Tout ou presque a déjà été dit à propos du Raging Bull de Martin Scorsese. Un chef-d'oeuvre absolu du cinéaste couronné à juste titre par deux Oscars : celui du meilleur montage, saluant le fabuleux travail de la monteuse fétiche du maître, Thelma Schoonmaker. Qui dira d'ailleurs plus tard avoir passé la pire nuit de sa vie, tant elle fut dépitée que Marty ne reçoive même pas la statuette du Meilleur réalisateur pour cette oeuvre.
Et celui du meilleur acteur pour Robert De Niro, transfiguré par les 30 Kg qu'il a dû prendre pour mieux incarner la déchéance physique du légendaire boxeur au comportement si auto destructeur. Un rôle que l'intéressé considère toujours comme le plus difficile de sa carrière. Ce n'est pas pour rien que Raging Bull figure toujours dans le top du classement des 100 plus grands films de l'Histoire du cinéma américain, que dresse régulièrement l'AFI (l'American Film Institute).
Scénarisé par Paul Schrader, le même qui écrivit Taxi Driver, Raging Bull est une puissante analyse sur la masculinité toxique, et les effets dévastateurs d'une jalousie maladive qui finit au bout du compte par détruire la famille de Jake LaMotta, en plus de sa carrière.
"Il réalise à quel point il était une merde"
Si Scorsese faisait largement confiance à Schrader quant à l'écriture du script, le cinéaste n'a toutefois pas du tout approuvé une scène en particulier dans le script, trop choquante.
Dans celle-ci, Jake LaMotta se trouvait dans une cellule de détention, isolée et réfléchissant à son passé. Réalisant qu'il a touché le fond et qu'il a peu de chances de retrouver le succès de sa jeunesse, LaMotta devient très déprimé et se livre à un long monologue en réfléchissant à ses échecs. La scène se termine sur une note choquante, lorsque LaMotta tente de se masturber, mais est contrecarré par des souvenirs de son passé.
"Il essaie de se masturber, et pour s'exciter, il évoque les souvenirs de ses petites amies et de ses femmes, et bien sûr, au moment où il est excité, le souvenir se transforme en merde, et il réalise à quel point il était une merde. Il doit abandonner ce fantasme particulier, passer au suivant et tout recommencer" racontera Schrader.
Cette scène était essentielle selon lui. Robert De Niro ne fut pas du tout du même avis. Pour l'acteur, cette séquence "n'avait rien à voir avec tout ce dont Marty ou moi nous souvenions à propos de Jake ou de ce que nous essayions de faire".
Marty, pas davantage convaincu que De Niro, demanda alors à Schrader de convaincre l'acteur de tourner la scène. Mais ce dernier campa fermement sur ses positions, ce qui provoqua la colère du scénariste face à De Niro au point de lui jeter le script à la figure, comme il le racontera dans cette interview.
Un mal pour un bien
De cette scène de masturbation qui passera à la trappe naîtra finalement une des plus mémorables scènes du film. Celle où, en prison, il ne cesse de se répéter "c'est moi le patron !", en frappant le mur de ses poings avec rage. Au point de se blesser, et de s'effondrer en pleurs. "Je ne suis pas si mauvais !" lâche LaMotta.
Si Paul Schrader fut contrarié face aux objections de Marty et De Niro, force est de constater qu'on n'a pas vraiment perdu au change avec cette extraordinaire scène; peut être la plus forte du film, où un LaMotta pathétique, seul face à lui-même et ses démons, se livre tout autant à une douloureuse introspection.