Les Français la découvrent en 2010 dans Les Amours Imaginaires de Xavier Dolan. Depuis, la Québécoise Monia Chokri, toujours actrice, s’est également imposée comme réalisatrice avec des films drôles, déjantés et incisifs, notamment lorsqu’ils envoient valser les stéréotypes et déconstruisent l’image de l’homme, de la femme, mais aussi celle du couple. C’est le cas avec Simple comme Sylvain, son troisième long métrage après La Femme de mon frère et Babysitter.
Cette comédie dramatique, qui ne ressemble à aucune autre, commence comme une romance des plus classiques. Sofia (Magalie Lépine Blondeau) est une femme installée dans sa vie personnelle et professionnelle. Elle est brillante, cultivée, belle et en couple avec Xavier (Francis-William Rhéaume).
Problème : elle tombe amoureuse de Sylvain (Pierre-Yves Cardinal), modèle de virilité. Cette relation adultère devient une histoire à part entière qui s’écroule comme un château de cartes lorsque leurs deux mondes respectifs se rencontrent.
Simple comme Sylvain pourrait facilement être scindé en deux parties : la première, très romanesque, ressemble à un film de Douglas Sirk avec ses héros passionnés et ses feuilles d’automne.
En couple, soit tu es dans la soumission, soit tu es dans la domination.
La seconde permet à Monia Chokri de dresser une étude sociologique qui nous renvoie à la figure nos idées préconçues. “Je me suis confrontée à mes propres préjugés, explique-t-elle à AlloCiné. Beaucoup d’entre nous se lancent dans les leçons de morale, mais sommes-nous si vertueux ?"
Elle explore, par exemple, la question du mépris intellectuel mais aussi celle des rapports de force au sein du couple. Pour cela, la réalisatrice - également scénariste - s’est inspirée de sa propre expérience. “J’avais, dans ma tête, cette idée de désiquilibre, explique-t-elle. En couple, soit tu es dans la soumission, soit tu es dans la domination. Ce désiquilibre-là, les femmes en parlent beaucoup.”
Ces questionnements sont crystalisés à travers le regard de Sofia, l’héroïne, jouée par Magalie Lépine Blondeau - excellente dans la série de Xavier Dolan, La Nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé. Ce choix était une évidence, pour l’une comme pour l’autre.
“J’ai rarement autant voulu jouer un personnage, lance l’actrice. Elle est à l’image des réflexions que Monia et moi partageons dans notre vie. Il y a quelque chose de tellement libérateur chez elle. Pour plaire, on nous apprend qu’il faut être gentille et douce, mais Sofia n’est pas soumise à ça. Elle est libre, détachée du regard des autres. Et pour ces raisons, elle me plaît.”
Quand le spectateur la rencontre, Sofia est la meilleure version d’elle-même. Son intellect, son humour et sa culture sont sollicités. Lorsqu’elle rencontre Sylvain, c’est son corps qui est désiré. “Ce corps-là est brûlant, mais il la comprime intellectuellement, précise l’actrice. Donc elle essaye de trouver de nouveaux codes pour se libérer.”
Sylvain, complexe et terriblement attachant, est interprété par Pierre-Yves Cardinal, révélé dans Tom à la ferme de Xavier Dolan. “C’était important pour moi que Monia Chokri aime son personnage et c’est le cas, confie-t-il. Elle n’a aucun mépris pour lui. C’est un homme simple, qui n’a pas fait beaucoup d’études, mais cela ne l’a pas empêché de réussir sa vie. Au contact de Sofia, la relation devient phéromonale (rires).”
Les scènes de sexe apportent de la perspective dans l’histoire et aux personnages.
Avec son film, Monia Chokri exprime le désir sexuel féminin d’une façon si rare qu’elle en devient inédite, c’est notamment le cas lors d'une scène de cunnilingus où le personnage de Sofia, très loquace, prend le contrôle de la situation. “Je ne sais pas pourquoi j’ai pensé ces scènes de cette manière, admet la cinéaste. Je voulais écrire des scènes de sexe comme des scènes de dialogues. Elle a le droit de dire ce qui lui plaît ou non.”
“On en a beaucoup parlé de ces scènes-là, fait savoir Pierre-Yves Cardinal. Ce ne sont pas seulement des scènes sexuelles, elles apportent de la perspective dans l’histoire et aux personnages.” Sur le tournage, l'ambiance était aussi déjantée que dans le film. L'acteur parle d'un plateau "avec beaucoup de communication, d'humour où chacun pouvait apporter quelque chose." Une énergie perceptible à l'écran.
Propos recueillis par Thomas Desroches, à Cannes, en mai 2023.
Simple comme Sylvain est à voir au cinéma.