"I'm so sorry, Mister Nolan !" Visiblement très surprise, la réalisatrice québecoise Monia Chokri a soufflé le César du meilleur film étranger à Christopher Nolan, présent dans la salle (pour recevoir un César d'honneur). Le cinéaste était en lice avec l'un des gros cartons de l'année ciné dans le monde, Oppenheimer.
"Merci d'avoir voté pour ce petit film québecois fait avec tant d'amour", a-t-elle lancé, tout sourire à l'assemblée. Et d'ajouter parmi ses remerciements : "Merci au public français d'être allé voir le film". Le troisième long métrage de Monia Chokri a fait un peu plus de 275 000 entrées en France, à sa sortie l'automne dernier, après un passage remarqué au Festival de Cannes .
Christopher Nolan doit se dire : "Qui est cette French Canadian qui me rafle le prix ?"
Rencontrée en salle de presse, Monia Chokri a commenté sa réaction : "qui ne l'aurait pas été face à Nolan et Wim Wenders ! C'est quand même un peu étonnant !". Elle ajoute : "Je me suis excusée auprès de lui : je suis désolée Monsieur Nolan !"
Monia Chokri poursuit à ce propos, en salle de presse : "Je ne sais pas si Christopher Nolan est déçu, mais il doit se dire : "Qui est cette French Canadian qui me rafle le prix ?" Je pense qu'il va s'en remettre. Il a déjà une grande carrière. Mais je vais lui dire que j'aime beaucoup ses films."
C'est quoi ce film, Simple comme Sylvain ?
Simple comme Sylvain est une romance pas comme les autres. Cette comédie dramatique commence comme une romance des plus classiques. Sofia (Magalie Lépine Blondeau) est une femme installée dans sa vie personnelle et professionnelle. Elle est brillante, cultivée, belle et en couple avec Xavier (Francis-William Rhéaume).
Problème : elle tombe amoureuse de Sylvain (Pierre-Yves Cardinal), modèle de virilité. Cette relation adultère devient une histoire à part entière qui s’écroule comme un château de cartes lorsque leurs deux mondes respectifs se rencontrent.
Simple comme Sylvain pourrait facilement être scindé en deux parties : la première, très romanesque, ressemble à un film de Douglas Sirk avec ses héros passionnés et ses feuilles d’automne.
Les Français découvrent Monia Chokri en 2010 dans Les Amours Imaginaires de Xavier Dolan. Depuis, la Québécoise, toujours actrice, s’est également imposée comme réalisatrice avec des films drôles, déjantés et incisifs, notamment lorsqu’ils envoient valser les stéréotypes et déconstruisent l’image de l’homme, de la femme, mais aussi celle du couple. C’est le cas avec Simple comme Sylvain, son troisième long métrage après La Femme de mon frère et Babysitter.
En couple, soit tu es dans la soumission, soit tu es dans la domination.
La seconde permet à Monia Chokri de dresser une étude sociologique qui nous renvoie à la figure nos idées préconçues. “Je me suis confrontée à mes propres préjugés, expliquait-elle à AlloCiné, rencontrée lors du Festival de Cannes. Beaucoup d’entre nous se lancent dans les leçons de morale, mais sommes-nous si vertueux ?"
Elle explore, par exemple, la question du mépris intellectuel mais aussi celle des rapports de force au sein du couple. Pour cela, la réalisatrice - également scénariste - s’est inspirée de sa propre expérience. “J’avais, dans ma tête, cette idée de déséquilibre, explique-t-elle. En couple, soit tu es dans la soumission, soit tu es dans la domination. Ce déséquilibre, les femmes en parlent beaucoup.”
Ces questionnements sont cristallisés à travers le regard de Sofia, l’héroïne, jouée par Magalie Lépine Blondeau - excellente dans la série de Xavier Dolan, La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé. Ce choix était une évidence, pour l’une comme pour l’autre.
“J’ai rarement autant voulu jouer un personnage, lance l’actrice. Elle est à l’image des réflexions que Monia et moi partageons dans notre vie. Il y a quelque chose de tellement libérateur chez elle. Pour plaire, on nous apprend qu’il faut être gentille et douce, mais Sofia n’est pas soumise à ça. Elle est libre, détachée du regard des autres. Et pour ces raisons, elle me plaît.”
Quand le spectateur la rencontre, Sofia est la meilleure version d’elle-même. Son intellect, son humour et sa culture sont sollicités. Lorsqu’elle rencontre Sylvain, c’est son corps qui est désiré. “Ce corps-là est brûlant, mais il la comprime intellectuellement, précise l’actrice. Donc elle essaye de trouver de nouveaux codes pour se libérer.”
Sylvain, complexe et terriblement attachant, est interprété par Pierre-Yves Cardinal, révélé dans Tom à la ferme de Xavier Dolan. “C’était important pour moi que Monia Chokri aime son personnage et c’est le cas, confie-t-il. Elle n’a aucun mépris pour lui. C’est un homme simple, qui n’a pas fait beaucoup d’études, mais cela ne l’a pas empêché de réussir sa vie. Au contact de Sofia, la relation devient phéromonale (rires).”
Les scènes de sexe apportent de la perspective dans l’histoire et aux personnages.
Avec son film, Monia Chokri exprime le désir sexuel féminin d’une façon si rare qu’elle en devient inédite, c’est notamment le cas lors d'une scène de cunnilingus où le personnage de Sofia, très loquace, prend le contrôle de la situation. “Je ne sais pas pourquoi j’ai pensé ces scènes de cette manière, admet la cinéaste. Je voulais écrire des scènes de sexe comme des scènes de dialogues. Elle a le droit de dire ce qui lui plaît ou non.”
Je voulais écrire des scènes de sexe comme des scènes de dialogues
“On en a beaucoup parlé de ces scènes-là, fait savoir Pierre-Yves Cardinal. Ce ne sont pas seulement des scènes sexuelles, elles apportent de la perspective dans l’histoire et aux personnages.” Sur le tournage, l'ambiance était aussi déjantée que dans le film. L'acteur parle d'un plateau "avec beaucoup de communication, d'humour où chacun pouvait apporter quelque chose." Une énergie perceptible à l'écran.
Texte initialement publié et propos recueillis par Thomas Desroches, à Cannes, en mai 2023.