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    Tout le monde l'a oubliée mais cette actrice oscarisée a réussi un incroyable tour de force pour sauver sa carrière
    Olivier Pallaruelo
    Olivier Pallaruelo
    -Journaliste cinéma / Responsable éditorial Jeux vidéo
    Biberonné par la VHS et les films de genres, il délaisse volontiers la fiction pour se plonger dans le réel avec les documentaires et les sujets d'actualité. Amoureux transi du support physique, il passe aussi beaucoup de temps devant les jeux vidéo depuis sa plus tendre enfance.

    Convoquée en mars 1952 devant la sinistre commission des activités anti-américaines, en plein Maccarthysme, l'actrice Judy Holliday, oscarisée un an plus tôt, s'est livrée à un exercice ahurissant pour sauver sa tête... Et a réussi.

    A la 23e cérémonie des Oscars en 1951, nombreux sont ceux qui pariaient sur un duel au sommet entre deux immenses comédiennes pour remporter la statuette de la Meilleure actrice : Gloria Swanson, qui faisait un comeback fracassant dans le chef-d'œuvre de Billy Wilder, Boulevard du crépuscule, et Bette Davis, qui jouait dans Eve de Joseph L. Mankiewicz.

    Si Eve fut le grand vainqueur de la soirée avec 6 oscars, c'est une nouvelle venue qui remporta à la stupéfaction générale l'Oscar de la Meilleure actrice, pour une comédie romantique signée George Cukor : Judy Holliday.

    Aujourd'hui, très peu se souviennent de cette pétillante actrice décédée en 1965, en dehors évidemment des cercles de cinéphiles avertis. Malgré une voix grinçante et souvent castée dans des rôles stéréotypées de blonde platine à l'esprit pas toujours très affûté, elle était pourtant, dans la vraie vie, tout à fait à l'opposé de cette image superficielle façonnée par Hollywood.

    Et elle n'allait pas tarder à le démontrer de manière éclatante, dans une période ô combien sombre de l'Histoire américaine...

    De l'Oscar aux activités anti-américaines

    Son succès aux Oscars fut quasi concomitant de la période où la sinistre House Committee on Un-American Activities, le comité d'enquête sur les activités anti américaines de la Chambre des représentants des États-Unis, se livrait alors à une chasse aux sorcières en plein Maccarthysme. Hollywood ne fut notoirement pas épargné.

    De nombreux talents furent convoqués pour des auditions devant cette commission, souvent sommés de donner des noms de personnes soupçonnées d'être communistes. A la clé : la mise à l'index sur une fameuse liste noire de noms, à qui les studios refusaient tout emploi.

    Judy Holliday fut naturellement convoquée à son tour devant la commission, le 26 mars 1952. A sa tête, un sinistre individu, le sénateur Pat McCarran, anti-communiste farouche, mais aussi antisémite notoire.

    Il était très désireux d'épingler la comédienne sur son tableau de chasse, depuis l'apparition de son nom dans un pamphlet d'extrême-droite intitulé Red Channels, en 1950, qui donnait le noms de 151 artistes supposément communistes ou soupçonnés de sympathies.

    Facteur aggravant pour elle : elle était de confession juive. Sa mère avait émigré de Russie, tandis que son père avait été naturalisé américain. Elevée dans un milieu familial très politisé, elle avait grandi aussi à l'ombre de son oncle, Joseph Gollomb, un fameux auteur farouchement socialiste. Judy Holliday était aussi surdouée : on lui détecta dans sa prime jeunesse un Q.I de 172.

    Si son oncle caressait l'idée qu'elle soit, comme lui, écrivaine, il fut passablement déçu lorsqu'elle expliqua vouloir devenir actrice. Toujours est-il qu'avec un tel pedigree familial, Judy Holliday partait avec un très lourd handicap devant la commission...

    Columbia Pictures
    Judy Holliday dans "Comment l'esprit vient aux femmes".

    Jouer le rôle de sa vie

    Mais elle se prépara brillamment à l'exercice. Pour s'en sortir, son avocat lui conseilla de jouer le personnage de Billie Dawn, celui qu'elle avait justement incarné dans le film Comment l'esprit vient aux femmes qui lui a valu l'Oscar. Celui d'une blonde un peu décervelée mais finalement bien plus maline qu'on le croit.

    En jouant de la sorte devant la commission, il devait être impossible de la prendre au sérieux, et de la penser même capable de se livrer à de sombres considérations politiques. Surtout communistes...

    Son audition fut conduite par le sénateur Richard Watkins et un certain Richard Arens. Elle fut surréaliste. Fonctionnant comme un parfait baromètre inversé, elle répondait "oui" lorsqu'il fallait répondre "non", et inversement.

    Ci-dessous, un extrait de son audition...

    Judy Holliday : Vous voulez dire que je doit répondre "oui" ou "non" ?

    Richard Arens : Oui, si vous avez des souvenirs.

    Judy Holliday : Si je ne peux pas, je n'y arrive pas.

    Richard Arens : Nous voulons juste la vérité.

    Judy Holliday : Et si ca ne semble pas familier ?

    Richard Arens : Alors vous citez juste les faits.

    Judy Holliday : Je ne sais pas.

    Richard Arend : Vous n'avez aucun souvenir ?

    Judy Holliday : Oui.

    L'échange, qui tournait en rond, frustra évidemment la commission. Richard Arens lui lança alors un : "Vous avez des problèmes avec votre mémoire ? Il me semble qu'une personne dans votre profession est justement habituée à travailler sa mémoire". Judy Holliday répliqua : "Maintenant j'en ai une, mais à l'époque je ne savais pas que j'en avais besoin". Sidérant.

    Jouant régulièrement sur la polysémie des mots, trompant son auditoire, elle saborda impérialement sa déposition devant la commission, allant jusqu'à déclarer elle-même réaliser combien "elle était irresponsable, légèrement - peut-être même un peu plus- stupide".

    Elle acheva ainsi de convaincre la commission qu'elle était finalement inapte à comprendre le monde politique. Sa déposition lunaire ne fut même pas en mesure d'être utilisée. Elle sauva sa tête, et sans même avoir donné un seul nom.

    Columbia Pictures

    Le triste revers de la médaille

    Si Judy Holliday s'est sortie brillamment de cette épreuve, elle le paya aussi, hélas. Car admettre publiquement, dans un tel contexte, qu'elle était finalement aussi "stupide" que ses personnages à l'écran, porta préjudice à sa carrière.

    Le public avait fini par confondre l'actrice et ses incarnations. Elle fut dès lors quasi cantonnée à ce type de rôle, durant la dizaine d'années qui suivirent, même si elle remporta un Tony Award en 1956 pour une pièce de théâtre, Un numéro du tonnerre, qui sera adapté à l'écran en 1960 avec Dean Martin.

    Diagnostiquée d'un cancer du sein au début des années 1960, elle entra en rémission suffisamment longtemps pour continuer à travailler sur scène, avant de succomber suite à une récidive agressive. Elle avait 44 ans.

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