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    Rencontre avec Jonathan Demme

    AlloCiné a rencontré Jonathan Demme, le réalisateur du "Silence des Agneaux", à l'occasion de la sortie de "The Agronomist", documentaire sur la vie du journaliste haïtien Jean Dominique.

    Passionné depuis sa jeunesse par le documentaire en dépit d'une carrière toute hollywoodienne, Jonathan Demme nous livre un film essentiel au regard des récents événements de l'histoire haïtienne. Dans Jean Dominique, the agronomist, le cinéaste nous invite à faire la connaissance de Jean Dominique, animateur de la première radio libre d'Haïti et chantre de la démocratie assassiné en avril 2000...

    AlloCiné : Votre carrière de documentariste est peu connue...

    Jonathan Demme : J'adore le cinéma documentaire. Ce qu'il y a de génial, c'est que tout le monde peut en réaliser un. Tout ce qu'il faut, c'est une de ces petites caméras numériques partout en vente. Quand de jeunes gens medemandent comment devenir réalisateurs, je leur dis toujours : "Prenez une petite caméra et filmez. C'est en filmant qu'on devient réalisateur". Et moi, quand je prends ma petite caméra et que je réalise un documentaire sur Jean Dominique et Michèle Montas, je suis aussi un réalisateur, tout simplement. Quand je fais un film à gros budget pour les studios hollywoodiens, il y a beaucoup de critères économiques en jeu, mais quand on fait un documentaire, c'est de la réalisation pure. Et je suis content de voir que le documentaire m'excite et me passionne autant que toute autre forme de réalisation. Je pense aussi qu'en tant que citoyen de la planète j'ai appris beaucoup de choses, j'ai eu beaucoup de révélations en regardant des documentaires.

    En fait, l'une des expériences les plus marquantes de ma vie a été de voir un film de 7 minutes d'Alain Resnais, Loin du Vietnam, avec Yves Montand et Simone Signoret. C'était au Festival de New York, en 1966. J'étais un jeune américain terrifié mais prêt à défendre le drapeau de ma patrie au Vietnam s'il le fallait, et en raison des idées qu'exprimait le film de Resnais - qui était en fait un documentaire sur les sentiments d'Yves Montand vis à vis de la guerre au Vietnam -, en quittant le cinéma, j'étais contre la guerre, contre la politique étrangère américaine, contre l'idée de cette guerre. Ma perspective avait changé complètement. J'ai donc le sentiment que le documentaire peut effectivement "changer le monde", faire évoluer les sentiments et les idées des gens, et je suis heureux d'être moi-même passé par cette expérience.

    Comment votre intérêt pour Haïti est-il né ?

    Je m'y suis intéressé à travers la peinture, l'art et la musique. Dans mon quartier, à New York, il y avait une petite boutique qui vendait des peintures haïtiennes et qui diffusait toujours une musique très forte ! (Sourire) J'ai éprouvé un tel intérêt pour ça que j'ai eu envie departir en Haïti, en 1987, pour aller à la source de cette musique et de cet art merveilleux. C'était un an après que Duvallier ait été forcé à quitter le pouvoir, et un an avant les premières élections libres en Haïti. Il y avait beaucoup d'excitation et de passion autour de l'idéede démocratie. C'était vraiment émouvant, touchant.

    Avec un ami réalisateur et de l'argent de Channel 4, je suis retourné en Haïti pour faire un documentaire, pour essayer de capter l'esprit du peuple haïtien. J'ai commencé à me faire des amis et je me suis retrouvé très impliqué dans la "cause haïtienne". Haïti est un pays qui a été longtemps manipulé, tout spécialement par les Etats Unis et aussi par la France. Je suis vraiment tombé amoureux du peuple haïtien, dont le désir de changement était contagieux. Et quand je suis arrivé là-bas, on m'adit : "Si tu veux faire un documentaire sur les rêves de démocratie du peuple haïtien, il faut que tu ailles à Radio Haïti". Et c'est là que j'ai rencontré Jean Dominique et Michèle Montas. C'était l'homme le plus charismatique que j'aie jamais rencontré. J'adorais sa voix. C'était comme rencontrer Jean-Louis Barrault, j'avais devant moi un mythe vivant ! (Rires)

    Vous avez même eu des projets de films et de théâtre avec lui. Jean Dominique était en fait un vrai passionné de cinéma...

    Durant son exil américain, j'ai réalisé plusieurs interviews de Jean pour ce documentaire et je lui ai suggéré de monter un one-man-show dans lequel il incarnerait un professeur de cinéma haïtien ! C'était une idée assez ironique car le peu de ressources culturelles du pays n'a jamais permis l'éclosion d'une véritable forme de cinéma. Très peu de films y ont été réalisés. Mais dans ce show, Jean aurait décrit des "scènes" de l'histoire haïtienne d'une manière très cinématographique, en mettantl'accent sur le suspense et l'action ! (Sourire) Au niveau de la mise en scène, nous aurions créé des éclairages très dynamiques et une musique très dramatique pour souligner les passages les plus intenses.

    Ce que je n'avais pas réalisé au début de ma relation avec Jean, c'est qu'il était lui-même cinéaste et qu'il avait réalisé l'un des premiers films de l'histoire haïtienne, un documentaire plein de second degré intitulé Mais Je suis Belle, sur un concours de beauté local. Pour Jean, le cinéma était aussi une façon de changer le monde. Il parlait avec passion de Fellini, du fait qu'un film comme La Strada, même si ce n'était pas un film "politique", comportait un message humaniste d'une profonde valeur sociale.

    On vous a entendu parler un peu créole avant l'interview...

    Oui... (En créole) Est-ce que vous parlez créole ? (Rire) Ce n'est pas très difficile. (En créole) En Haïti, tout le monde est votre professeur... (Sourire)

    Propos recueillis par Robin Gatto

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