AlloCiné : Comment décririez-vous Julian, votre personnage ?
Pierce Brosnan : Julian est un tueur à gages. Vous savez, ce genre de type existe. Il y a des gars assez fous, ici où là, pour ôter des vies afin de gagner la leur. Mais Julian n'est pas un tueur à gages comme les autres. Il erre à Mexico City comme une loque et a une grosse crise de confiance en lui. Figurez-vous qu'il n'a plus l'envie de tuer qui que ce soit. Il est vraiment mal, triste, pathétique, dans les choux quoi ! (rires) Il est déprimé, il perd le contrôle de son existence. Quand j'ai lu le script, ce qui m'a tout de suite frappé, c'est que c'était vraiment drôle. J'adore l'écriture de Richard Shepard, flamboyante, kaléidoscopique, une écriture parfaite pour une tragi-comédie. C'est tellement intelligent que vous ne vous doutez pas un seul instant de comment va évoluer la relation entre les deux personnages du film.
Comment se prépare-t-on à incarner un personnage aussi étrange ?
Quand j'ai lu le scénario, je me suis dit : "Bon, ce mec est un psychopathe, est-ce que je dois faire des recherches en allant rencontrer quelques psychopathes ?" (rires) Non, je ne dois pas faire ça ! J'ai en fait rencontré une merveilleuse psychologue pour criminels à Los Angeles. Je lui ai donné le script et elle m'a fait une sorte d'analyse point par point de la personnalité de Julian. En découvrant cette note, j'étais heureux que cette analyse soit un peu le reflet ce que je ressentais en pensant à lui et qu'elle corresponde donc à mon intuition. Cela m'a donné confiance dans le fait de suivre mon instinct pour incarner Julian. Ensuite, j'ai fais un gros travail sur le look, l'attitude. Il y a d'abord une moustache un peu inquiétante, puis une coupe de cheveux très particulière, un peu à la brosse. Et puis il y a ces bottes de cow-boys. Ma costumière est arrivée avec ces bottes italiennes de forme phallique, avec des grands talons... wouah ! J'ai ensuite adopté une certaine démarche et puis j'ai essayé d'avoir une voix originale, je voulais la voix d'un type originaire de Boston. Un ami à moi, qui est de Boston, possède ce genre de voix qui craque... Donc, j'ai joué avec ma voix, j'ai assemblé toutes les pièces du puzzle et... c'était Julian !
Julian est à la fois très inquiétant et profondément touchant, il y a une vraie ambivalence dans ce personnage...
C'est vrai. C'est positif que vous pointiez cela du doigt, car c'était exactement notre but de faire ressortir cette ambivalence. L'écriture de The Matador est vraiment intelligente à ce niveau-là, je la compare un peu à une pièce d'Harold Pinter. J'ai adoré le faite que le film ait une vraie intelligence narrative et des scènes particulièrement longues, qui pouvaient faire de quinze à vingt pages. C'était un plaisir à jouer, quelque chose de vraiment jouissif. C'est une écriture assez théâtrale, mais n'allez pas en déduire que je veux monter sur scène ! Ca me titille, mais en même temps ça me terrifie ! (rires)
Il y a également de grands moments absurdes dans le film où vous ne craigniez pas de vous moquer de vous-même !
Dans la vie, vous créez votre propre image. J'ai créé une image de moi-même en tant qu'acteur qui est une partie de ma personnalité, celle d'un homme suave, sophistiqué, gentleman... C'est un aspect de moi-même, mais il y en a également un autre, bien caché, qu'on voit dans The Matador, quelqu'un qui a une fracture, qui est complètement fou ! En temps normal, peu de personnes m'auraient proposé ce rôle, car j'étais James Bond pour toujours. On l'aurait plutôt donné, je ne sais pas, à Gary Oldman, par exemple ! Monter ma propre société de production m'a autorisé des choix différents, m'a permis de tenter différentes choses en tant qu'acteur. Cela m'a finalement permis d'appliquer ce qui est, pour moi, la définition même du métier d'acteur : sans arrêt construire, détruire, reconstruire...
Vous parliez de James Bond. Avec "The Matador", on a un peu l'impression que vous flinguez avec bonheur l'image de l'agent secret que vous avec incarné à quatre reprises ! Un moyen de vous venger après que les producteurs de Bond vous aient viré ?
"Viré", c'est le mot ! (il fait mine de fondre en larmes) Ca s'est passé comme ça : un coup de fil, une minute pour me dire que c'est fini, et salut ! (il refond en larmes puis éclate de rire !) Mais pour revenir à votre question, The Matador n'est pas un film anti-Bond, ça n'a pas été fait dans le but de me venger, d'ailleurs le projet était en déjà pré-production alors que j'étais encore James Bond. Vous savez, je ne renie en rien James Bond, qui a donné à ma carrière une allure formidable, beaucoup de succès et de grandes opportunités. Il faut juste savoir qu'incarner 007 vous restreint, c'est une image énorme que vous véhiculez. Vous apportez votre contribution à une icône. Je suis un acteur, j'ai envie de jouer différentes choses. Cette fois, avec The Matador, je voulais jouer autre chose qu'un "Monsieur Leader", un "Monsieur Elégance", un "Monsieur Smoking super classe" ! (rires) C'est tout. Jamais je n'agirai en terme de vengeance, ce n'est pas mon style de faire ça. James Bond continue de son côté, moi je continue du mien. C'est le business, c'est la vie. Alors, essayons juste de prendre du plaisir dans ce qu'on fait ! (rires)
Propos recueillis par Clément Cuyer le 4 octobre 2005
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