Rutger Hauer est décédé à l’âge de 75 ans en 2019, laissant derrière lui une carrière d’acteur qui comprend l’un des monologues les plus mémorables de l’histoire du cinéma de science-fiction. Hauer a en effet joué aux côtés d’Harrison Ford dans le classique de Ridley Scott de 1982, Blade Runner. Il y incarnait le rôle de Roy Batty, un réplicant rebelle qui affronte Rick Deckard. Dans l’une des scènes les plus célèbres du film, Roy récite un court monologue tout en mourant sous une pluie battante, un monologue de 50 secondes et 42 mots devenu iconique – et qu’il a lui-même aidé à créer.
Délivré dans ses derniers instants, le monologue (à relire ci-dessous) est l’une des tirades les plus émouvantes du cinéma et c’est l’acteur lui-même qui en est à l’origine, lui qui, la nuit précédant le tournage, a coupé des pans du scénario original et y a ajouté une phrase finale poignante.
“J’ai vu des choses que vous, humains, ne pourriez croire... De grands navires de guerre en feu, surgissant de l’épaule d'Orion... J’ai vu des rayons fabuleux, des rayons C briller dans l’ombre de la Porte de Tannhäuser... Tous ces moments se perdront dans l’oubli, comme les larmes dans la pluie. Il est temps de mourir.”

Le discours est rapide mais la performance introspective de Rutger Hauer et le magnifique travail en gros plan de Scott sont en si parfaite harmonie qu’il n’est pas étonnant que le monologue des “Larmes sous la pluie” (ou “Tears in rain monologue” en VO) soit devenu l’un des moments marquants de Blade Runner et de la carrière de Hauer.
Un geste audacieux qui a payé
Dans une ancienne interview (via All The Right Movies sur X, anciennement Twitter), l’acteur a expliqué comment il avait lui-même retravaillé le texte à la dernière minute.
“La colombe était mon idée. Et le texte faisait une page et était très compliqué. Beaucoup de paroles. J’ai juste pensé que nous avions vu cinq morts à la manière d’un opéra, avec beaucoup de pathos, et je me suis dit : ‘Maintenant, nous devons être rapides’. Les batteries sont vides, bam, c’est fini. N’en faisons pas trop.”
Et c’est ainsi qu’il a tranché “au couteau” certains passages et ajouté une dernière phrase légendaire… la veille du tournage !
“La veille, je l’avais un peu compressé et cette phrase était la grande fin. Je l’ai suggéré à Ridley et il a accepté de le faire de cette façon. [...] Nous avons filmé [la scène] avec et sans colombes. Toutes les scènes où j'ai une colombe ont été tournées en deux jours parce qu’il n’en était pas sûr, et moi non plus. L’idée était que lorsque l’âme s’en va, quelque chose doit s’envoler. C’est ridicule, bien sûr, car quand une machine meurt, rien ne s’envole.”
Découvrez son interview en VO ci-dessous :
Quand le réalisateur vous offre la liberté de créer
Dans une interview accordée à Radio Times en 2017, peu avant la sortie de Blade Runner 2049 de Denis Villeneuve, Rutger Hauer est revenu sur cette anecdote légendaire, ajoutant quelques explications de plus au mythe.
“J’ai gardé deux lignes parce que je les trouvais poétiques. Je pensais qu’elles appartenaient à ce personnage, car quelque part dans sa tête numérique, il a de la poésie et sait ce que c’est. Il le sent ! Et pendant que ses batteries fonctionnent, il trouve les deux lignes.”
Mais tout cela n’aurait pas été possible sans l’ouverture d’esprit de Ridley Scott et la liberté qu’il a donné à ses acteurs, laissant tout égo de côté.
“Ridley m’a donné toute la liberté, car il voulait que ce soit une histoire axée sur les personnages. Il n’avait jamais réalisé un film axé sur les personnages. Il a dit : ‘C’est ce que je veux faire : apportez-moi tout ce que vous pouvez proposer, et je le ferai si j’aime ça.’”
“Vous savez, je pense que beaucoup de scripts sont surécrits”, a-t-il ajouté. “Les éléments surécrits viennent du scénariste et de tous les dirigeants, mais le public peut le ressentir, et même le meilleur acteur ne peut pas me vendre avec un langage surécrit. Je suis complètement allergique à ça. OK ?”
Il va de soi de conclure que Ridley Scott a clairement aimé ce que Hauer a proposé pour la dernière phrase du discours : “J’espérais trouver une réplique où Roy, parce qu’il comprend qu’il a très peu de temps, exprime un peu de l’ADN de la vie qu’il a ressenti. Comme il a aimé ça. Une seule vie.”
Après Blade Runner, Rutger Hauer a continué à jouer dans des films tels que Hitcher, Sin City ou encore Hobo With a Shotgun. Côté télévision, on a pu le voir dans True Blood et Channel Zero. Mais peu importe le nombre de projets sur lesquels il a travaillé après le film culte qui l’a fait connaître, son discours des “Larmes sous la pluie” est resté le moment déterminant dans sa carrière et une scène mythique dans le cœur des cinéphiles.
“L’ironie est que tout ce que j’ai fait dans Blade Runner était… et je ne dis pas que ce n’est rien, mais c’est si peu”, a-t-il conclu. Non, ce n’était pas si peu mais immense en réalité. Et si l’on en croit la rumeur, les membres de l’équipe du tournage auraient même applaudi et pleuré une fois la scène terminée. On peut bien l’imaginer.
Blade Runner (1982) est à revoir en streaming sur la plateforme Max.
Redécouvrez la fameuse tirade de Rutger Hauer en français ci-dessous :