“On ne fait pas de bonne littérature avec de bons sentiments.” Cette phrase, prononcée par l’écrivain et journaliste Henri Jeanson, ne pourrait mieux convenir au film Miséricorde d’Alain Guiraudie. Le réalisateur en fait même son mantra.
Il y raconte le retour de Jérémie (Félix Kysyl) dans le village de Saint-Martial après la mort de son ancien patron. Très vite, sa présence instaure un climat de défiance et vient déterrer des secrets jusque-là enfouis.
Entre le thriller et la comédie noire, le cinéaste tend un miroir au public et convoque le pire de l’être humain : son sentiment de culpabilité, sa jalousie, ses mensonges et même ses pulsions inavouées.
“Ce film m’a permis d’en savoir plus sur moi, admet le metteur en scène. Sur mon côté tordu, mon côté pervers et mon visage noir.” C’est dans l’aspérité des personnages que le spectateur trouve tout son plaisir grâce à une écriture fine, malicieuse et sans compromis. Le génie de Miséricorde se trouve ici.
Dans mes personnages, je mets beaucoup de moi, le meilleur comme le pire.
“Quand une histoire se passe super bien, je m’emmerde", lance Alain Guiraudie. Avec ce film, le réalisateur revient à ses fantasmes d’adolescent, s’inspirant autant de personnes rencontrées dans sa jeunesse que de situations déjà présentes dans son roman, Rabalaïre, publié en 2021 aux éditions POL.
“Malgré leurs défauts, tous mes personnages me semblent assez sympathiques, précise-t-il. Je mets beaucoup de moi, le meilleur comme le pire.”
Miséricorde est un “vrai film de scénariste” selon son auteur. Le personnage principal multiplie les mensonges et raconte une nouvelle histoire à chaque personne avec d’autres éléments.
“Face à cette grande part de mystère, tous les autres protagonistes essaient de refaire le récit et échafaudent des hypothèses”, poursuit-il. De quoi transformer l’intrigue en poupées russes.
Le curé, star du film
Parmi toute une galerie de personnages aussi troubles les uns que les autres, le curé interprété par Jacques Develay - excellent - est l’étincelle du film. Il est aussi poignant qu’irrésistible en homme de foi guidé par son désir.
“C’est l’idée qu’on se fait du curé, avec tous ses clichés et ses contre-clichés, détaille Alain Guiraudie. Il compose entre ses grands préceptes moraux, son sexe et sa libido.”
“Sur le plateau, je n’ai pas eu l’impression de diriger les acteurs”, fait savoir le cinéaste qui s’en est remis à l’instinct des interprètes. Au cœur de la bande de comédiens, on retrouve Catherine Frot sous les traits d’une mère endeuillée. L’actrice, très aimée du grand public, s’essaie ici à un tout nouveau registre.
“J’ai vraiment hésité, reconnaît Alain Guiraudie. Je me demandais si on allait y croire, puis finalement tout a fonctionné. Il y a ce côté femme-enfant qui me plaisait beaucoup.”
Avec Miséricorde, le réalisateur se laisse aller à ses déviances, ne s’excusant jamais de provoquer la morale. C’est ce qui en fait un des films les plus irrésistibles de cette année.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Paris, le 7 octobre 2024.
Miséricorde d'Alain Guiraudie est à découvrir au cinéma.