AlloCiné : C'est votre troisième collaboration ensemble, comment vous est venue l'idée d'écrire un film sur le quartier de la rue Montaigne ?
Danièle Thompson : Un soir, je me suis rendue à un concert au Théâtre des Champs-Elysées. Contrairement à ce qu'on pourrait croire en voyant le film, je ne suis pas une grande amatrice de musique classique. Pendant la représentation, j'ai beaucoup regardé autour de moi. A la sortie, j'ai observé cette foule qui se déversait dans les rues quartier Montaigne, qui est à mon sens le quartier du vrai vieux Paris. Il y avait une véritable effervescence : certains sortaient du théâtre d'à côté, d'autres de la salle des ventes et d'autres du café d'en face. J'ai contacté Christopher le lendemain en lui disant que j'avais trouvé le sujet du film, une comédie avec des gens qui fréquentent ce lieu mais à des niveaux complètement différents.
Christopher Thompson : Pendant l'écriture d'un film, on a pas à l'origine une idée très précise. On voulait raconter les états d'âmes d'une galerie de personnages. C'est très bien d'avoir un contexte, d'autant plus que c'est un lieu qui n'a pas vraiment été traité.
AlloCiné : Vous connaissez bien le milieu des artistes puisque vous êtes la fille de Gérard Oury et de Jacqueline Roman...
D. T. : C'est effectivement des évènements qu'on a observé qui ressortent dans un scénario. Par exemple, j'ai eu envie que le personnage de Catherine Versen ,interprété par Valérie Lemercier, joue la pièce " Mais n'te promène donc pas toute nue " de Georges Feydeau, parce que ma mère l'avait joué dans les années 50. Mais Fauteuils d'orchestre ne dépeint pas de manière idyllique le milieu des artistes, il aborde également l'envie perpétuelle d'être apprécié des autres qui est aussi présente dans ces milieux privilégiés. Le personnage du pianiste interprété par Albert Dupontel a une très belle carrière et pourtant il se sent piégé. Il aspire à autre chose alors qu'il a atteint l'objectif qu'il s'était fixé : être reconnu dans son métier.
C. T. : L'envie de se renouveller, d'aller voir ce qu'on ne connaît pas est universelle. Ca fait partie de la nature humaine d'essayer de progresser.
AlloCiné : Au-delà de la description du milieu artistique, vous abordez aussi le thème de la remise en question ...
D. T. : Le fait de ne pas se satisfaire de la situation dans laquelle on est est une réalité dans beaucoup de milieux. Mais c'est aussi une attitude qui peut s'avérer très positive. Il y a aussi cette idée-là qui est présente dans le film, celle du temps qui passe. Les personnages de Fauteuils d'orchestre ont des âges différents, de ce fait leur quête n'est pas la même. Pour les personnages d'un certain âge, comme celui de Claude Brasseur, de Dani et de Suzanne Flon, le temps qui passe devient le temps qui reste alors que les personnages plus jeunes comme Christopher ou Cécile de France sont en train de construire leur vie. Et les bilans sont là même à des périodes différentes de la vie.
AlloCiné : Comment avez-vous déterminé la galerie de personnages présentes dans le film ?
D. T. : C'est venu par le choix du lieu. Le quartier de la Rue Montaigne comporte de grands bâtiments. Il y avait l'idée de cet immense immeuble dans lequel on est allé farfouiller. Sur le trottoir sont livrés à la fois des magnifiques instruments et de la nourriture pour l'hôtel du Plaza Athénée. Il y a des histoires de quartier. On avait imaginé au début du film une dispute entre les camions de livraison. Après il a fallu faire un tri pour savoir précisément de quoi on voulait parler. Mais il y a eu très rapidement l'idée des trois évènements le même soir qui impliquait de trouver un trio de protagonistes.
C. T. : C'est assez intéressant d'avoir un cadre spatial quand on écrit un scénario. Le lieu devient un réceptacle des humeurs et des évènements qui peuvent trouver leur place à travers les personnages qu'on raconte. On peut et on doit condenser cette comédie où les vies de tous les personnages sont bouleversées en seulement trois jours.
AlloCiné : Durant l'écriture du scénario, aviez-vous déjà une idée de la distribution ?
D. T. : A part le personnage de Dani qui est apparu assez tôt car j'avais déjà pensé à ce personnage à l'époque de La Bûche, les idées de casting sont venues assez tard.
AlloCiné : Les acteurs que vous choisissez dans vos films sont souvent connus du grand public, quelle est votre démarche vis-à-vis du casting ?
D. T. : Je ne suis pas du tout du genre à convaincre. J'applique une politique assez intransigeante vis-à-vis du casting. Un acteur qui n'adhère pas tout de suite à la lecture du scénario me met le doute instantanément. J'ai besoin d'un élan tout de suite. Mais c'est vrai qu'on a envie de créer une famille qui est attirante pour le public.
C. T. : C'est très délicat mais notre démarche n'est pas de mettre trois têtes d'affiche ensemble car on sait que le public n'est pas dupe. Il s'agit plutôt de surprendre en créant une alchimie entre des acteurs qu'on a pas l'habitude de voir ensemble.
D. T. : On s'attache à ne pas donner l'impression au public que c'est le même film à chaque fois. Dans La Bûche, c'était inattendu de voir ces trois actrices dans le rôle de trois soeurs. De même, dans Décalage horaire, Juliette Binoche et Jean Reno formaient un couple atypique. J'aime beaucoup le contre-emploi comme par exemple voir Charlotte Gainsbourg dans la peau d'une fille un peu agressive. Dans Fauteuils d'orchestre, Albert Dupontel est un choix étrange. Il joue le rôle d'un homme assez classique, un pianiste, alors qu'il est à la fois acteur et metteur en scène de films qui sont assez fous et violents. Et puis, il ne va pas toucher le même public que Claude Brasseur.
C. T. : De même pour Valérie Lemercier qui a une personnalité très forte et une image très marquée par son propre travail. C'est très agréable pour un acteur de rentrer dans un univers qui lui est étranger. Albert Dupontel a une sobriété, une densité qui est très intéressante..
AlloCiné : Il s'est écoulé six ans depuis votre premier film, "La Bûche". Comment évolue votre manière de travailler ensemble ?
D. T. : C'est vrai que le fond évolue beaucoup. Mais la forme, elle, reste la même. Pendant des mois, on se voit le plus souvent possible. Nous partageons la même forme de travail qui est l'acharnement scénaristique. Le but n'est pas de faire vite un film mais d'arriver à un scénario très précis.
AlloCiné : Christopher, vous êtes à la fois scénariste et acteur, est-ce que la réalisation vous tente ?
C. T. : Dernièrement, je me suis beaucoup impliqué dans l'écriture du scénario Le Héros de la famille. Quant à la réalisation, j'y pense la matin devant ma glace... Je le ferai à moyen terme.
AlloCiné : Danièle, est-ce que vous aimeriez réaliser un film dont vous n'avez pas écrit le scénario ?
D. T. : Je n'ai pas eu beaucoup d'occasion de décider ça. Il y a eu des tentatives mais elles ne me plaisaient pas trop. Si je tombais sur un scénario qui m'enchante, pourquoi pas. Mais c'est une démarche qui me paraît assez improbable. Je reste ouverte à cette nouvelle forme de travail mais j'imagine que j'y mettrais quand même mon grain de sel, je suis trop scénariste dans l'âme.
Propos recueillis le 19 janvier par Marie Surrel