Le monde du skateboard
Larry Clark : J'aime les skaters, j'aime skater, j'aime le skateboard. Même avant de faire Kids, j'avais envie de faire un film sur le skateboard et le mode de vie des skaters. Visuellement et humainement, ce milieu m'attire. Donc ma première idée fut de faire un film sur les adolescents et d'utiliser des skaters comme acteurs. Et je me suis mis au skate moi-même. Bien que j'ai arrêté depuis, à l'époque je savais skater correctement. Etre sur des roues toute la journée, foncer dans la ville, utiliser la ville comme un terrain de vie géant, ne pas se préoccuper de l'argent, j'aime cette liberté. Les adultes détestent les skaters pour cette raison, parce qu'ils sont libres, qu'ils ont leurs propres règles, qu'ils s'amusent entre eux et sont indépendants. Ils forment un groupe à part. C'est pour ça que j'aime les skaters. En plus le skateboard peut sauver des vies.
Lorsque j'ai découvert le skate à a la fin des années 80, c'était comme le punk-rock. Si vous écoutez les paroles des groupes de punk, ils parlent souvent de familles dysfonctionnelles, et la plupart des skaters viennent aussi de familles qui clochent. Et le skate a pu sauver leur vie. C'est le grand truc : vous pouvez avoir tous les problèmes du monde, être suicidaire, mais vous avez votre planche, et lorsque vous êtes dessus tout disparaît, vous oubliez vos problèmes, vous êtes juste libre. C'est un sport magnifique. Un sport brutal mais libre. Dans Wassup rockers, je voulais montrer ce que skater signifie vraiment. Pendant la séquence des marches à Beverly Hills, les ados tombent et se blessent, puis sautent à nouveau, encore et encore. C'est ce qu'ils font tout le temps.
Les acteurs
Je reste en contact avec mes acteurs. Je travaille, donc je ne les vois pas tout le temps. Mais je les revois, absolument. Qu ce soit Leo Fitzpatrick de Kids ou Brad Renfro de Bully à qui j'ai parlé la semaine dernière. Les kids de Wassup rockers, je les vois chaque semaine, je les photographie depuis deux ans. Donc j'ai beaucoup de matériel sur eux, j'aimerais d'ailleurs en faire une exposition et un livre, lorsque j'en aurais le temps. Et Jonathan de Wassup rockers, c'est déjà un acteur de cinéma ! La caméra l'aime. Vous ne pouvez pas prendre une mauvaise photographie de lui. Son charisme est frappant. Il a beaucoup d'amis, il attire les filles aussi. Les femmes l'adorent. Un jour une femme de soixante ans a vu le film et elle adorait ce gamin, elle le trouvait très attirant ! Francisco s'est aussi révélé au cours du film. Il était très curieux de tout ce qu'il se passait sur le plateau. C'est le film de Francisco et Jonathan.
Un tournage sous haute tension
Sur le tournage, j'ai été malmené autant physiquement que mentalement. Car le but était de faire évoluer ces kids en toute liberté, qu'ils soient eux-mêmes. Mais il n'y avait personne pour les contrôler. Je ne pouvais pas leur dire : "Asseyez-vous ici et taisez-vous !", ça ne marchait pas comme ça. Quand vous êtes un film, ce qui demande de la discipline, car le temps c'est de l'argent, qu'il y a beaucoup de personnes impliquée, l'éclairage, les caméras, tout devient plus difficile.
L'univers de la mode
Je connais un peu ce monde à travers mon actrice Tiffany Limos, qui a travaillé dans la mode pendant un temps, et je voulais montrer ce monde sous un angle comique. Lorsque les jeunes s'enfuient à travers les maisons de Beverly Hills, je me suis demandé qui ils pourraient bien rencontrer. Et je me suis dit : "Faisons-les surgir au milieu d'une fête branchée". Ces ados surgissent par-dessus la palissade, avec leurs fringues noires et sales, le nez en sang. Et comment les stylistes réagissent-ils ? "Ouah, voilà ma prochaine campagne de pub, c'est génial !" Parce que c'est le jeu de la mode qui veut ça, pour vendre des habits on récupère tout et n'importe quoi. En fait, cette idée est venue du reportage pour Rebel Magazine qui est à l'origine de ce film, et qui m'a permis de découvrir ces jeunes. Le deal initial me garantissait dix pages de photographies et la couverture avec Tiffany Limos. Et finalement, on s'est retrouvé avec vingt-trois pages de photos, une interview et deux couvertures, une avec Tiffany et l'autre avec Jonathan. Lorsque le magazine est sorti, un styliste m'a appelé et m'a demandé qui était Jonathan, qu'il voulait utiliser pour sa prochaine campagne. Il m'a demandé "Est ce que je peux l'avoir ?". Je lui ai dit que non, parce que j'allais faire un film sur lui. Alors il m'a demandé : "Est ce que je peux l'avoir quand vous aurez terminé avec lui" ? C'était une des choses les plus drôles que j'ai jamais entendues dans ma vie.
Les kids du film
Ce sont ces jeunes qui veulent juste s'amuser et être eux-mêmes. Ils ne veulent pas être comme les autres personnes du ghetto, porter des baggys, couper leurs cheveux, fumer des joints. La pression sociale dans le ghetto est énorme. Ils se font harceler simplement parce qu'ils veulent écouter du punk-rock et ne pas se conformer au mode de vie des autres jeunes. Ils ne veulent pas appartenir à un gang. Peut-être qu'ils le feront plus tard. Mais maintenant ils ont encore cette pureté. Ils ne veulent pas prendre de drogues parce qu'ils voient ce qu'il arrive aux autres. Ils veulent juste prendre du bon temps. Et on ne voit pas ce type de jeunes au cinéma. Dans les films on les voit dans des gangbangs, en prison, prendre de la drogue, mais ces jeunes-là ne sont pas comme ça. Et je voulais montrer leur mode de vie dans ce film.
La musique
La bande originale du film, c'est le punk-rock qui est fait là-bas, dans le ghetto. Ils organisent des concerts privés dans leur jardin, il faut payer deux dollars l'entrée, et tous les punk latinos viennent, habillés en noir, les cheveux en pic. Et les groupes de punk qui jouent là-bas n'ont jamais rien enregistrés, ils sont amateurs mais leur musique est géniale, il y a une énorme énegrie là-bas. Je voulais que la bande originale reflète ça. J'adore cette musique.
Sharon Stone
Sharon Stone est créditée comme productrice exécutive. Elle n'était pas vraiment impliquée dans le projet, mais elle aime mon travail et voulait le soutenir. C'est une amie de Henry Winterstern, qui est l'un de mes producteurs, et on a ajouté son nom pour que cela puisse aider à lever des fonds. Je lui en suis très reconnaissant. Elle est même venue un jour sur la plateau. Les jeunes ne savaient pas du tout qui elle était. Ils sont nés au début des années 90, donc ils ignorent qui elle est. Lorsque j'ai dit à Francisco qu'elle était un grande star de cinéma, il est venu la voir et a demandé s'il pouvait sortir avec elle ! Sharon lui a répondu qu'il fallait qu'il grandisse encore un peu. Il y a quelques années, avoir le nom de Sharon Stone au générique n'aurait pas été très glorieux, mais maintenant elle est dans le dernier film de Jim Jarmusch, Broken flowers, donc elle a une touche indépendante qui redonne un nouveau cachet à sa carrière.
Un scénario plus vrai que nature
Tout ce qui est dans le film nous est vraiment arrivé. Par exemple, je trimballais les jeunes dans ma Toyota, ils étaient parfois une douzaine, ils se mettaient à cinq derrière et quand il y avait trop de personnes, deux d'entre eux se mettaient dans le coffre! C'est de là que j'ai tiré l'idée de la scène de la voiture, qui est dans le film.
Il y a aussi un autre moment où Jonathan est avec sa petite amie sur le lit, il mange une sucette et elle du chewing gum. Un jour je suis venu chez Jonathan après la fin des cours, ses parents n'étaient pas là et je suis allé jusqu'à sa chambre. Jonathan et sa copine étaient là sur le lit, ils venaient de prendre une douche et ils mangeaient des bonbons, qui étaient tous alignés en rang sur le lit. Je me suis dit qu'ils venaient de faire l'amour, de prendre une douche, d'être sorti acheter les bonbons et maintenant ils les mangeaient. Ils avaient tout ce qu'un ado désire à cet âge-là : du sexe et du sucre ! Je me suis dit que dans le film, Jonathan mangerait des bonbons après avoir fait l'amour. Pendant le tournage Jonathan est sorti avec la fille qui jouait justement sa copine dans le film. Il ne la connaissait pas avant, elle est actrice, mais comme il plaît beaucoup aux filles il l'a tout de suite séduite et ils étaient ensemble pendant le tournage. Et j'ai donc mis cette scène où elle fait des bulles de chewing gum et lui met sa langue dedans pour dégonfler la bulle. Et ça venait de ce que j'avais vu dans la chambre de Jonathan. Dans les films les adultes fument une cigarette après l'amour, ici les enfants mangent des bonbons !
Prenez aussi la scène du policier. Cette scène est arrivée en vrai pendant qu'on faisait les repérages. On a été arrêtés et ils ne voulaient pas nous laisser partir. Alors que les jeunes de Beverly Hills viennent skater là tous les jours ! Mais quand le flic a su que nous nous venions de South Central, ils ne voulaient pas nous laisser partir ! On a dû aller au tribunal de Santa Monica et payer des amendes ! Et la scène s'est retrouvée dans le film. C'était tellement raciste. Il nous a arrêtés juste parce que les jeunes étaient latinos. Je lui ai demandé combien d'amendes il avait donné ici depuis trois mois. Il m'a répondu : "Vous êtes les premiers". Et le flic ressemblait exactement à Robert Patrick dans Terminator II !
La censure
Contrairement à Ken Park, ce film ne sera pas censuré, il sera beaucoup plus accessible, tout le monde pourra le voir. J'ai fait Ken Park, c'est un film différent, je pourrais refaire un film comme ça un jour. Mais Wassup rockers ne raconte pas la même chose, j'ai essayé de travailler sur une autre forme de représentation du sexe, sans nudité frontale, visuellement ou grâce aux dialogues.
Projets
J'aimerais faire un autre film avec Francisco et Jonathan, je trouve qu'ils forment une équipe formidable. J'ai commencé l'écriture de ce film la semaine dernière avec un scénariste, et j'aimerais le tourner très rapidement, je l'espère cet été. Ce ne sera pas une suite à Wassup rockers, ce sera une histoire très différente, ils ne joueront pas eux-mêmes mais des personnages. Le film sort bientôt en salles aux Etats-Unis, je vois mes acteurs tout le temps, ils sont très excités par la sortie du film.
Propos recueillis par Mikael Gaudin Lech à Paris en février 2006
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