De quoi ça parle ? Seydou et Moussa, deux jeunes sénégalais de 16 ans, décident de quitter leur terre natale pour rejoindre l’Europe. Mais sur leur chemin les rêves et les espoirs d’une vie meilleure sont très vite anéantis par les dangers de ce périple. Leur seule arme dans cette odyssée restera leur humanité.
Une révélation
Pour trouver l'interprète de Seydou, Matteo Garrone a effectué un long casting d'acteurs non-professionnels. C'est de cette manière qu'il a fait la rencontre de Seydou Sarr. Le metteur en scène a adoré sa spontanéité, son naturel et sa douceur : "J'ai vu qu'il pouvait donner au personnage une grande intensité, quelque chose de très humain, profond et spirituel."
"J'insiste sur ce mot car il a interprété Seydou en lui donnant une dimension qui a trait à la Foi et à l'innocence et c'est la grande force du film. Il permet aux spectateurs d'entrer en empathie avec le personnage et de vivre avec lui. C'est la force du cinéma de pouvoir transmettre des émotions afin que le public puisse s'identifier au héros", se rappelle le metteur en scène.
A l'origine, ce Sénégalais de 18 ans rêvant de devenir footballeur n'envisageait pas une carrière sur les planches ou devant une caméra. Sa mère, qui est professeure d'arts dramatiques, lui a toutefois transmis son intérêt pour le jeu. Lorsque Seydou a entendu qu'un réalisateur italien recherchait des comédiens pour son nouveau film, Moi Capitaine, il s'est présenté à l'audition.
Un beau coup du destin, puisque le jeune acteur a, grâce à sa prestation authentique dans cette odyssée intense, obtenu le Prix Marcello Mastroianni du meilleur espoir à la Mostra de Venise 2023. Matteo Garrone a, quant à lui, reçu le Lion d'argent du meilleur cinéaste.
Naissance du projet
Selon Matteo Garrone, Moi capitaine possède, comme Pinocchio (le précédent film du réalisateur), des éléments empruntant beaucoup au conte initiatique : "Il y a beaucoup de points communs avec Pinocchio. Je me suis rendu compte de cette proximité en tournant le film. Le personnage est incité par le grillon à partir de son foyer, il quitte sa maison et sa famille en cachette et va rencontrer la violence du monde."
"Il y a aussi l'approche très réaliste, presque documentaire, qu'on avait dans Gomorra. Ce qui m'a poussé à faire ce film, c'est mettre en images une partie du voyage que l'on ne voit pas habituellement. Généralement, on voit le bateau qui arrive sur les côtes italiennes. Avant, on ne sait pas tout ce qui se passe. Je voulais partir de leur point de vue pour que le spectateur puisse vivre cette histoire avec eux", explique-t-il.
Plusieurs récits à l'origine
Moi capitaine n'est pas tiré d'une histoire vraie précise, mais est né du tissage de plusieurs récits de jeunes qui ont éprouvé la traversée de l’Afrique vers l’Europe. En les écoutant, Matteo Garrone a pris conscience que leurs histoires constituaient sans doute le seul récit épique contemporain possible : "Avant de réaliser ce film, je connaissais, par le prisme des médias, les péripéties et atrocités subies par les migrants au cours de leurs longs voyages."
"Cependant, ces images concernaient quasi exclusivement la dernière partie du périple : des embarcations retournées en pleine mer, des cadavres flottants, des migrants désespérés implorant de l’aide, l’habituel décompte des morts et des vivants. Je m’étais malheureusement habitué à n’y voir que des chiffres, et non plus des êtres humains", se rappelle le réalisateur de Gomorra.
À voir au cinéma : Moi capitaine de Matteo Garrone est-il inspiré d'une histoire vraie ?
Authenticité maximale
Lors d’une visite d’un centre d’accueil de mineurs à Catane (Italie), Matteo Garrone a entendu le récit d’un jeune Africain qui, du haut de ses quinze ans, avait conduit un bateau jusqu’aux côtes italiennes, sauvant ainsi la vie de tous ses passagers. Le cinéaste précise : "J'ai voulu filmer dans la direction radicalement opposée de celles des médias. Embrasser la perspective et le point de vue de ces personnes pour narrer ce voyage épique, fait de vie et de mort. Pour pouvoir raconter de l’intérieur cette aventure pleine de dangers, il était nécessaire que je me plonge dans leur monde, si éloigné du mien."
"Il m’a fallu pour cela construire une relation de collaboration constante avec tous ces jeunes, filles et garçons, qui ont vécu l’horreur et qui m'ont accompagné dans la construction du film. J’ai longtemps questionné ma légitimité à porter cette histoire, mais celle-ci est la leur. La clé était de pouvoir compter sur eux tant devant que derrière la caméra, afin d’être dans la démarche la plus authentique possible, loin de tout didactisme, en tant que messager discret."
Tournage en Afrique
Matteo Garrone n'a subi aucune pression lors du tournage en Afrique, et la difficulté principale a été de faire un film sur une culture qui n'est pas la sienne : "La seule solution pour le faire, c'était de le faire avec eux, avec des personnes qui venaient de ce monde. Il fallait les voir, les écouter, dialoguer avec eux et surtout de bâtir un rapport de confiance mutuelle."
"L'autre difficulté était de diriger des acteurs avec lesquels on ne parle pas la même langue. Il a fallu que j'apprenne à bien comprendre si leur interprétation était vraiment juste. Il y a aussi des séquences d'action très compliquées, dangereuses, c'est une difficulté supplémentaire qui est aussi très enrichissante au moment du tournage", se souvient-il.