Respectivement réalisateur et acteur, et tous deux scénaristes, Edgar Wright et Simon Pegg se sont rencontrés il y a presque dix ans à la télévision britannique. Auréolés de l'énorme succès de Spaced, une série humoristique encore inédite en France, ils mettent en chantier, avec la même troupe d'acteurs complices, Shaun of the dead, premier film à mêler comédie romantique et horreur. Ces deux cinéphiles aux goûts sanglants mordent aujourd'hui dans le cinéma de la même manière que leurs zombies : à pleines dents !
AlloCiné : Comment qualifieriez-vous votre film : un hommage, une parodie ou une nouvelle vision du film de zombies ?
Edgar Wright : C'est, selon moi, beaucoup plus un hommage qu'une parodie. Nous vouons une adoration sans borne aux films de zombies, surtout ceux de George [A. Romero, NDLR], mais nous voulions en reprendre les enjeux d'une manière différente. Il s'agissait de transférer le genre d'un pays à l'autre et de voir en quoi la "gestion de la crise" pouvait être différente. Le principe du film de zombies est que ça n'arrive pas uniquement aux Etats-Unis, mais partout dans le monde, au même moment. Donc pourquoi pas en Angleterre ? L'histoire en elle-même n'est jamais très passionnante : ce sont les réactions qui sont intéressantes.
Curieusement, le film passe de l'humour non-stop à une ambiance plus sombre, plus axée sur la violence et l'horreur...
Simon Pegg : Pour nous, il était important de créer des personnages crédibles auxquels on puisse s'attacher. Souvent, dans les films d'horreur, on crève d'envie de voir certains personnages mourir tellement ils nous exaspèrent ou nous ennuient ! On avait donc envie de s'éloigner de ça. Mais en même temps, lorsqu'on les faisait mourir, on se rendait compte qu'il nous était impossible d'en rigoler. Quand Shaun perd un proche, il réagit comme il le ferait dans la vie. Le film a beau être marrant et le point de départ surréaliste, les décors et les situations restent vraisemblables, réalistes. Il nous semblait donc naturel de respecter ce passage brutal d'une atmosphère à une autre. Inutile de vous dire que ça n'a pas plu à ceux qui auraient préféré une franche parodie... Pour nous, le rire gagne en force s'il est mis en parallèle d'une situation tragique. C'est pour ça que nous avons opté pour ce grand écart entre rires et larmes. Si vous allez voir Shaun of the dead en vous attendant à une pure comédie, vous serez peut-être surpris, et c'est tant mieux.
Les films de genre semblent assez inhabituels en Grande-Bretagne, si l'on excepte "28 jours plus tard" de Danny Boyle. Avez-vous eu des difficultés de financement ?
Edgar Wright : Effectivement, ce ne fut pas évident de lever les fonds nécessaires. Il y avait une industrie des films d'horreur en Angleterre dans les années 60 et 70, mais elle a hélas disparu. Notre film fut difficile à vendre, mais il est évident que le film de Boyle nous a bien aidés : il a, espérons-le, ouvert la voie. D'une manière générale, il faut bien dire que les financements sont rares en Grande-Bretagne. Presque six mois ont passé avant qu'on ait enfin le feu vert !
Avez-vous été influencés par les films de zombies précédents ?
Edgar Wright : Oh que oui ! George a un peu déposé la marque "zombie", vous savez. On peut donc difficilement faire un film sur ce sujet sans se référer à ses films. Mais d'autres films, pas forcément sur des morts-vivants, nous ont également influencés. Je pense au Loup-garou de Londres, qui savait instaurer une atmosphère très sombre tout en mettant en scène des personnages très sympas, ainsi qu'au remake de L'Invasion des profanateurs de sépultures par Philip Kaufman : il était très fort pour nous faire ressentir la fin d'un monde, le chaos dans lequel était plongé la ville...
"Shaun of the dead", à l'instar des classiques de Romero, insiste sur le contexte socio-politique : les premières scènes désignent les Anglais comme étant déjà des morts-vivants...
Simon Pegg : L'enjeu du film était de montrer à quel point les habitants des grandes villes ne pouvaient que devenir des zombies : leur vie se résume au "métro-boulot-dodo". Nous avons voulu donner à la métaphore d'une "vie de zombie" une acception littérale. Shaun encoure le danger d'être aspiré par ce rythme de vie apathique. Or même lorsqu'il se retrouve face aux zombies, ses réflexes sont encore ceux de sa vie d'avant : il décide de se planquer au pub ! La Nuit des morts vivants parlait de problèmes politiques typiques de son temps : les droits civiques, la tolérance. Idem pour les films suivants, comme Zombie, qui dénonçait la dépendance des Américains à la société de consommation. Shaun of the dead adapte son discours aux dangers d'aujourd'hui.
A propos de Romero, il paraît que vous avez tous les deux obtenu un rôle dans son nouveau film, "Land of the dead"...
Edgar Wright : (Rires) La semaine dernière, nous sommes allés à Pittsburgh pour la première du film (c'est également là que s'est déroulé le tournage du dernier Romero), et on a eu le bonheur de se voir sur l'écran. Le film est génial, d'ailleurs. C'est comme un rêve qui se réalise ! (Rires)
Simon Pegg : On n'avait pas encore vu le film terminé, or là, Romero a encore surpassé tous les autres. On adore sa génération, qui est aussi celle des Carpenter, Landis, Raimi, etc. Ces gars-là avaient un vrai talent pour créer une peur profonde, contrairement à tant d'autres aujourd'hui qui abusent des effets faciles.
Vous avez recruté des fans de la série "Spaced" pour jouer les morts-vivants : était-il facile de les diriger ?
Edgar Wright : Oui, plutôt. Environ 60 % des zombies du film sont joués par des fans. De nombreux figurants meurent d'envie d'obtenir un rôle de mort-vivant : c'est le meilleur moyen d'apparaître dans un film de ce genre !
Simon Pegg : L'une des choses que nous avons apprises de 28 jours plus tard, qui n'est pas à proprement parler un film de zombies, c'est que le spectateur a besoin de voir de nombreux figurants pour y croire. L'invasion de la ville n'aurait pas été crédible si l'on n'avait engagé qu'une dizaine de figurants épars ! On voulait créer l'illusion que Londres était véritablement submergée... On a eu la chance de trouver plus de mille figurants. En plus, leur rôle ne consiste pas à faire tapisserie, mais à jouer : il en faut, de la conviction, pour incarner un mort-vivant ! Et ils ont tous été parfaits.
Le film ne sort en France qu'aujourd'hui, c'est-à-dire plusieurs mois après sa sortie britannique. Entretemps, "Shaun of the dead" a connu un gros succès : vous vous y attendiez ?
Simon Pegg : Pas vraiment, car notre principale préoccupation était d'abord de le terminer. Pour nous, c'était un peu un coup d'essai, on était donc sacrément nerveux. Les premières critiques ont été très positives, ainsi que les projections-tests aux Etats-Unis. On ne s'attendait pas à ça.
Edgar Wright : En plus, le film nous a permis de voyager : j'ai été en Australie, en Nouvelle-Zélande, j'ai traversé les Etats-Unis et rencontré plein d'autres réalisateurs, qui défendaient notre film.
Dernière question : pensez-vous que le pub soit le refuge ultime d'une l'humanité en déroute ?
Simon Pegg : (Rires) Pour l'humanité britannique, oui !
Edgar Wright : Encore que... il y a des bars sympas à Paris, des cafés... Le pub fait partie intégrante de la culture britannique. Si vous regardez bien le pub du film, vous verrez qu'il s'agit d'un lieu non seulement sympa mais également idéal pour se planquer. J'imagine que chaque pays doit posséder un équivalent...
Propos recueillis par Guilhem Cottet le 27 juin 2005
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