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    "Le Temps qui reste" : rencontre avec François Ozon

    Avec "Le Temps qui reste", en salles aujourd'hui, l'auteur insolent de "Sitcom" et "8 femmes" brosse l'émouvant portrait d'un jeune homme confronté à sa mort prochaine. Entretien.

    Allociné : "Le Temps qui reste" est-il un projet auquel vous pensez depuis longtemps ?

    François Ozon : L'idée a commencé à germer juste après Sous le sable. Comme c'était un film sur le deuil de l'autre, la séparation, je trouvais intéressant de faire un film autour de la question : peut-on faire le deuil de sa propre vie ? Ensuite, il se trouve que l'an dernier, j'ai fait des examens médicaux. En attendant les résultats, comme j'ai beaucoup d'imagination, j'ai imaginé le pire. Quand les résultats sont arrivés, ça allait très bien, mais j'avais toujours le scénario en tête. J'ai essayé de développer l'histoire de quelqu'un de jeune, car il me semblait que la situation serait alors plus forte. J'ai rencontré des médecins pour déterminer la maladie, parce que je voulais qu'on soit sûr que le personnage allait mourir. C'est comme ça que j'ai choisi le cancer. Ensuite, je me suis dit : quel trajet peut faire ce personnage pour réussir à la fin à être en paix ? Pour moi, il était important ça que se termine dans une grande douceur... une douceur qui est paradoxale, mais je voulais que le personnage soit capable de sourire à la fin.

    Plusieurs éléments laissent penser que c'est votre film le plus personnel, à commencer par le fait que le héros est, pour la première fois dans votre cinéma, un personnage masculin.

    Je pense que c'est parce que je n'étais pas complètement content du rapport de couple que j'avais traité dans 5x2. J'avais trop privilégié le personnage féminin, au détriment du personnage masculin. Là, je me suis dit : "Tu n'as pas le choix, tu as un personnage masculin, il faut le regarder du début à la fin, apprendre à l'aimer." C'était un peu la gageure du film. Et puis il me semblait que cette histoire était plus forte avec un personnage masculin. La question de la filiation, par exemple, devenait plus aigüe.

    C'est aussi la première fois depuis "Sitcom" que vous écrivez seul le scénario.

    En fait, j'écris toujours la base du scénario seul, et dans un second temps je demande à des collaborateurs de participer, de me renvoyer la balle. C'est plus du script-doctoring. Mais cette fois-ci, je n'ai pas eu envie de montrer le scénario, ni à Marina De Van, ni à Emmanuèle Bernheim [ses complices sur la plupart de ses précédents films]. Je sentais qu'il fallait que je le fasse dans mon coin, tout seul. J'ai su très vite où je voulais aller, et quelle allait être la fin. A la limite, je dirais que mon coscénariste c'était Melvil [Poupaud]. Dès qu'il est entré dans le projet, assez tôt, je lui ai fait lire les différentes étapes, et il réagissait. Il ne disait pas grand-chose en général, mais je sentais qu'il était touché.

    Le rapport que instaurez avec le spectateur est aussi assez nouveau. Vous ne soufflez pas le chaud et le froid. Au contraire, vous prenez la main du spectateur...

    Oui, je fais le trajet avec lui. Même si, à travers les débats avec le public en province, je vois que certaines choses ne passent pas toujours : il y a quand même une scène de partouze, Romain va dans des endroits un peu louches, et puis j'aborde la question de la paternité d'un homosexuel. Mais effectivement, l'idée, c'est d'accompagner le personnage, un peu comme Charlotte Rampling dans Sous le sable. Ces films fonctionnent sur le mode du portrait. Il s'agit de suivre quelqu'un, d'entrer dans son intimité, et, à la fin, d'aimer, ou au moins de comprendre, ce personnage pour lequel on n'avait pas beaucoup de sympathie au départ. Ce que je trouve passionnant avec des acteurs comme Charlotte et Melvil, c'est leur côté opaque. Ils sont dans la retenue, du coup on peut deviner et projeter plein de choses. Et puis on peut penser à nous. Ils ne font pas obstruction à la réflexion du spectateur, et ça compte beaucoup pour moi. Ce qui traumatise un peu certains spectateurs, c'est justement qu'ils ont le temps de penser à eux, de se dire : "Qu'est-ce que je ferais, moi, dans cette situation ?"

    Melvil Poupaud est un acteur un peu à part : dans les films il a toujours l'air un peu détaché, et par rapport aux autres comédiens de sa génération, il ne semble pas "dans la course"...

    Absolument, mais je crois que c'est en train de changer. Il est dans le milieu du cinéma depuis très longtemps, un peu à son insu, et je pense que depuis ce film, il a l'envie d'en faire vraiment partie. C'est marrant, ce film a révélé quelque chose en lui. Je le vois parce qu'il est très investi : il veut faire les tournées province, il a envie que le film marche, il va le défendre à l'étranger. Je crois qu'il n'était pas du tout comme ça avant. C'est comme si ce film avait réveillé son désir d'acteur. C'est vrai qu'avant il donnait l'impression d'être un peu dilettante. Il faut dire qu'il incarnait souvent des personnages comme ça, qui ne s'engagent pas vraiment dans la vie, comme celui de Conte d'été, qui drague toutes les filles, mais qui ne s'en fait pas une seule au final...

    Avec la présence de Melvil Poupaud et de Marie Rivière, qui joue sa mère, on pense forcément à Eric Rohmer, qui a été votre prof à la fac. Que vous a-t-il appris, comme enseignant et dans ses films ?

    Je l'ai eu pendant six mois à Michelet. Il nous apprenait le découpage à travers un match de tennis, nous expliquait ce qu'était un gros plan, un plan large, un plan d'ensemble. Ce qui était amusant, c'est qu'à la fin des cours, toutes les petites étudiantes se précipitaient pour lui donner leur photo en lui demandant s'il n'avait pas un rôle pour son prochain film, et lui était tout inquiet, tout rougissant... Ses films, comme Le Rayon vert que j'ai vu très jeune, m'ont conforté dans l'idée que le cinéma, c'était possible, accessible. On pouvait partir faire un film avec une petite équipe, de 5-6 personnes, improviser. Et puis ses films parlent de choses très quotidiennes, très simples, avec une jubilation par rapport aux dialogues et aussi une grande tendresse à l'égard de personnages qui font de grands discours et qui, en général, font exactement le contraire de ce qu'ils disent... C'est toujours très émouvant. Melvil m'a dit que ce serait bien qu'on lui envoie un DVD du Temps qui reste, et je vais le faire.

    Ecrivez-vous en pensant aux comédiens, par exemple pour Valéria Bruni-Tedeschi que vous retrouvez après "5X2" ?

    Non. Le personnage que joue Valeria n'était pas du tout prévu pour elle, je voulais une actrice inconnue. Il se trouve qu'elle a lu le scénario, non pas en tant qu'actrice, mais en tant que scénariste-réalisatrice, parce que je voulais avoir son avis. Et quand elle est revenue avec le scénario, elle m'a dit : "Oh, j'aime beaucoup le petit rôle, là, t'as pris qui ?" C'est donc elle qui l'a fait.

    L'affiche du "Temps qui reste" est étonnante. C'est un peu comme si le film continuait sur l'affiche...

    Exactement. C'est une projection, une espèce de fantasme. L'affiche, comme la bande-annonce, ce sont des étapes qui m'intéressent, parce que c'est la manière dont on vend votre film. Or, je n'ai pas envie que l'image soit fausse. C'est à partir de Sous le sable que j'ai commencé à m'impliquer. Avant, je n'avais pas le pouvoir, on ne tenait pas compte de mon avis -et je dois dire que je ne suis pas très content des affiches de mes films précédents. Sur Sous le sable, l'agence de pub m'avait présenté des projets délirants... A un moment, j'ai dit : ça suffit. Ce film est un portrait de femme, donc on va choisir la plus belle photo qu'on ait de Charlotte, un point c'est tout. Pour Le Temps qui reste, j'ai eu cette idée d'une image mentale : Romain avec un enfant. Mais c'est vrai que l'affiche est compréhensible uniquement pour les gens qui ont vu le film. Donc si vous voulez comprendre l'affiche, allez voir le film !

    Vous enchaînez les tournages, en changeant de style d'un projet à l'autre, et en prenant le risque de commettre des erreurs, mais avec l'idée de construire une oeuvre. En cela, vous êtes fidèle à la Politique des auteurs définie par la Nouvelle vague...

    J'ai été très influencé par leur manière de travailler. Chacun a fait ses films à sa manière, mais il y avait une stratégie générale : être proche de la production, faire des films pas chers, dans la rue... et avec leur petite amie. Je suis un réalisateur proche de la production, je connais le coût des choses. Du coup, mes films ne valent pas très cher. Pour moi, ce qui est important, ce n'est pas que le film ait du succès, mais qu'il soit remboursé, pour pouvoir faire celui d'après. Certains films ont été des bides énormes à leur sortie et au final sont des chefs-d'oeuvre qui passent le temps. Moi ce qui m'intéresse, c'est plus le passage du temps que le résultat présent.

    Vous qui tournez un film par an, comment percevez-vous la crise que semble traverser le cinéma français, avec ces réalisateurs qui ne parviennent pas à trouver de financements ?

    J'ai la chance d'avoir eu un succès avec la fois un film d'auteur pointu (Sous le sable) et avec un film plus commercial (8 femmes). Si j'avais été un réalisateur débutant, je ne serais pas parvenu à monter des films comme 5x2 ou Le Temps qui reste. La situation est assez dramatique, plein de gens ont beaucoup de mal. Mais je pense que si on veut vraiment faire les films, on les fait. Tourner un film dans le cadre du cinéma classique, c'est difficile, mais il y a plein de moyens de faire autrement. Je pense par exemple aux caméras DV, qui n'existaient pas à mon époque, et avec lesquelles on peut faire des choses incroyables. Après, il faut avoir la volonté et la force d'embarquer des gens dans un tournage de 15 jours-3 semaines. Sitcom, je l'avais tourné hors des cadres, en super 16, en un mois, avec un million de francs. C'était comme un court métrage. Après, j'ai acquis la possibilité de m'inscrire dans un schéma plus classique, mais en tout cas je sais que c'est possible de tourner de manière un peu rock'n'roll, à côté du système.

    Propos recueillis le 23 novembre 2005 par Julien Dokhan

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