"Tu veux que je lui tire dans le dos ??? Je n'abats jamais personne dans le dos !" protesta John Wayne auprès du vétéran Don Siegel, avec qui il était alors en train de tourner Le Dernier des géants en 1976, ultime film de Wayne et chant du cygne du western hollywoodien.
Le réalisateur fit alors remarquer à l'acteur qu'il avait encore quatre personnages à abattre. "Clint Eastwood l'aurait abattu dans le dos" lâcha en guise de réponse Siegel. Wayne passa au rouge écarlate, avant d'asséner une réponse cinglante : "je me fiche de ce que fait ce gamin, je ne tire pas sur les gens dans le dos !"
Visage carré, mâchoire serrée, posture ultra virile, John Wayne a incarné le héros sans peur et sans reproches de l'âge d'or Hollywood. L'icône et fétiche des cinéastes Howard Hawks et John Ford, campant presque toujours l'archétype du cow-boy téméraire investit par la volonté de faire triompher la loi. "J'ai joué John Wayne dans tous mes films et ça m'a plutôt pas mal réussi" déclara l'acteur de Rio Bravo.
Dans cette logique, c'est peu dire que le Duke n'a pas vraiment goûté la posture nihiliste du personnage de Clint Eastwood qu'il a brillamment incarné dans son sombre et violent chef-d'oeuvre L'homme des hautes plaines...
"J'ai réalisé qu'il y avait deux générations différentes"
Après l'éclatant succès de sa trilogie du dollar chez Sergio Leone, qui mis sa carrière sur orbite, il signa en 1971 un premier film très réussi, Un Frisson dans la nuit. L'homme des hautes plaines, sorti deux ans à peine après L'inspecteur Harry, déboula sur les écrans à un moment où la popularité d'Eastwood atteignait un sommet.
Le western (surnaturel, dans le sens littéral du terme) d'Eastwood, situé à l'exact opposé du spectre des oeuvres de Wayne, fut vécu par ce dernier comme une insulte à sa génération. Dans l'ouvrage Ride, Boldly Ride: The Evolution of the American Western, publié en 2012, Eastwood révéla qu'il reçu un jour une lettre acerbe de la part de Wayne à propos de ce film.
"Il [Wayne] a dit qu’il ne s’agissait pas vraiment des pionniers de l’Ouest. J'ai réalisé qu'il y avait deux générations différentes et il ne comprenait pas ce que je faisais. L'homme des hautes plaines était une fable. il n’était pas censer montrer les heures de corvées des pionniers. Il ne s’agissait pas d'une oeuvre évoquant les pionniers de l'Ouest".
"Encore ce tas de merde ?!"
Après le succès de L'homme des hautes plaines, Eastwood fut séduit par un scénario rédigé par Larry Cohen, intitulé The Hostiles; l'histoire d'un joueur qui gagne la moitié d'un domaine d'un éleveur plus âgé. Les deux hommes étant un jour contraint de s'unir et travailler ensemble pour repousser les bandits.
S'il caressait alors l'idée d'incarner un des deux personnages, Eastwood pensa que l'autre, âgé, pourrait être joué par John Wayne. Il envoya alors le script à ce dernier. Qui lui répondit que le script ne l'intéressait pas du tout. En réalité, Wayne n'avait toujours pas digéré L'Homme des hautes plaines, coupable à ses yeux d'être le fossoyeur du western.
Eastwood lui envoya quelques temps plus tard une nouvelle version du script, espérant toujours le convaincre de jouer avec lui. "Ce genre de trucs, c'est tout ce qu'ils savent écrire ces jours-ci" aurait lâché John Wayne, selon les propos rapportés par son propre fils, Michael Wayne.
Lorsque la dernière version du script de The Hostiles a atterri dans la pile de scénarios sur son bureau, John Wayne l'a carrément jetée à la mer depuis le pont de son yacht, le Wild Goose, en balançant un aimable "encore ce tas de merde !"
La tentative de mettre le film sur pied se solda par un échec. Etrangement, il fut quand même réalisé bien des années plus tard, en 2009, sous la forme d'un obscur téléfilm... Et sans la participation de Clint Eastwood.