S'il diffère naturellement par sa forme des oeuvres fictionnelles, le champ émotionnel ouvert par le documentaire peut être d'une puissance absolument dévastatrice. Parce qu'il aborde des sujets touchant parfois à l'intime, des questions qui nous heurtent profondément et nous interrogent, sur notre rapport au monde, aux autres et au vivant.
Nous tend aussi un miroir parfois salutaire, comme une radiographie sur le devenir d'une société engagée dans une lutte à mort avec elle-même. C'est le cas de Bowling for Columbine.
"Vous me retirerez mes armes que lorsque je serai mort !"
On a pu reprocher à Michael Moore d'avoir, par facilité, fait de nombreux raccourcis lapidaires dans certaines de ses oeuvres passées, et même, parfois, intellectuellement malhonnêtes. Pourtant, force est de constater qu'avec son Bowling For Columbine, il dégoupillait une oeuvre à la déflagration aussi implacable et glaçante que salutaire, même si elle fut controversée.
Sorti en 2002, il prenait comme point de départ la tuerie survenue dans une école à Columbine, dans le Colorado, en 1999, qui avait fait 15 morts. Ce carnage avait provoqué un très grand émoi aux États-Unis et soulevé des débats sur le terrorisme, sur les lois de contrôle des armes à feu, la disponibilité de ces armes, la sécurité dans les écoles, l'impact des jeux vidéo, de la musique et des films.
Empruntant son titre à l'activité à laquelle s'étaient livré les deux auteurs, Eric Harris et Dylan Klebold, la veille de la tuerie, mélangeant régulièrement des images d'archives comme la Guerre du Viêtnam avec des procédés cinématographiques qui font appel aux émotions ("manipulations" diront les contempteurs de Moore), le cinéaste développait une réflexion autour d'une question faussement simple : pourquoi il y avait selon lui aux Etats-Unis cent fois plus de meurtres par balles qu'ailleurs ?
Et de pointer la fascination américaine pour les armes en expliquant que les Etats-Unis ont toujours baigné historiquement, depuis leur naissance, dans une histoire et une culture violente; de la guerre d'indépendance à celle faite aux amérindiens, en passant par les deux guerres mondiales et bien entendu la Guerre du Viêtnam.
Une ultime apparition ravageuse
Couronné notamment par l'Oscar du Meilleur documentaire et le César du Meilleur film étranger, Bowling For Columbine s'achève d'ailleurs par une séquence dévastatrice pour la légende hollywoodienne qu'était Charlton Heston, six ans avant son décès, et qui fut président de la NRA de 1998 à 2003.
Dans un échange final, après avoir joué au chat et à la souris avec lui en se prétendant membre de la NRA pour mieux l'approcher, Heston balance à Michael Moore un "I have only five words for you : from my cold dead hands !" -Vous me retirerez mes armes que lorsque je serai mort !- Des images quoi qu'il en soit ravageuses pour Heston, qui faisait d'ailleurs ici une ultime apparition à l'écran qui ne plaidait pas vraiment en sa faveur...