Rize, le documentaire choc de David LaChapelle sur l'émergence de la danse "Krump" est aussi une plongée dans les quartiers chauds de Los Angeles, où les jeunes tentent de trouver une alternative à la violence à travers une nouvelle danse visuellement hallucinante. Parmi eux Tommy the Clown, Lil C et Miss Prissy sont aujourd'hui considérés comme de véritables pionniers. Ils se sont confiés à Allociné. Entrez dans la danse !
Allociné : "Rize" nous invite à découvrir deux danses, le "Clowning" et son évolution le "Krumping". Quelles sont les différences entre les deux ?
Tommy the Clown : Le Clowning a un côté léger et divertissant. On le danse à des anniversaires, pour des enfants ou même des adultes. On s'habille en clown, on se maquille et on va faire la fête. Le Krumping est plus agressif. Les danseurs préfèrent se rassembler en cercle pour leurs sessions de Krump.
Lil C : Dans le domaine du Clowning, Tommy est le meilleur. Tout le monde cherche à faire partie de son équipe. Durant ses spectacles, il doit constamment amuser le public et garder le contrôle de la situation. Il m'a appris les bases, les principaux mouvements. Mais j'ai décidé de prendre mon envol. C'est ainsi que j'ai créé le Krump avec l'aide d'anciens clowns comme Tight Eyez. Le Clowning est très amusant, il vous donne le sourire, c'est de la comédie, un vrai show. C'est quelque chose d'entièrement expressif. A l'inverse, le Krump est plus agressif, mais en même temps plus intérieur. La musique et les maquillages sont différents aussi. Quand tu fais du Clowning, tu danses pour les autres, quand tu Krump tu le fais pour toi-même, tu te libères de ton agressivité, de tes angoisses et de tes soucis. Cela peut paraître agressif mais on ne passe jamais à l'acte. C'est avant tout un moyen d'expression artistique.
Le documentaire nous donne l'occasion d'assister à un duel intense entre Clowns et Krumpers. Vous êtes réellement rivaux ?
Tommy the Clown : Non pas du tout nous sommes amis. Mais dans la "Battlezone", quand il s'agit de "combattre", il n'y a plus d'amitié qui tienne. Peu importe qui tu es, quelle type de danse tu pratiques ou à quel groupe tu appartiens : tu es sur scène, bas-toi !
Comment avez-vous rencontré David LaChapelle ?
Tommy the Clown : Il a entendu parler du Krump et de moi, alors il est venu à mon club et en réalisant ce qu'il s'y passait, il a tout de suite dit "Je dois faire un film la dessus !" Il donnait vraiment l'impression d'être happé par tout ça. Il nous a rapidement considérés comme ses enfants et s'est beaucoup appliqué. Le mouvement a créé sa propre image, qui s'est développé dans les quartiers... Ensuite David est venu mettre un cadre autours de cette image. Il l'a ensuite accroché au mur pour que tout le monde puisse la voir.
Vous connaissiez son travail avant de commencer le tournage ?
Tommy the Clown : Il a juste présenté un livre de photographies à mon avocat et j'ai dit "OK". Mais il a surtout montré une réelle affection pour notre mouvement et pour son film. Il a essayé de tirer le meilleur de nous. C'était très bon.
"Rize" aborde l'aspect visuel du Krump autant que l'aspect social, lequel était le plus important à vos yeux ?
Tommy the Clown : Les deux ! Il montre avant tout que ce que nous avons créé est entièrement nouveau. Nos chorégraphies et nos mouvements sont totalement différents de ce qui existait déjà. Il montre aussi ce que nous avons construit au quotidien, comment j'ai créé ce mouvement pour aider les enfants, pour leur donner une attitude positive, une alternative aux gangs, et ainsi empêcher les gens de s'entretuer. Certains y arrivent avec le football ou le basket-ball, nous le faisons à travers l'art de la danse.
Êtes-vous satisfait de la façon dont il a décrit votre mouvement ?
Tommy the Clown : Oui il a fait du bon travail pendant ces trois années du tournage. Du très bon travail !
Miss Prissy : David était vraiment la personne idéale. Par contre, je pense que le film aura plus de succès en Europe... Aux Etats Unis, la campagne marketing insistait essentiellement sur la danse. A chaque rencontre avec la presse, on nous demandait de danser, de faire des démonstrations. Personne ne nous interrogeait sur ce que nous avions à dire. Alors quand les gens voyaient la danse à la télé, ça leur donnait l'impression d'avoir déjà vu le film et ils ne prenaient pas la peine d'aller au cinéma... David était vraiment en colère lorsqu'il a appris tout ça. C'était très dur.
Le documentaire fait un parallèle entre le Krump et les danses tribales africaines. Vous avez déjà pu rencontrer ces danseurs ?
Miss Prissy : Nous avons rencontré des enfants d'Afrique du Sud à l'occasion des "NAACP awards". On a été littéralement soufflé par ce qu'ils faisaient, ça ressemblait tellement à nos danses ! Les mouvements, les cris, etc. C'était fou ! Pour moi le parallèle avec les danses tribales et le point essentiel du film. Il faut bien que les gens comprennent que le Krump n'est pas un simple style dérivé de la culture hip hop mais bel et bien un mouvement dont les racines se trouvent en Afrique.
Tommy, dans le film nous apprenons que votre maison a été cambriolée. Avez-vous peur que ce genre de chose se reproduise du fait du film et de votre succès ?
Tommy the Clown : C'est le quartier qui est comme ça... ce genre de choses arrivent tous les jours. Si une mauvaise personne à l'opportunité de mal agir elle ne s'en privera pas. Ça m'a surpris, fait beaucoup de mal, mais ça ne m'a pas tué. J'ai été capable de rebondir, de me battre. Maintenant je sais que ce genre de mésaventures vont se reproduire peu importe où je vais, mais je suis préparé maintenant.
Qu'attendiez vous du film ?
Tommy the Clown : De nouvelles opportunités ! Dans les quartiers, il n'y a vraiment rien... J'ai perdu mon club alors j'espère que je pourrai le récupérer et continuer ainsi à montrer ce que l'on fait, à organiser des "battles" et transmettre notre message à travers le monde. Mais pour le moment j'espère jusque que, lorsque nous allons entreprendre de nouvelles choses, nous aurons du soutien.
Miss Prissy : Au début, on espérait devenir millionnaires ! (rires) Mais en réalité notre but principal était de faire passer notre message à travers le pays et à travers le monde. Et c'est ce qui arrive doucement mais sûrement grâce à ce film.
Est ce que le film a apporté des changements à votre vie quotidienne ?
Tommy the Clown : Nous avons vraiment apprécié que David vienne tourner un film sur notre mouvement. Le message est passé, nous sommes devenus des pionniers. Ça nous a permis d'aider d'autres personnes en même temps, de détourner des enfants de choses négatives...
Lil C : Je vis toujours le même combat. Je suis danseur professionnel et chorégraphe, je faisais ça avant et je le fais encore maintenant. Mais le film m'a permis de m'exprimer avant tout.
Miss Prissy : Je suis toujours la même. Mais le documentaire m'a quand même aidé financièrement. Pas directement parce que nous n'étions pas payé mais cela nous a donné de nouvelles opportunités professionnelles. Les gens nous remarquent maintenant. Avec Lil C nous étions danseurs sur la tournée du rappeur The Game. Lil C s'occupait des chorégraphies aussi, on appelait d'ailleurs ça des Krumpographies. Parallèlement on m'a offert un rôle au cinéma dans un drame autours du monde de la danse. Mais je veux m'éloigner de tout ça, mon personnage sera dur... je vais devoir pleurer !
"Rize" apporte une nouvelle notoriété à votre mouvement et va sûrement créer des vocations. Est ce que le Krump est un mouvement spécifique à South Central ou il peut s'étendre ?
Lil C : Non, il n'y a pas de problème si le style se développe à travers le monde. Mais le gens doivent bien comprendre que ce n'est pas simplement un style de danse. C'est une façon de vivre. Le Krump, ce n'est pas de simples mouvements de bras et de jambes. Nous avons créé çà parce que étions fatigués du manque d'opportunités qui nous étaient offertes. Alors on inventé un moyen de nous motiver, et tout cela renvoie un mode de vie précis.
Miss Prissy : On a appris qu'il y avait des Krumper partout dans le monde. Nous aimerions bien les rencontrer afin de nous assurer qu'ils ne dansent pas pour les mauvaises raisons.
Avec le film, la promotion, et les nouvelles opportunités qui s'offrent à vous, vous n'avez pas peur de perdre l'esprit qui vous anime ?
Lil C : Non pas du tout. Ce que nous avons créé est pur, et ne peux ni être repris ni déformé.
Miss Prissy : Si le mouvement reste entre de bonnes mains, son esprit ne sera jamais perdu. Les personnes impliquées dans le film étaient les bonnes. Nous voulions simplement faire avancer les choses et nous faire connaître. David LaChapelle était vraiment le bon choix pour présenter le mouvement au monde. Nous voulons vraiment que les gens comprennent que ce n'est pas une simple mode, c'est un choix de vie qui dépasse la simple danse et le maquillage.
Propos recueillis par Eric Kervern le 15 septembre 2005