Logiquement inquiet à la veille de la sortie de son deuxième opus, Ils se marièrent et eurent beaucoup d'enfants - après le succès de Ma femme est une actrice-, l'acteur-réalisateur Yvan Attal, qui enchaîne les interviews et tourne actuellement Anthony Zimmer de Jérôme Salle, avait toutes les raisons d'être tendu et lessivé. Il s'est pourtant révélé volubile et chaleureux tout au long d'un entretien seulement interrompu par un appel de Charlotte Gainsbourg sur son portable. Le conte de fées continue...
AlloCiné : le couple central d'"Ils se marièrent..." est interprété par Charlotte Gainsbourg et vous-même. Mais à la différence de "Ma Femme est une actrice", on n'est plus dans le milieu du cinéma, vos personnages ne s'appellent pas Charlotte et Yvan, et cette fois, il y a d'autres couples...
Yvan Attal : Dans Ma femme est une actrice, cette ambiguité servait le propos. Là, je ne voulais pas jouer dans le film, pour me consacrer à la réalisation. Mais il aurait fallu trouver un acteur, le mettre dans les bras de Charlotte, prendre le temps de construire ce couple... Et au fond, j'avais encore besoin de vérité. D'autre part, je ne crois pas que ce soit un film choral. Autour de Vincent et Gabrielle, il y a d'autres gens, pour éclairer leur situation et respirer un peu, mais en réalité le film est concentré sur un couple. Je dirais même qu'en fin de compte, le film regarde un seul personnage, celui de Charlotte...
Le film est une vraie comédie, mais tous les personnages sont malheureux, insatisfaits...
Il y a des gens heureux, c'est ce couple d'Indiens... Mais c'est vrai qu'ils sont un peu casse-couilles (sourire). Je vais citer Gainsbourg : il disait que c'est plus facile de photographier un ciel avec des éclairs, des nuages, qu'un beau ciel bleu. C'est pareil au cinéma.
On sent que vous vous faites plaisir comme metteur en scène, comme dans la scène où vous vous balancez la nourriture dans la figure...
Mais cette scène est importante. Métaphoriquement, on se balance tout dans la gueule... Et puis c'est le moment où elle me dit qu'elle sait tout. Du point de vue du scénario, c'est énorme, parce que c'est exactement ce que je n'arrive pas à faire avec ma maîtresse. Pour revenir à la réalisation, c'est vrai que j'ai envie de me faire plaisir. Mes films sont très bavards, alors qu'en fait j'ai une envie de cinéma qui ne passe pas forcément par le verbe. J'aime la photo, la musique, la caméra en mouvement, c'est très excitant de pouvoir raconter des choses sans les dialogues. Ca devient d'ailleurs plus intéressant car on utilise vraiment les outils du cinéma.
On sent aussi que vous avez besoin de travailler en famille...
C'est vrai. D'abord, je trouve difficile de faire un film : on a les jetons, on n'est sûr de rien, donc autant être avec des gens bienveillants et en qui on a confiance. Et ça dure tellement longtemps qu'on ne voit plus les gens qu'on aime... Les familles, elles se créent au fur et à mesure : il y a 10 ans, je n'imaginais pas que Claude Berri aurait l'importance qu'il a pour moi aujourd'hui, aussi bien d'un point de vue professionnel qu'affectif.
Comment Johnny Depp est-il arrivé sur le film ?
Il fallait un mec sur lequel les femmes, qui doivent s'identifient à Gabrielle, puissent fantasmer. Quelqu'un qui soit beau sans avoir l'air d'un con, docile, rassurant mais pas seulement. Grâce à tous les films qu'il a faits et à son charisme, il réunit toutes ces qualités. Et il est sublime dans le film.
Est-ce vrai que vous aviez demandé à Radiohead de faire la BO ?
Oui. Malheureusement, à cause de leur longue tournée internationale, ça n'a pas été possible. Ils ont fait une chanson originale pour la séquence du Virgin mais n'ont pas eu le temps de faire les arrangements. Je l'ai, là, avec moi, je l'écoute... Je suis seul à avoir cet inédit de Radiohead... (sourire) Pendant l'écriture, quand je suis à cours, j'écoute de la musique, et ça relance mon imaginaire. Par exemple, la scène où Gabrielle fait visiter un appartement et s'imagine divorcée m'est venue en écoutant la musique de Brad Mehldau. Dans les films que j'aime, il y a énormément de musique. Dans Les Affranchis, quand Ray Liotta sort de chez lui et voit qu'il n'y a pas d'hélicoptère, la musique fait "Today the sky is blue", et c'est tout : là, je me suis dit qu'on pouvait raconter les choses clairement grâce à une chanson.
Depuis que vous êtes réalisateur, vous semblez avoir repris goût au métier d'acteur...
Rappeneau [pour Bon voyage] est un réalisateur intelligent, brillant avec qui j'ai eu un vrai rapport, même si on n'est pas de la même génération. Là, on me propose de tourner avec Sami Frey et Sophie Marceau, des gens que j'avais envie de croiser. J'ai un petit rôle dans le film de Sydney Pollack: je vois pas pourquoi j'aurais refusé une scène avec Nicole Kidman dans un de ses films ! Mais c'est sûr que je suis plus motivé par les rencontres que par le travail d'acteur en lui-même. Sur les films des autres, je ne peux pas faire ce que je veux, je me sens un peu étriqué. Je trouve le métier d'acteur trop difficile : on est fragilisé, infantilisé... Mais j'ai toujours l'espoir d'être bien dans les films des autres, donc je continue...
Vous êtes donc acteur, réalisateur, mais également doubleur [de Tom Cruise]. Que retirez-vous de cette expérience ?
A part de l'argent... (rires) Non, c'était un exercice très intéressant parce qu'on détaille le jeu d'un acteur. C'est passionnant d'épier Tom Cruise, d'entendre les variations de sa voix, de capter des choses qui, probablement, lui échappent. Et au moment du doublage, les films n'étaient pas encore mixés. C'est quand même très intéressant de voir Eyes wide shut ou Minority report à ce stade : on entend encore le bruit des travellings, quelques indications du réalisateur qui parle pendant une prise... On a un peu l'impression de s'immiscer dans le travail de Kubrick et Spielberg.
Pour finir, quels sont vos projets pour votre troisième film ?
J'ai plusieurs idées, et en ce moment ça change tous les jours. J'ai envie de faire un film qui se passerait en partie en Israël, mais j'ai aussi un projet de western...
Propos recueillis par Julien Dokhan
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