Si on ne présente guère plus sa cultissime trilogie du dollar, et encore moins son monument qu'est Il était une fois dans l'Ouest, son plus gros succès au box office en France avec plus de 14,8 millions de spectateurs en 1969, Sergio Leone a signé trois ans plus tard un autre chef-d'oeuvre : Il était une fois la révolution. Différent de ses oeuvres précédentes mais gardant un esprit très picaresque, ce western ne possède certes pas les répliques culte en pagaille du Bon, la Brute et le Truand.
Un chef-d'oeuvre que Leone ne devait pourtant même pas réaliser
Mais n'en reste pas moins baigné par un très puissant souffle dramatique et même poignant, bercé par une sublime partition d'Ennio Morricone. James Coburn y est extraordinaire, sous les traits de Sean Mallory, révolutionnaire irlandais spécialisé dans les explosifs, contraint de fuir son pays et faire alliance malgré lui avec Juan Miranda (Rod Steiger), pilleur de diligences dans un Mexique plongé en pleine guerre civile.
Entre ironie mordante et pure tragédie, le ton du film peut sembler déconcertant. Mais il est brillamment maintenu dans un équilibre qui serait à bien des égards précaire chez nombre de cinéaste. Mais pas chez un génie comme Leone. A ce titre, on n'ose imaginer ce qu'aurait donné le film entre les mains de Peter Bogdanovich, qui devait initialement le réaliser...
Ce dernier passa d'ailleurs quatre mois à Rome sous la tutelle de Leone, pour y élaborer un traitement scénaristique qui fut non seulement rejeté par Leone, mais même par le studio, qui rappela in fine Bogdanovich aux Etats-Unis. En clair : le film ne se ferait tout simplement pas si Leone ne prenait pas lui-même les commandes.
"Demain, je te remplace car tu es un acteur nul !”
Si l'entente entre Coburn et Leone fut parfaite, ce ne fut pas exactement le cas avec Rod Steiger, qui a rendu fou le cinéaste, au point qu'un jour il explosa de colère. Dans l'ouvrage Conversations avec Sergio Leone de Noël Simsolo, publié aux éditions Capricci, le maître revient justement sur cet épisode.
"Avec lui, il n'y a que des problèmes. Il croyait me faire plaisir en me parlant dans un italien qui ressemblait à du russe. Il m’exaspérait. Il voulait composer un personnage sérieux, complètement cérébral. Un étrange mélange de Pancho Villa et d’Emiliano Zapata. Avec je ne sais trop quoi en plus ! Terrifiant ! Je me tuais à lui expliquer qu’il interprétait un simple paysan voleur et bandit. Un paumé. Un bâtard émouvant de naïveté… Non. Lui, il s’adressait à Dieu en jouant.
J’ai réussi à garder mon calme pendant une longue semaine. Je restais serein tout en refaisant vingt fois les plans avec Steiger. L’équipe s’étonnait de mon attitude. Sur les tournages précédents, ils m’avaient vu piquer des crises de nerfs dans des situations analogues. [...]
L’incident eut lieu pendant que nous tournions sur une montagne à cinquante kilomètres d’Almería. Je réglais un plan avec Coburn. Et Steiger vint s’interposer. Il me dit qu’il fallait rentrer tout de suite si l’on ne voulait pas dépasser l’horaire de la journée de travail. Là-dessus, il fit signe à Coburn de le suivre.
Alors, j’ai éclaté : "Moi, si je veux tourner vingt-quatre heures d’affilée, je le fais. Et je me fiche que tu t’appelles Rod Steiger et que tu aies gagné par erreur un Oscar. Car tu n’es qu’une espèce de morceau de merde. Et je t’envoie te faire foutre, toi et la United Artists ! Demain, je te remplace parce que tu es un acteur nul".
"Va chercher ce sac d’excréments qui est dans sa roulotte"
Les jours suivants, forcément, la tension était largement palpable entre les deux. Au point que Leone ne parlait même plus directement à Steiger mais passait par les services de son assistant. "j’avais une attitude très dure. Je ne lui parlais pas directement. L’assistant servait de relais. Je lui disais : «Va chercher ce sac d’excréments qui est dans sa roulotte. Dis-lui ce que je veux qu’il fasse devant cette caméra».
Et quand Steiger faisait mal son boulot, je m’adressais encore à l’assistant : «On coupe. Dis à ce type que son truc est mauvais. Je montre ce que je veux qu’il fasse. Et qu’il le fasse sans remuer les oreilles ou palpiter des narines. Qu’il le fasse normalement ! Normal ! Comme il n’a jamais su jouer. Qu’il oublie son Actors Studio !"
Le quatrième jour, Rod Steiger est allé trouver Leone, pour s'excuser de son attitude, et lui proposa de rompre son contrat, sans procès, s'il ne voulait plus de lui. "A partir de cette conversation, tout s'est transformé. Il devint aussi docile qu’un enfant de huit ans. Pourtant, il se demandait pourquoi je lui faisais tourner ses plans une bonne trentaine de fois, alors que je me contentais d’une ou deux prises pour Coburn. Au bout de vingt-cinq prises, Steiger était trop fatigué pour me ressortir ses artifices de l’Actors Studio".