Hughes vu par...
Martin Scorsese : Le monde dans lequel nous vivons a beaucoup à voir avec l'énergie de Hughes, ses idées et les technologies qu'il a mises au point. S'agissant de son travail de producteur, Hell's angels, qu'il a réalisé, et Scarface de Howard Hawks, font partie des plus grands films de l'Histoire du cinéma. Aujourd'hui, personne ne pourrait réaliser les scènes de combats aériens de Hell's angels, même si l'histoire et le jeu des acteurs sont un peu datés. Il faut savoir que le film venait après un modèle du genre, Wings de Wellman. De même, avec Scarface, il s'agissait de surpasser un des plus grands films de gangsters, sorti juste avant : L' Ennemi public. J'ai montré ces films à l'équipe, et j'ai été heureux de constater qu'à la fin des projections, tout le monde applaudissait spontanément. C'était formidable de voir tous ces jeunes gens découvrir sur grand écran ces chefs-d'oeuvre, 70 ans après. Comme disait Peter Bogdanovich : "Il n'y a pas de vieux films, seulement des films qu'on n'a pas encore vus" Que ce soit pour le jeu de l'acteur ou le processus créatif, c'est toujours mieux de connaître les classiques. Ca nourrit le travail.
Leonardo DiCaprio : Howard Hughes était sans doute un réalisateur discutable, mais c'était un grand producteur, qui s'est battu seul contre les grands studios. Dans le secteur de l'aviation, c'était un génie et un pionnier : il a battu des records de vitesse, bâti le plus grand appareil qui soit et ouvert la voie à l'aviation commerciale. Encore aujourd'hui, tous les experts en aviation ont beaucoup de respect pour lui.
Après "Gangs of New York"
L. DiC. : Gangs of New York était un projet que Martin portait depuis 20 ans, c'était un peu son bébé. Pour Aviator, le travail a été différent : nous avons longuement discuté du film au cours de séances-marathons de préparation entre Martin, John Logan et moi. C'est une expérience inoubliable, d'autant plus qu'ayant fait des recherches sur le personnage, j'ai pu moi aussi apporter ma contribution. Martin est très ouvert aux suggestions : il aime que chacun, des acteurs à la costumière en passant par le décorateur, fasse des propositions. Avec lui, c'est un apprentissage sans fin, en raison de sa longue expérience de réalisateur, mais aussi de sa connaissance du cinéma. Chaque minute que je passe avec lui, j'apprends quelque chose sur l'Histoire du 7e art.
Martin Scorsese : Avec Gangs of New York, il s'agissait de créer un monde, alors qu'à l'origine d'Aviator, il y a un personnage. Cela suppose deux dynamiques très différentes. Nous voulions explorer à fond ce personnage, non pas le vrai Howard Hughes -quelqu'un a-t-il jamais su qui il était réellement ?- mais celui que le scénariste John Logan avait imaginé. On voulait voir jusqu'où on pouvait aller avec ce personnage -et jusqu'où Leo, en tant qu'acteur, était prêt à aller, à l'intérieur d'une scène, ou même d'un plan. Leo avait par exemple remarqué sur des documents d'archives que Hughes avait une façon très particulière de se toucher la jambe gauche, un geste qui devenait de plus en plus obsessionnel tout au long de sa vie. Il s'est servi pour le film de ce détail, qui est un exemple parmi d'autres de la manifestation de sa maladie. Nous avons procédé ainsi pour les différents aspects de sa vie, comme sa relation avec Katharine Hepburn.
Autoportrait ?
Martin Scorsese : Ce serait présomptueux de ma part de me comparer à Hughes. Quelques amis dont Dante Ferretti [son fidèle chef-décorateur] m'ont dit en lisant le scénario : "Mais c'est toi, Marty !" C'est peut-être moi lorsque je suis dans ma salle de projection ou quand je m'enferme chez moi et que je ne veux voir personne, mais de là à comparer mon talent au sien... Et puis lui était aussi un génie de l'aviation. Reste que je ne me lance pas dans un projet si je ne peux pas y apporter quelque chose de personnel, quelles que soient les contraintes inhérentes à un film à gros budget.
Cate et Katharine
Cate Blanchett : Quand j'ai accepté de relever le défi, j'étais terrifiée. Je savais que le travail serait immense, notamment sur la ressemblance physique : on ne connaissait Katharine Hepburn qu'en noir et blanc, alors que dans Aviator, on la voit en couleurs. J'ai bien sûr vu de nombreux films dans lesquels elle joue, mais j'ai surtout passé beaucoup de temps à écouter des interviews d'elle, car je pense que notre personnalité se révèle à travers notre voix. J'ai appris le décès d'Hepburn [le 26 juin 2003] en lisant un journal à l'aéroport d'Heathrow alors que je partais pour la préparation du film. Elle avait un certain sens du timing (sourire)...
Recueilli par Julien Dokhan le 6 janvier 2005