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    "Trouble" : rencontre avec Benoît Magimel

    Pour "Trouble", le film d'Harry Cleven, Benoît Magimel s'est dédoublé et interprète deux jumeaux séparés depuis l'enfance, de nouveau réunis par le destin... ou autre chose. Rencontre...

    Après s'être épris d'une bien singulière Demoiselle d'honneur, il revient à l'affiche avec un thriller étouffant en salles ce 9 mars : Trouble du réalisateur belge Harry Cleven. Benoît Magimel, ou la continuité dans le changement, à moins que ce ne soit l'inverse...

    Allociné : Trouble a été primé à Gérardmer. Pourtant, il n'appartient pas au genre fantastique, au sens strict...

    Benoît Magimel : Il flirte avec. J'étais assez surpris que le film soit en compétition à Gérardmer. Je pensais qu'on était hors compétition quand je suis arrivé là-bas. Ce n'est pas un film fantastique, mais on a eu le grand prix quand même. J'ai envie de dire qu'on a deux films en un. A la fois une chronique sociale, une étude de moeurs, sur la vie de couple, la famille, et puis un film de genre qui fait peur, un film d'atmosphère. Trouble est assez angoissant, violent psychologiquement, parfois malsain, dérangeant. C'est un divertissement pour amateurs du genre, et un peu plus que ça. Il éveille d'autres choses que la peur.

    Etiez-vous attiré par le challenge que représentait le fait de jouer deux jumeaux, ou par une incursion dans ce genre ?

    Faire un film pour la performance est une mauvaise raison. Les raisons pour lesquelles on fait un film doivent être plus fortes que ça. Je ne crois pas que ce soit une performance de jouer des jumeaux. C'est comme si j'avais joué dans deux films, deux personnalités différentes. Au-delà des jumeaux, il y avait l'histoire de deux frères et tout ce que cela génère comme dualité, conflits, peurs, rivalités, jalousies... J'ai un frère plus âgé de deux ans, c'est aussi ce qui m'a séduit dans le film. Et puis j'ai rencontré Harry Cleven, sa sensibilité... Il y avait vraiment l'envie du film de genre, du film d'angoisse. Le scénario que j'ai eu était formidable, aux deux tiers. La volonté d'Harry au départ était que la fin reste en suspens. Je lui ai dit que si on ne donnait pas la clé, on allait rester frustré de quelque chose, dans un état d'incertitude désagréable. Pour moi, dans ce genre, on doit résoudre, même si cela demeure ouvert.

    Le film d'Harry Cleven n'est pas très bavard. Pour vous, la qualité première d'un film est-elle de suggérer ?

    J'aime la suggestion. Le cinéma est un art visuel. J'ai toujours aimé les films silencieux, comme Le Trou de Jacques Becker, un film fétiche. Quand on utilise les mots, en général, c'est parce qu'on a du mal à faire passer ses idées, c'est un cache-misère, comme la musique parfois. Le cinéma français est très bavard, beaucoup plus que les autres. Pourtant je suis certain qu'on n'a pas besoin d'utiliser le langage pour exprimer des choses. Avec son regard, ses attitudes, on peut remplacer les mots. C'est plus fort quand on suggère. La Pianiste joue sur la suggestion. La violence est toujours hors champ, et elle est encore plus horrible. Je me souviens d' Irréversible, de cette scène de viol qui dure dix minutes. C'est une façon de faire, moi je préfère la manière d'Haneke.

    Voyez-vous des analogies entre l'univers des films de Chabrol, et celui de "Trouble" ?

    Oui, absolument. On est dans la normalité, dans un univers où les choses sont à leur place, avec sous la surface des secrets, des non-dits. Tôt ou tard il faut que cela ressorte. Chez Chabrol, c'est beaucoup plus enfoui, moins évident, mais c'est tout aussi effrayant, justement parce qu'on est dans la normalité, dans quelque chose d'accessible. J'aime cette folie ordinaire. Pour Trouble, il y avait la peur parfois de trop charger. Je voulais adoucir. C'est beaucoup plus angoissant que si on verse dans l'excès. J'ai adoré Harry, un ami qui vous veut du bien. On est dans un film classique, comme Trouble, avec des rapports humains, des sentiments. Et puis soudain ce type arrive et dit à son ami des choses effrayantes, stupéfiantes, avec un calme olympien, comme s'il lui demandait d'aller acheter une baguette au coin de la rue. On peut reprocher tout ce qu'on veut à Chabrol, plein de gens de ma génération ne l'aiment pas parce que, disent-ils, "c'est du téléfilm, etc..." Ce qui est formidable, c'est qu'on ne sent pas sa mise en scène. Elle est vraiment au service de l'histoire. Il est l'un des rares metteurs en scène qui peut vous expliquer pourquoi il fait ses plans. De même Harry Cleven, dans ce film, a servi l'histoire. La virtuosité des plans, sans ça, ça fait plouf.

    Entre l'univers de Chabrol et Les Chevaliers du ciel, il parait en revanche y avoir un gouffre...

    En France on a vraiment d'un côté le cinéma populaire et de l'autre le cinéma d'auteur, dit intelligent, plus introspectif, plus intime. Aujourd'hui il faut réunir les deux. Trouble est un bon exemple, une sorte de mixte, à la fois film d'auteur pointu et film de genre. Gérard Pirès, pour beaucoup de gens, c'est Taxi. Pour moi c'est Fantasia chez les ploucs, Elle court, elle court la banlieue, du cinéma d'acteurs. En tournant Les Chevaliers du ciel, il réalise un rêve, parce qu'il est passionné d'aéronautique, et pilote lui-même. Ce qui compte pour moi, c'est que dans la commande, cela reste un cinéma d'auteur, que quand on donne un scénario à un réalisateur qui ne l'a pas écrit, il ait une résonance avec cette histoire, afin qu'il en fasse une oeuvre personnelle.

    Qu'en est-il du projet de film sur Jacques Mesrine, auquel vous avez renoncé et qui a depuis viré au fait divers ?

    Je ne sais pas ce qu'ils vont faire avec ce film. Interpréter quelqu'un qui a existé c'est une responsabilité énorme, surtout quand il y a les enfants, les proches... Quand j'ai joué un mineur de fond (Une minute de silence), mon souci était que les mineurs se reconnaissent dans le personnage. Avec Germinal de Claude Berri, tous les mineurs s'étaient sentis trahis, parce que rien n'était crédible, que c'était dépassé. Jacques Mesrine, c'est le même problème. Au départ ce n'était pas moi qui devait le faire, on m'avait contacté pour jouer François Besse. C'était cohérent par rapport à mon physique et à mon âge. Quand tout d'un coup on est venu me proposer Jacques Mesrine, j'ai dit non. Il est impossible de jouer Jacques Mesrine, sans mettre en avant le physique. C'était une masse, un taureau. Il imposait rien qu'avec son physique. Je me suis dit: "Bon, Barbet Schroeder, j'ai très envie, Mesrine est un personnage comme Musset, un génie, qui a choisi la mauvaise voie..." On me demandait de jouer à 30 ans un type qui en avait quinze de plus quand il est mort. J'ai simplement dit qu'il me fallait du temps, que je prenne vingt kilos, si je voulais me vieillir, casser un peu mon image. Barbet Schroeder me disait : "on va faire notre Mesrine". Pour moi c'était impossible. Je voulais faire Mesrine, ce qu'il a été, pas une interprétation libre.

    Avez-vous d'autres projets ?

    En ce moment je tourne avec Nicole Garcia, en Bretagne. Je joue un personnage très fragile, qui doute de lui. C'est une étude de moeurs, un film choral. Nicole Garcia a un regard très tendre sur les hommes, sur leurs failles. C'est un peu l'anti-Catherine Breillat. C'est une réalisatrice remarquable, Le Fils préféré m'avait beaucoup touché. J'ai dit oui après avoir à peine parcouru le scénario, et je ne suis pas déçu.

    Propos recueillis par Alexis Geng le 16 février

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