En 1971, plus de 156 800 soldats américains se trouvent au Viêt Nam. Le conflit a déjà fait plusieurs millions de morts. Cette même année, Johnny s'en-va-t-en guerre sort au cinéma. L'auteur du roman éponyme, Dalton Trumbo, réalise lui-même l'adaptation. Il signe ici son unique film.
Plus de 50 ans plus tard, cette œuvre pacifiste et antimilitariste résonne encore avec l'actualité et pour cause, elle ressort dans les salles dans une nouvelle copie numérique 4K.
L'écrivain publie Johnny Got His Gun, son troisième roman, le 3 septembre 1939, le jour où la France et le Royaume-Uni déclarent la guerre à l'Allemagne nazie d'Adolf Hitler. L'ouvrage se déroule en 1918, pendant la Première Guerre mondiale, et suit Joe Bonham, un soldat américain de 20 ans.
Touché par un obus sur le champ de bataille, le jeune homme perd tout : ses bras, ses jambes et une grande partie de son visage. Il ne pleut plus parler, plus voir, plus entendre et plus sentir.
Pourtant, Joe est toujours en vie. Son esprit est le seul fil qui le relie à sa condition d'être humain. Dans le livre comme dans le film, le soldat replonge dans ses souvenirs pour démêler son histoire mais tente également de deviner le monde qui l'entoure.
Je voulais atteindre une répulsion du cœur et de l'esprit.
Avec cette adaptation, Dalton Trumbo parvient à transformer son chef-d'œuvre littéraire en chef-d'œuvre cinématographique, protégeant ainsi l'essence même du livre, mais aussi sa sensibilité et son discours politique. Les interrogations posées par Johnny s'en-va-t-en guerre sont infinies.
Il y est question de l'absurdité des conflits mais aussi de la considération des blessés. Qu'arrive-t-il aux corps décharnés mais vivants ? Quand le personnel hospitalier comprend que Joe est encore conscient, la morale de la société et les convictions religieuses viennent se mêler à la condition du jeune homme. Doit-il vivre coûte que coûte ou être libéré de ses souffrances ?
"Ce que je voulais surtout montrer, c'était les résultats de la guerre, affirme Dalton Trumbo dans L'Humanité en 1971. J'ai vu tellement de films contre la guerre ne provoquant qu'une répulsion physique que je voulais atteindre, moi, une répulsion du cœur et de l'esprit."
Un film refusé par tous les studios
Il est rare qu'un auteur réalise lui-même l'adaptation de son roman. Grand scénariste inscrit sur la Liste noire à l'époque du maccarthysme, Trumbo s'est proposé par la force des choses. À Hollywood, personne ne voulait du projet, si bien que dix-sept studios lui ont claqué la porte au nez.
Faute de moyens et de sérieux candidats, l'écrivain décide de s'en charger. Puis il y a la dimension autobiographique. Si Dalton Trumbo n'avait que 8 ans lors de la Première Guerre mondiale, toutes les séquences entre Joe - joué par Timothy Bottoms - et son père sont pleinement inspirées de souvenirs personnels.
D'abord refusé au Festival de Cannes, Johnny s'en-va-t-en guerre est finalement présenté en compétition et remporte le Grand prix du jury, ex æquo avec Taking Off de Milos Forman, sous la présidence de Michèle Morgan. Compte tenu du contexte politique de l'époque - la guerre du Viêt Nam se terminera quatre ans plus tard -, le film rencontre un beau succès.
En 1988, le célèbre groupe Metallica rend un hommage marquant au long métrage à travers le titre One, présent dans leur album ... And Justice For All. La chanson s'inspire intégralement de l'histoire de Joe. Le clip reprend des images du film de Dalton Trumbo.
Extrait traduit de la chanson "One" de Metallica :
"Maintenant que la guerre en a fini avec moi
Je me réveille, je ne peux pas voir
Qu'il ne reste plus grand chose de moi
Rien n'est réel, à part la douleur maintenant"
Découvrir ou revoir Johnny s'en-va-t-en guerre aujourd'hui ne fait que confirmer, si ce n'est amplifier, la force des idées de l'auteur. Alors que les guerres se poursuivent et que les morts se multiplient, le film n'a rien perdu de sa pertinence et s'impose comme une nécessité.
Johnny s'en va-t-en guerre* est à découvrir au cinéma.
*Le film est soutenu par l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD).