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    David Cronenberg raconte "A history of violence"

    Avec "A History of violence", sorti mercredi, le Canadien David Cronenberg traque les Faux-Semblants, et fait Mouche une nouvelle fois. Il évoque, pour Allociné, ce film à la simplicité vertigineuse.

    Lors de la projection du film au Festival de Cannes, les spectateurs ont eu des réactions très différentes : les uns étaient frappés par la noirceur du film, les autres par son humour. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

    Les seuls spectateurs à qui mon film peut poser problème sont ceux qui voudraient qu'un film se limite à une seule dimension. Ils pensent que lorsqu'on tourne un drame, tout doit forcément être triste, de la musique à l'éclairage, et qu'à l'inverse pour une comédie, il faudrait que tout soit toujours drôle. Or, dans la vie, chacun d'entre nous passe sans cesse d'une émotion à une autre au cours d'une même journée. C'est comme sur les montagnes russes : on est en colère, puis l'instant d'après on est heureux, on passe de l'euphorie à la déprime... Il me semble qu'on doit pouvoir faire la même chose dans un film. C'est pour cela que dans A history of violence coexistent des atmosphères très différentes, avec des ruptures de ton très brutales. Mais c'est incontestablement un film drôle, même si j'espère qu'on y trouve aussi du suspense, de l'angoisse, de l'émotion, de la tristesse... Je dois cependant dire que l'accueil critique a été fantastique, y compris à Cannes. La plupart des gens ont bien vu qu'avec ce film, je proposais aux spectateurs un voyage qui n'est pas de tout repos.

    Le film est à la fois très complexe, cérébral, et, dans le même temps, c'est un divertissement, une oeuvre très accessible. Le trouble qui naît est d'autant plus fort que la forme est classique. De ce point de vue, je crois que Fritz Lang a été une influence...

    Oui, même si je parlerais d'inspiration plus que d'influence. C'était un étranger qui portait un regard sur l'Amérique, comme moi qui suis Canadien. Dans le passé, le classicisme dans la réalisation était une chose courante. De nos jours, il est très difficile d'avoir le courage de la simplicité. C'est bien plus commode de faire un film spectaculaire, qui va vite, tape-à-l'oeil et bruyant. Il faut au contraire beaucoup d'audace pour être simple, pour choisir de filmer le visage d'un acteur, sans effet de montage, sans musique pompière, en captant juste les émotions du comédien. Les réalisateurs et les producteurs ne font pas confiance à l'intelligence et à la patience des spectateurs. Pour résumer, je dirais qu'en faisant ce film, j'ai eu suffisamment confiance en moi pour oser la simplicité, et aussi suffisamment confiance dans la capacité des spectateurs à voir que l'on pouvait atteindre la complexité grâce à cette simplicité. Comme dans "Spider", il n'y a pas de monstre dans "History of violence", le Mal est à la fois nulle part et partout. L'absence de confiance agit comme un poison...

    Le film évoque différents aspects des relations entre les individus, il ne se concentre pas uniquement sur la violence, et d'ailleurs il y a plusieurs formes de violence, y compris psychologique, ou émotionnelle. Le film parle de la relation ambivalente que chacun d'entre nous entretient avec la violence : elle a quelque chose d'attirant, d'excitant, et en même temps elle nous dégoûte et nous fait peur. L'une des questions les plus dérangeantes qu'explore le film, c'est vraiment : jusqu'à quel point peut-on vraiment connaître autrui ? Cela pose le problème de l'identité, et de la confiance mutuelle. Ce film aurait d'ailleurs pu s'appeler Scènes de la vie conjugale, car il examine ces questions à partir d'un couple marié depuis vingt ans.

    Le film parle aussi du pouvoir des médias, il évoque la célébrité et les illusions qui s'y rattachent. Estimez-vous qu'il s'agit là d'un danger pour nos démocraties ?

    De nos jours, avec toutes les avancées technologiques, Internet, la télévision par satellite, le désir de célébrité est très partagé. Les gens veulent être célèbres uniquement pour le plaisir d'être célèbres. On assiste à la réalisation de la prophétie d'Andy Warhol, selon laquelle chacun aurait droit à son quart d'heure de célébrité -même si en fait, certaines personnes restent célèbres bien au-delà d'un quart d'heure, et sans raison ! C'est un phénomène qui s'auto-alimente. Cela constitue-t-il un danger pour la démocratie ? C'est une bonne question, car on confère beaucoup de pouvoir aux gens célèbres. Et aujourd'hui plus qu'hier, beaucoup de gens ont un pouvoir indû, qu'ils utilisent à mauvais escient.

    Propos recueillis par Julien Dokhan le 20 octobre 2005

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