages. Quels acteurs ont été choisis pour "Cars" ?
Owen Wilson prête sa voix à Flash McQueen (Guillaume Canet en VF, NDLR), Paul Newman à Doc Hudson (Bernard-Pierre Donnadieu en VF, NDLR) et Bonnie Hunt à Sally la Porsche (Cécile de France en VF, NDLR). Ce sont les trois personnages principaux, auxquels il faut ajouter Mater, une énorme dépanneuse qui a la voix de Larry The Cable Guy. Leur travail a beaucoup influencé notre vision des personnages.
Le regard que vous portez sur les voitures a-t-il changé ?
Oh oui, grâce à la Fiat de 1959, Luigi, et à la Porsche, Sally, ainsi qu'aux semi-remorques et aux autres... Les films ont le pouvoir fascinant de vous faire voir différemment les objets de votre quotidien. Les voitures me paraissent un peu plus vivantes maintenant !
Vous avez parcouru la Route 66 pour préparer le film...
En 2001, avec John, j'ai participé au premier des nombreux voyages effectués pour le film sur la Route 66, cette nationale mythique qui reliait des centaines de communautés rurales de l'Illinois, du Missouri et du Kansas à Chicago. Nous avons redécouvert combien l'Amérique est immense, faite d'horizons sans fin et de personnes très chaleureuses. C'était une façon de renouer avec notre passé, puisque nos ancêtres ont emprunté cette route pour s'installer dans l'Ouest dans les années trente, avant que la plupart de nos parents ne l'utilisent pour rendre visite à leurs proches ou aller en vacances.
Vos rencontres au cours de ce voyage vous ont-elles inspirés ?
Les personnages sont en effet inspirés des personnes que nous avons rencontrées. Nous avons gardé contact avec la plupart d'entre elles. Elles font désormais partie de la famille Pixar !
L'IMAGE DE SYNTHESE ET SES DEFIS
Quels sont les principaux défis que vous avez dû relever ?
La principale difficulté touche toujours au réalisme de l'histoire et de ses personnages. John est très minutieux. Il voulait créer un monde complexe et splendide où l'on retrouve l'asphalte de la Route 66, les marques de peinture écaillée, la poussière qui vole, des paysages grandioses et les effets de lumière sur les voitures.
Comment avez-vous fait ?
Il a fallu beaucoup de recherches et de calculs. Les animateurs de Pixar sont parmi les meilleurs au monde. Ils aiment perfectionner les logiciels et en exploiter toutes les possibilités. En procédant avec méthode, ils ont su répondre à chaque demande de John, qui les guidait en précisant sa pensée. C'était un véritable travail d'échange.
Quel a été le plus important défi technologique ?
Les reflets dus à la lumière. Nous avions déjà reconstitué ce phénomène par images de synthèse, dans Les Indestructibles par exemple, mais nous n'avions encore jamais atteint un tel degré de précision.
A quel moment cette technique est-elle utilisée ?
Pour les effets de lumière sur les carrosseries des voitures. John tenait à ce que les paysages y soient reflétés presque à chaque moment du film. C'est extrêmement difficile avec des véhicules en mouvement. Quand deux voitures avancent, il faut refléter à la fois le deuxième véhicule, les arbres et leurs feuilles, les rochers et les cours d'eau sur l'ensemble de la carrosserie, sans oublier les enjoliveurs.
Certaines scènes du film ont mis des ordinateurs hors service...
En effet. Une scène a même achevé un de nos ordinateurs.
Comment cela peut-il se produire ?
Nous poussons nos logiciels jusqu'à leur extrême limite. Pour une scène comme celle où Doc Hudson tourne le coin d'une rue et soulève un énorme nuage de poussière, l'ordinateur doit calculer les mouvements de chaque particule et estimer les variations induites sur les reflets à chaque instant. Nous avons recherché et combiné différents types d'effets avec tous les environnements, les scènes d'action et les objets animés possibles. Nous avons parfois trop sollicité notre ordinateur, qui a fini par lâcher. Il faut alors réexaminer nos projets et trouver la faille.
LA PRODUCTION
Combien de personnes ont-elles travaillé sur le film ?
260 en tout, et jusqu'à 240 en même temps.
Comment gère-t-on cela en tant que productrice ?
J'ai un producteur associé, un directeur de production et des directeurs pour chaque secteur. Ils sont tous extraordinaires, mais cela reste quand même un difficile travail de jonglage.
Que pensez-vous de votre collaboration avec John Lasseter, le réalisateur du film ?
Il sait faire confiance à sa vision des choses, souvent très juste et très humaine. Un réalisateur doit être capable de communiquer clairement ses idées. John a aussi cette qualité-là. Il oblige chacun à donner le meilleur de lui-même et est conscient des efforts entrepris pour le satisfaire. C'est pourquoi il reste compréhensif et patient même quand il s'aperçoit que le résultat ne correspond pas exactement à ce qu'il attendait. Il commence toujours par remettre en cause ses explications et garde à l'esprit que la personne a travaillé sans relâche depuis trois jours pour lui présenter ce travail. Il reprécise alors ce qu'il veut pour l'obtenir enfin.
Si quelqu'un lui dit que c'est impossible, cherche-t-il à savoir pourquoi ?
Oui, et il pose des questions très précises qui lui permettent de comprendre ce qu'il peut attendre de l'image de synthèse. Cet échange est motivant et très enrichissant pour les techniciens et animateurs. John est très apprécié et respecté pour ses connaissances en infographie.
Combien de temps avez-vous travaillé sur ce film ?
4 ans et demi. Cela peut paraître long, mais qu'importe !
Comment avez-vous pu tenir un tel rythme pendant une si longue période ?
C'est très fatigant. Chaque jour, il faut gravir une nouvelle montagne, qu'il s'agisse de l'histoire, des aspects techniques ou du style. On n'a jamais le temps de s'ennuyer ! Quand on est trop épuisé, il faut prendre un long week-end et se ressourcer.
Et se tenir à l'écart des voitures ?
Il y a des voitures partout ! Je suis très attachée à ce film. Je ne me lasse pas de le regarder.