Pour sa première apparition dans le drame historique de 1984, La Déchirure, l’acteur et médecin Haing S. Ngor a remporté l’Oscar du meilleur second rôle, devenant ainsi le premier Américain d’origine asiatique à recevoir un prix dans cette catégorie. Et pourtant, rien ne le prédestinait à la célébrité.
Né au Cambodge en 1940, Haing S. Ngor était un médecin, spécialisé en obstétrique et gynécologie. Cependant, sa vie prospère dans la capitale Phnom Penh a été bouleversée à partir de 1975 lorsque les Khmers rouges, un mouvement communiste dirigé par un dictateur impitoyable, ont renversé le gouvernement cambodgien et se sont lancés dans une campagne de plusieurs années pour purger sa population de toute personne qu’ils considéraient comme une menace politique ou intellectuelle. Parmi les nombreux Cambodgiens déplacés de force à la campagne se trouvaient Ngor et sa femme, Chang My Huoy, qui ont fini dans un camp de travaux forcés. Celle-ci est décédée en couches : ni elle ni l’enfant n’ont survécu. Ngor a enduré la torture et la famine, et a dû cacher son rôle de médecin pour éviter une mort certaine.
Ce n’est qu’après l’effondrement du régime que Ngor et sa nièce se sont alors enfuis en Thaïlande. L’année suivante, ils immigrent aux États-Unis, s’installant à Los Angeles, où Ngor finit par accepter un emploi de conseiller auprès d’autres réfugiés. C’est à cette époque qu’il fait la rencontre de Pat Golden lors d’un mariage en Californie. Le directeur de casting est alors à la recherche d’acteurs pour un film sur le génocide cambodgien et propose alors à Ngor le rôle de Dith Pran, un journaliste qui avait également survécu au règne des Khmers rouges. Bien qu’il ne soit jamais apparu devant les caméras, Golden a déclaré que Ngor “avait un don inné pour le jeu d’acteur” et, malgré une hésitation initiale, ce dernier a accepté le rôle et est retourné en Thaïlande pour tourner La Déchirure.
Évidemment, étant donné la nature du film, l’idée de se retrouver à nouveau confronté à son histoire traumatisante devait être difficile pour Ngor, mais le réalisateur Roland Joffé l’a félicité en déclarant au Hollywood Reporter : “Il était très courageux. Jouer, c’est donner de son âme, et il l’a fait.”
Un accueil à Hollywood acclamé
À sa sortie en 1984, La Déchirure a été favorablement accueilli par la critique, et lorsque la saison des récompenses est arrivée, le long métrage a remporté 7 nominations aux Oscars, dont celles du meilleur film et du meilleur acteur dans un second rôle pour Haing S. Ngor.
Coincé dans les embouteillages de Los Angeles en route vers la cérémonie, Ngor et sa nièce Sophia Ngor Demetri sont arrivés sur les lieux juste à temps pour que l’acteur entende son nom annoncé comme le meilleur second rôle masculin de l’année.
Montant sur scène devant le public et des millions de téléspectateurs, il a prononcé un discours de remerciement mémorable avec un mélange de fierté, d’humilité et de gratitude. Il a ensuite remis sa statuette à sa nièce et a déclaré : “C’est pour toi. J’ai fait ça pour toi.” Après La Déchirure, Ngor a continué à jouer des rôles occasionnels au cinéma et à la télévision et s’est battu pour sensibiliser la population au génocide cambodgien jusqu’au début de l’année 1996.
La tragédie
Cependant, le 25 février 1996, sa vie a été tragiquement écourtée à l’âge de 55 ans lorsqu’il a été confronté à trois adolescents et a été abattu devant sa maison de Los Angeles. Bien que sa mort ait finalement été considérée comme le résultat d’une tentative de cambriolage ratée, d’autres détails ont émergé par la suite suggérant la possibilité de forces plus puissantes et obscures à l’œuvre. En effet, au cours des années suivantes, la légitimité de ce jugement a été remise en question. Selon People, les adolescents n’avaient même pas volé sa Mercedes ni les 3 700 dollars en liquide qu’il avait sur lui, des faits certainement suspects pour des voleurs présumés. Ils ont toutefois été jugés et condamnés.
Mais compte tenu de son activisme vocal et prolifique concernant le génocide cambodgien, l’idée que le meurtre de Ngor était motivé politiquement, et peut-être même ordonné par d’anciens membres des Khmers rouges, a commencé à prendre de l’ampleur parmi les membres de la communauté cambodgienne d’Amérique.
En 2016, le réalisateur Arthur Dong a évoqué face au média Vice la possibilité que Ngor ait été tué par les Khmers rouges, faisant référence aux propos de Kang Khek Iew (surnommé “Camarade Duch”), l’un des principaux maniaques du régime qui avait affirmé que la mort de Haing S. Ngor avait été ordonnée par les restes des Khmers rouges. La nièce de Ngor a elle aussi fini par exprimer son inquiétude quant à la possibilité qu’il ait été tué par des ennemis politiques. “J’avais peur pour lui parce qu’il parlait librement du Cambodge”, a-t-elle déclaré à People. “Ce n’était pas sûr, mais il s’en fichait. Il voulait juste aider les gens de son pays. Mais les Khmers rouges étaient toujours là, alors je m’inquiétais toujours pour lui.”
Son héritage perdure
Si l’on ne connaîtra peut-être jamais la motivation exacte de son meurtre, ce qui est certain, c’est que Haing S. Ngor a eu un impact important de par son histoire et son inlassable engagement à mettre en lumière le génocide cambodgien. “Il a utilisé sa célébrité pour éduquer les gens”, a déclaré sa nièce au Hollywood Reporter. “Et aujourd’hui, chaque fois que les gens voient son Oscar, ils me posent des questions sur le Cambodge, et son héritage continue.”
Malgré son passage relativement bref sous les projecteurs, Haing S. Ngor a été une lueur d’espoir, faisant briller un rayon de lumière sur l’un des chapitres les plus sombres de l’histoire dans le but d’empêcher que de telles tragédies ne se reproduisent. Pionnier à plus d’un titre, sa survie et son activisme perdureront et continueront de nous servir d’inspiration.
Sa performance magistrale dans La Déchirure est absolument à découvrir si ce n’est pas déjà fait.
Et voici son discours émouvant lors de la cérémonie des Oscars de 1985 :