Chicago grand vainqueur de la soirée, suivi de près par Le Pianiste de Roman Polanski : c'est le palmarès majeur d'une 75e cérémonie des Oscars marquée bien malgré elle par l'actualité internationale brûlante. Le strass et les paillettes ont ainsi laissé la place à la sobriété et l'humilité, mais le spectacle a néanmoins été au rendez-vous, emmené par un Steve Martin chef de cérémonie au meilleur de sa forme. "Chicago Time !!!"
Grand favori de la soirée avec treize nominations, Chicago s'alloue six des vingt-cinq statuettes distribuées ce 24 mars. Meurtres en série, femmes fatales et culte de la célébrité au beau milieu des années folles : la comédie musicale a envoûté la soirée, notamment grâce à un duo tout en swing d'une radieuse Catherine Zeta-Jones enceinte de huit mois et demi et Queen Latifah, sa partenaire dans le film mais également son adversaire dans la catégorie du Meilleur second rôle féminin.
Et si c'est bien la future maman qui décroche la statuette grâce au sulfureux personnage de Velma, l'Académie a largement plébiscité tous les autres membres de l'équipe du film en attribuant à Chicago les Oscars des Meilleurs décors, montage, son et costumes. Sans oublier bien sûr la récompense suprême, couronnant Chicago Meilleur film de l'année.
Surprenant "Pianiste"...
Autre fait marquant de la soirée, le triomphe du Pianiste, honoré par trois des récompenses les plus prestigieuses de la cérémonie. Ce drame musical sur fond de Seconde Guerre mondiale, déjà lauréat de la Palme d'or à Cannes et grand vainqueur de la dernière soirée des César, s'est en effet adjugé les prix du Meilleur scénario adapté, du Meilleur réalisateur pour Roman Polanski face à un Martin Scorsese qui n'en finit plus de voir cette récompense lui échapper, et enfin celui du Meilleur acteur pour Adrien Brody, laissant Daniel Day-Lewis et Jack Nicholson "fulminer" contre des pronostics qui les donnaient déjà vainqueurs.
Incontestablement élu roi de la soirée, la surprise fut apparemment également de taille pour le comédien, qui avant de verser quelques larmes d'émotion, n'hésita pas à exprimer sa joie en embrassant à pleine bouche une Halle Berry venue lui remettre son prix !
La déception "Gangs of New York", les Français bredouilles
Mais face aux vainqueurs, il faut des perdants... Pourtant, rien ne semblait présager une telle désillusion pour Gangs of New York. Nommée à dix reprises, l'épopée historique de Martin Scorsese repart bredouille, sans le moindre petit Oscar technique pour se consoler... Si The Hours, qui cumulait neuf nominations, voit également la grande partie des récompenses lui passer sous le nez, ce mélodrame peut toutefois se targuer de ramener l'Oscar de la Meilleure actrice, sacrant une Nicole Kidman en pleurs. Julianne Moore, concourant dans les catégories Meilleure actrice (Loin du paradis) et Meilleur second rôle féminin (The Hours), repart donc les mains vides.
Exception faite du Pianiste, co-production hexagonale, les Français engagés dans la course aux Oscars, Philippe Orrendy pour son court métrage J'attendrais le suivant et Jacques Perrin pour le documentaire Le Peuple migrateur, n'auront quant à eux pas connu plus de succès que Le Fabuleux destin d'Amélie Poulain l'année dernière. Il faut dire que le film animalier de Jacques Perrin avait face à lui un prétendant de poids : le Bowling for Columbine de Michael Moore.
L'ombre de la guerre
Le célèbre cinéaste américain, lauréat de l'Oscar du Meilleur documentaire, a d'ailleurs profité des 45 secondes de remerciements qui lui étaient allouées pour tenir un violent discours contre le président des Etats-Unis George W. Bush, déclarant : "Nous sommes contre la guerre, M. Bush. Honte à vous !" Paroles qui n'ont évidemment pas manqué de provoquer de vives réactions dans l'assemblée, laissant partir Michael Moore sous les huées et les applaudissements du public.
L'ombre du conflit irakien planait en effet largement au-dessus de la cérémonie, ne serait-ce que dans la sobriété affirmée par une grande majorité des invités : les femmes ont pour la plupart rivalisé d'élégance dans des ensembles noirs afin de ne pas paraître trop frivoles, tandis que le tapis rouge à l'entrée du Kodak Theatre n'avait pas été déroulé pour des raisons de sécurité : seuls 12 photographes ont ainsi pu couvrir l'entrée des stars, contre 500 l'année dernière ! Enfin, de nombreux artistes ont affiché une petite colombe sur le rebord de leurs vestes, afin de marquer leur refus de la guerre et un retour rapide à la paix.
Dernière grande manifestation annuelle de la saison des récompenses cinématographiques, les Oscars ont maintenu de bout en bout le dicton : "The show must go on". Mais comme l'a très justement signalé Hayao Miyazaki, oscarisé (et absent) pour Le Voyage de Chihiro : "En ces tristes temps pour le monde, il est malheureux de ne pouvoir goûter ce prix de tout son coeur". Malgré tous les efforts des organisateurs pour offrir au monde entier un show d'une grande qualité, faire oublier l'espace d'un temps la guerre aux Américains relevait de la mission impossible. La fête, cette année, ne pouvait être totale.
Johann Liard