Certaines oeuvres sont parfois portées à bout de bras par les studios, qui n'hésitent pas à injecter des sommes astronomiques dans une entreprise toujours périlleuse, sur toute la chaîne de création, de la naissance d'une idée ou concept jusqu'à la projection du film devant un public.
Ce ne sont pas les centaines de millions de dollars dépensés en frais de marketing par les studios qui diront le contraire. Car le succès, malgré ces sommes parfois pharaoniques, n'est pas toujours au rendez-vous. Surtout si l'on considère à titre d'exemple que, pour une oeuvre ayant coûté 100 millions $ à produire, il faut que le seuil de rentabilité soit au minimum 2 à 2,5 fois équivalent au budget de production.
Dans cette perspective, voici trois exemples de films ayant tellement sous performé au Box Office qu'ils ont fini par carrément emporter leurs studios.
Titan A.E.
"La dimension scientifique et futuriste du projet m'a totalement captivé. La création de nouveaux mondes nous a fait vivre une merveilleuse aventure et a été une occasion rare de laisser vagabonder notre imagination.
Mais la riche imagerie de Titan A.E. ne devait pas nous faire oublier les personnages, indispensables vecteurs d'émotions. Car cette histoire est aussi une allégorie sur la quête d'identité et les capacités de résistance de l'esprit humain".
Telle était la jolie profession de foi de Don Bluth, coréalisateur aux côtés de Gary Goldman de Titan A.E. L'homme n'est pas exactement un débutant. Génie de l'animation, artiste exceptionnel malheureusement un peu tombé dans l'oubli par les jeunes générations biberonnées à l'écurie Pixar, Dreamworks et autres péripéties des Minions, il avait débuté sa carrière en tant qu’intervalliste sur La Belle au bois dormant puis animateur chez Disney.
Il a notamment travaillé sur Robin des Bois, Les aventures de Bernard et Bianca ou encore Rox et Rouky. Parti faire cavalier seul, c'est à lui que l'on doit le merveilleux Brisby et le secret de Nimh, devenu un classique de l'animation.
Projet très ambitieux qui tentait de faire coexister des images en 2D et des images en 3D créées en CGI, une technologie encore relativement nouvelle en 2000, Titan A.E. déroule son intrigue en 3028. Après l’extinction totale de la Terre, l’espoir de l’Humanité réside en un jeune garçon, Cale.
Il détient dans la paume de sa main la carte qui pourra le mener au Titan, gigantesque vaisseau spatial créé par son père. Seul le Titan est capable de rebâtir un nouveau monde pouvant accueillir les derniers survivants de l’espèce humaine. Mais les cruels Drej, des aliens redoutables responsables de la disparition de la Terre, sont prêts à tout pour l’arrêter.
Si l'approche visuelle du film fut saluée, les critiques très tièdes à sa sortie n'ont pas franchement aidé la carrière du film. Fox Animation, qui produisait le film, comptait logiquement beaucoup dessus, et était plutôt confiante. Elle avait déjà produit les deux oeuvres précédentes de Don Bluth : Anastasia, sorti chez nous en 1998, et Bartok le magnifique, spin off d'Anastasia.
Produit pour un budget de 75 millions de dollars, une somme déjà très importante à l'époque (ce qui correspondrait aujourd'hui à 134 millions de dollars, ajusté à l'inflation), le film s'est fait laminer au box-office américain, incapable de ramasser plus de 22 millions $. Si l'on ajoute les recettes à l'international, Titan A.E. n'a rapporté que 36,75 millions $. Les pertes furent estimées à 100 millions de dollars.
L'échec fut si dévastateur que Don Bluth ne s'en est jamais remis, puisqu'il n'a plus rien réalisé depuis. Et l'hémorragie fut telle qu'elle a eu raison du département Fox Animation, liquidé par la 20th Century Fox.
A ce moment là, le studio travaillait sur un autre film d'animation se déroulant durant la période de l'ère glaciaire. Le projet fut alors proposé à un autre studio, Blue Sky, qui réalisera L'âge de glace et donnera vie à une nouvelle franchise.
Bangkok Dangerous
Achat d'un squelette complet de dinosaure, millions de dollars dépensés pour des comics ultra rares (dont la première édition de Superman), plusieurs maisons dont un château en Allemagne et en Angleterre, des tas de voitures bien entendu...
Entre 1996 et 2011, Nicolas Cage aurait dépensé pas moins de 150 millions de dollars. Un train de vie extravagant, qui l'a conduit à tourner dans une quantité industrielle de films, histoire d'éponger ses dettes et renflouer ses caisses.
Parmi la floppée de films figure Bangkok Dangerous, sorti en 2008. Un auto remake en fait : les frères Danny et Oxide Pang avaient déjà signé un film du même nom, sorti en 1999. L'acteur, lui, ne tarissait pas d'éloges sur le film original de la fratrie :
"J'appréciais en particulier son style visuel et son rythme très original. Quand j'ai lu le nouveau script, j'ai d'abord été séduit par la relation entre mon personnage et son assistant. Une relation de maître à élève qui se transforme en amitié. Il est toujours intéressant de voir des gens de différentes cultures coopérer, coexister et finir par s'entendre".
Son histoire de tueur à gages (qu'il incarne) débarquant à Bangkok a coûté relativement cher à produire : 45 millions $; soit, ajusté à l'inflation, plus de 64 millions $ aujourd'hui. Même pour un film d’action, ce n’est pas une somme négligeable. Mais lorsqu'il est sorti en salles, c'est peu dire qu'il fut accueilli dans une indifférence polie et totale, incapable de ramasser 8 millions $ pour son premier week-end d'exploitation.
Bangkok Dangerous ne rapportera que 42 millions $ au box-office international, et fut étrillé par la critique dans à peu près tous ses aspects ("Bangkok Dangerous rappelle un direct-to-video de Steven Seagal avec tatanes, comique involontaire et zen de comptoir" écrivait charitablement les Inrocks chez nous).
Y compris pour ses scènes d'action, censées être le point fort du film. Son échec a même coûté son existence à l'un des studios ayant travaillé dessus, Virtual Studios LLC. Qui n'avait pas exactement le profil du débutant, puisqu'il avait notamment travaillé sur les effets visuels de films tels que V pour Vendetta ou 300 de Zack Snyder. Triste baroud d'honneur.
La Chute de l'empire romain
Les années 50 furent un authentique âge d'or pour le genre du Péplum, en particulier le Péplum biblique : Ben-Hur, Les Dix commandements, ou Quo Vadis, pour ne citer que ceux-ci. Dans les années 60, la vague du péplum a continué avec un certain succès, mais bien moindre que durant la décennie passée.
Et fut marquée par deux retentissants échecs au box-office : le pharaonique Cléopâtre avec sa production chaotique et les caprices d'Elizabeth Taylor. Et La Chute de l'empire romain, sorti un an plus tard, en 1964.
Le film était réalisé par un grand metteur en scène, Anthony Mann, qui avait signé deux ans plus tôt Le Cid, légendaire héros espagnol incarné par Charlton Heston. Porté par Sophia Loren, Alec Guinness, James Mason, Stephen Boyd, Christopher Plummer, Omar Sharif, et Mel Ferrer, La Chute de l'empire romain retrace les luttes intestines entre le tyran instable Commode, et le général Livius, digne disciple de Marc-Aurèle et désireux de faire de Rome un empire résistant à la misère et aux invasions barbares.
L'histoire devrait logiquement vous rappeler celle d'un certain Gladiator de Ridley Scott. C'est normal; le film de Mann est une source d'inspiration majeure, jusque dans ses scènes. Comme la plupart des productions de cette envergure, le film de Mann a coûté une fortune pour l'époque : 19 millions de dollars. Soit l'équivalent de 189 millions $ aujourd'hui.
Dire qu'il a reçu une gifle au box-office relève de l'euphémisme, avec moins de 5 millions $. Il fut produit par Samuel Bronston Productions, du nom du fameux producteur américain qui avait créé sa société en 1943.
Dans les années 1960, il avait massivement investi dans ces films aux budgets démesurés. Le péplum Le Roi des rois en 1961. Le Cid, évoqué plus haut, la même année. Les 55 jours de Pékin, en 1963. Des oeuvres tournées d'ailleurs en pleine Espagne franquiste, dans des studios situés non loin de Madrid.
Le désastre financier de La Chute de l'empire romain fut tel qu'il tua sa société de production, mise en liquidation en juin 1964. Au cours de la procédure de faillite qui a suivi, Bronston fut poursuivi pour parjure dans sa déposition, accusé d'avoir menti sous serment alors qu'il déclara ne pas avoir de compte bancaire en Suisse. Reconnu coupable, il porta néanmoins l'affaire en appel devant la Cour Suprême des Etats-Unis, qu'il remporta, mais bien des années plus tard, en janvier 1973.
Cette affaire et la liquidation de Samuel Bronston Productions dévastèrent sa carrière, même s'il a continué ses activités, produisant notamment, au début des années 80, Fort Saganne d'Alain Corneau.
"J’adore parler des films produits par mon père, je trouve génial que l’on s’en souvienne encore" déclarait Andrea Bronston, la fille du producteur, au journal Le Monde, dans un passionnant article publié en 2021. "Mais je passe ma vie à expliquer que je ne suis pas riche. Mes frères et moi n’avons hérité de rien, car malgré sa carrière époustouflante, il a finalement tout perdu".