C'était l'une des sensations de la Compétition officielle du 77ème Festival de Cannes et il s'agissait d'un premier long-métrage pour sa réalisatrice Agathe Riedinger.
Inspiré par son expérience du court-métrage, la cinéaste française a repris son personnage de Liane pour la plonger dans un récit d'émancipation et de fascination pour les strass et les paillettes à travers l'univers illusoire et destructeur de la télé-réalité et des réseaux sociaux.
Dans Diamant brut, Liane, 19 ans, téméraire et incandescente, vit avec sa mère et sa petite sœur sous le soleil poussiéreux de Fréjus. Obsédée par la beauté et le besoin de devenir quelqu’un, elle voit en la télé-réalité la possibilité d’être aimée. Le destin semble enfin lui sourire lorsqu’elle passe un casting pour "Miracle Island".
Inspiré de figures emblématiques de télé-réalité
Pour Diamant Brut, Agathe Riedinger s'est évidemment inspiré de programmes qu'elle connait bien comme "Les Marseillais", "Les Ch'tis", "Le Cross" ou "Les Anges" :
"Il y a des références, des clins d'œil à certains candidats. Mais je ne me suis pas inspirée d'une candidate en particulier pour créer Liane, parce que ce qui m'intéressait, c'était d'avoir ma propre candidate et de raconter l'histoire d'une jeune femme qui ne ressemble pas à une autre, qui a sa propre singularité.
Ce sont des émissions qui sont bien faites aussi, donc on s'attache. Ça reprend exactement les contes de la mythologie grecque sur la haine, la trahison, l'amour, le pardon. Ce sont des grandes passions qui sont soulevées, donc forcément, on peut facilement être accroché à ça.
Ils le savent très bien et ils jouent très bien aussi de ça. Ils se servent très bien des étiquettes, des rôles qu'on leur demande et des symboles qu'ils représentent. Ils sont très loin d'être les idiots qu'on a tendance à penser qu'ils sont."
Si l'actrice principale Malou Khebizi, époustouflante dans sa performance, ne s'est pas inspirée d'une candidate en particulier, elle a tout de même été bercée par des figures de la télé-réalité dans son adolescence et choquée avec le recul par le traitement que pouvaient subir certaines femmes dans ce milieu :
"Je la cite beaucoup, mais Aurélie Preston qui a subi un harcèlement public m'a beaucoup touchée. On lui jetait son matelas par terre, on lui jetait de la nourriture dessus. C'était monstrueux. Je crois qu'à partir de là, ça m'a quand même fait un choc et je me suis dit : 'Qu'est-ce que je suis en train de regarder ? Qu'est-ce qu'on nous propose à regarder publiquement ?'"
Les réseaux sociaux comme miroir d'une construction de soi
La particularité du personnage de Liane, c'est sa dualité entre sa fragilité émotionnelle intérieure, en raison d'un contexte familial fragile, et sa force guerrière qu'elle porte comme un costume de super-héroïne, pour se façonner un personnage iconique et immanquable dans une société qui la rejette et la méprise.
"Liane souffre d'un tel manque d'amour et de reconnaissance qu'elle fait tout pour qu'on la regarde et ça passe par son apparence hyper flamboyante qu'elle poste sur les réseaux sociaux", explique Agathe Riedinger, "Toute personne qui va réagir à sa photo, c'est la preuve que quelqu'un l'a vue et donc que quelqu'un l'a reconnue".
Et cela passe par les témoignages d'amour, d'envie, de dévotion, d'adoration mais aussi par les messages de haine, de voyeurisme, d'harcèlement, de misogynie. "Il y a une dichotomie gigantesque", selon la réalisatrice, mais le plus important reste de provoquer une réaction, "C'est horrible à dire mais il n'y a plus de mauvais buzz aujourd'hui".
Avec les messages reçus, Liane construit son identité et son rapport à son corps. Et pour représenter ce cheminement, Agathe Riedinger et Malou Khebizi ont beaucoup travaillé en amont sur cette notion.
"J'avais vraiment besoin de me détacher de mes propres codes de beauté", confie l'interprète de Liane, "C'est devenu facile quand j'ai compris la personnalité de Liane et ses motivations. Agathe avait déjà fait un travail d'orfèvre dans son scénario. Et finalement, il y a eu très peu d'improvisation. Et elle a eu des réponses très précises et complètes à toutes les questions que j'ai pu poser".
Car dans le film, Liane a un rapport ambivalent à son corps, elle le sublime autant qu'elle le maltraite à travers des rites de passage codés, comme le maquillage, le piercing, le tatouage que l'on peut voir dans le film. Elle se taille comme un diamant brut pour devenir une autre version d'elle-même :
"Elle obéit aussi à cette phrase qu'on entend encore aujourd'hui, qu'il faut souffrir pour être belle. L'assimilation entre la souffrance et la beauté est très présente chez elle. Cette manière de vivre son corps, ça répond aussi à un désir de toute puissance. C'est sa manière à elle de se séréniser.
Quand elle se fait ce tatouage, elle se prouve qu'elle est plus forte qu'autre chose. Elle a un côté sauvage, contraire aux codes féminins attendus, et elle utilise son corps comme un outil pour parvenir à ses fins : trouver la reconnaissance de son être."
Propos recueillis par Mégane Choquet le 15 mai 2024.
Le film "Diamant Brut" est actuellement au cinéma.