Ça n'est pas vraiment un contre-emploi. Car Nicolas Cage nous a habitués à ces personnages hauts en couleur et parfois (souvent ?) inquiétants. Même lorsqu'il est le héros de l'histoire, le spectateur n'est pas à l'abri de le voir vriller, histoire d'ajouter une entrée à sa longue liste de pétages de câbles que The Surfer, présenté en Séance de Minuit au dernier Festival de Cannes, est venue enrichir au mois de mai.
Mais il franchit un nouveau palier dans Longlegs, thriller signé Oz Perkins (fils d'Anthony, star de Psychose) dans lequel il tient son rôle le plus terrifiant à ce jour. Ce qui n'est pas peu dire quand on connaît le pedigree et la filmographie du monsieur. Un personnage qu'il a minutieusement construit avec le réalisateur, du look à la voix, en passant par la promotion, pour une efficacité maximale.
T'as le look Nico
Lors de son passage à Paris pour la promotion de Prédictions, en 2009, nous avions posé LA question qui tue à Nicolas Cage : mais pourquoi donc change-t-il aussi souvent de coupe de cheveux d'un film à l'autre ? Réponse de l'intéressé : une admiration sans bornes pour le travail de Lon Chaney Jr. (Le Loup-garou, Le Fantôme de l'opéra), qui se transformait et disparaissait derrière ses personnages d'un opus à l'autre.
Et c'est sans nul doute avec Longlegs que Nicolas Cage lui rend l'hommage le plus total et spectaculaire. Caché derrière ce visage blafard et botoxé, cette voix aigüe et sous cette perruque blonde filasse. Comme un croisement très angoissant entre Michael Jackson et Marc Bolan, leader de T. Rex, dont une chanson est citée au tout début du film.
Nic était enthousiaste à l'idée de disparaître derrière le personnage. Et j'ai trouvé ça génial, car je ne pense pas qu'il ait fait ça auparavant
Alors que le film est vendu sur son nom, le comédien y est méconnaissable. Et il ne s'est pas fait prier pour parvenir à ce résultat si l'on en croit Oz Perkins : "Assez tôt dans le développement [de Longlegs], Nic était enthousiaste à l'idée de disparaître [derrière le personnage]", raconte le réalisateur à Games Radar. "Et j'ai trouvé ça génial, car je ne pense pas qu'il ait fait ça auparavant."
On s'en serait effectivement souvenus si c'était le cas. Comme Maika Monroe, sa partenaire dans le thriller sorti le 10 juillet dans nos salles, et dont le rythme cardiaque est monté en flèche la première fois qu'elle a découvert le look de l'acteur. Des propos qui avaient tout de la légende enrobée pour les besoins de la promotion, au même titre que ces films d'horreur qui se vendent sur des supposés malaises et autres vomissements. Sauf qu'une vidéo est venue le prouver.
Il faut dire que l'effet est particulièrement saisissant et dérangeant. Ce qui était évidemment le but recherché par le metteur en scène : "Dans le scénario [écrit par Oz Perkins lui-même, ndlr], il est décrit comme une personne détruite : par la vie, par le fait de vivre la vie qu'il vit. Pour moi, cela rejoint un peu ce moment où tu vois quelqu'un qui a fait de la chirurgie esthétique et que tu te dis 'Wow, tu t'es vraiment foirée là, non ? Dans les grandes largeurs. Tout ce qui faisait ce que tu étais est foutrement ruinée."
"C'était un peu le raccourci. Et quand nous avons commencé à travailler avec les responsables des maquillages, nous avons parlé de ce à quoi une chirurgie plastique ratée ressemble. Nous avons commencé à travailler à partir de là, morceau par morceau, en faisant des ajustements et, comme pour chaque chose, nous lui avons donné forme, nous avons jeté des choses et nous avons recommencé."
Un travail qui en valait la peine tant le résultat est saisissant et rend chacun des apparitions de Longlegs un peu plus angoissante encore. En sachant que son temps de présence à l'écran est relativement court à l'échelle du long métrage. Mais la mise en scène et la promotion participent grandement à la construction de son aura terrifiante.
Point trop n'en faut
Si les lignes précédentes ne vont ont pas rassurés et que vous souhaitez voir à quoi ressemble Nicolas Cage dans le film, pour savoir si vous pouvez aller le voir ou si votre rythme cardiaque risque de s'emballer comme celui de Maika Monroe, nous avons une mauvaise nouvelle : ce ne sera pas possible (sous réserve de fuites sur la Toile, de la part de spectateurs peu respectueux des intentions d'Oz Perkins). Car la promotion de Longlegs a pris soin de le cacher au maximum, réduisant sa présence à quelques plans très brefs, sur lesquels nous ne voyons pas son visage.
"C'est comme rassembler les spectateurs d'un spectacle de cirque sous un chapiteau", explique Oz Perkins à Entertainment Weekly. "Nous avons quelque chose de caché derrière le rideau et, quand nous avons réuni assez de personnes, nous révélons ce qu'il y a derrière." "C'est un peu comme si vous mettiez un avertissement sur une bouteille de nitroglycérine", poursuit Nicolas Cage, qui affirme également s'être inspiré de sa défunte mère, atteinte de schizophrénie, pour composer son personnage.
J'ai construit le personnage en me demandant ce qui avait rendu ma mère folle
"Je l'ai construit en me demandant ce qui avait rendu ma mère folle. C'était une performance profondément personnelle pour moi, car j'avais passé mon enfance à surmonter ce qu'elle vivait. Elle s'exprimait dans des termes qui étaient assez poétiques. Je ne sais pas comment le décrire autrement. Mais j'ai essayé de transférer ça dans le personnage de Longlegs, qui est vraiment une entité tragique. Il est à la merci des voix qu'il entend et qui le poussent à faire ce qu'il fait."
Une "entité tragique" qui est, à la fois, le principal argument de vente de Longlegs, et son plus gros mystère. À la demande du cinéaste, le distributeur américain du film, Neon, a imaginé une promotion au sein de laquelle Nicolas Cage n'apparaît jamais totalement, aussi bien sur les photos que dans les bandes-annonces, pour mieux intriguer ses futurs spectateurs. En allant jusqu'à créer un faux numéro de téléphone qui, une fois composé, menait vers un message extrêmement angoissant du tueur.
À l'inverse de ces films qui préfèrent se dévoiler au maximum avant la sortie, au lieu de laisser de la place pour la surprise, Longlegs a parfaitement utilisé le sens du mot "teasing". Et sa promotion est en phase avec le long métrage lui-même, dans lequel l'aura flippante du tueur se construit au gré de ses quelques apparitions, alors qu'il nous faut patienter un bout de temps avant de découvrir son look en intégralité.
Une mise en scène précise et qui ne fait qu'accentuer l'ambiance malaisante, à couper au couteau. En jouant autant sur le hors-champ qu'elle illustre, dans les flashbacks sur le passé de l'héroïne situés pendant les années 70, la manière dont le cerveau enfouit, parfois inconsciemment, certains souvenirs traumatiques, avant que ceux-ci ne remontent à la surface. Comme son maquillage, la manière de montrer Longlegs a été une source de questionnements pour Oz Perkins.
Il est là sans être vraiment là mais en étant VRAIMENT là
"Monter un film est presqu'une expérience psychédélique", poursuit-il auprès d'Entertainment Weekly. "C'est tellement infini. Les permutations et combinaisons que vous pouvez faire en mettant un élément ici et un autre là vous mettent face à un Rubik's Cube de possibilités. Mais je pense que nous avons trouvé le bon équilibre. Ce type vit hors de la conscience de notre protagoniste. Il est là sans être vraiment là mais en étant VRAIMENT là."
Si vous avez du mal à comprendre cette dernière phrase, c'est que vous n'avez pas encore vu Longlegs. Sans quoi ces propos vous paraîtront d'autant plus limpides que la prestation de Nicolas Cage vous aura marqués au point, peut-être, de hanter quelques-unes de vos nuits. Ne serait-ce qu'en se remémorant son "Coucou !" de la séquence d'ouverture. Mais cela nous prouve que l'acteur est loin d'être fini, et qu'il peut encore atteindre des sommets après plus de quatre décennies de carrière.