ATTENTION - L'article ci-dessous contient des spoilers, puisqu'il revient sur la fin de "Past Lives - Nos vies d'avant". Veuillez donc passer votre chemin si vous n'avez pas vu le film de Celine Song.
Passé par les festivals de Berlin et Deauville, Past Lives est l'un des plus beaux films de 2023. L'un des plus émouvants aussi. Et il le doit en grande partie à sa scène finale absolument déchirante, qui vient conclure l'histoire au long cours entre Nora (Greta Lee) et Hae Sung (Teo Yoo).
Deux amis d'enfance que la vie a séparés très tôt, avant que leur amour ne puisse se déclarer, lorsqu'elle a quitté leur Corée natale pour partir vivre aux États-Unis. Leurs retouvailles, douze et vingt-quatre ans plus tard, permettent au long métrage d'aborder les notions de vies antérieures, d'occasions manquées et de ce qui aurait pu être.
Autant de thèmes qui trouvent leur aboutissement dans les longs silences entre les deux personnages principaux, alors qu'Hae Sung attend le taxi qui le ramènera en Corée. Et le fera peut-être sortir de la vie de Nora. Mais comment peut-on interpréter les derniers échanges et non-dits entre eux ? Réponse avec la réalisatrice et scénariste.
"Les gens parlent souvent de ce film comme d'une histoire de rendez-vous manqué", nous dit Celine Song au Festival du Cinéma Américain de Deauville. "Ce qui est très vrai et j'y pense beaucoup. Mais ce qui m'intéresse le plus, à la fin notamment, c'est qu'elle puisse dire au revoir à la petite fille qu'elle a laissée derrière elle il y a vingt-quatre ans. Past Lives est un film qui raconte trois adieux."
Past Lives est un film qui raconte trois adieux
"Le premier lorsqu'ils sont enfants, et qui est un très mauvais adieu car ils sont trop jeunes pour le faire correctement. La seconde fois, ils se blessent l'un l'autre. C'est une rupture très triste et déchirante, un peu bizarre aussi car elle se fait en visio sur Skype."
"Et il y a l'adieu final, qui est le bon adieu. Celui qui va nous conduire à la fin du film. Et il a de particulier qu'il doit résoudre cet adieu auquel ils n'ont pas pu avoir droit vingt-quatre ans auparavant. C'est d'ailleurs pour cette raison qu'il y a un flashback pendant cette scène."
"Et, si vous regardez bien, ce flashback se passe dans l'obscurité, pendant la nuit. Donc ce n'est pas au même moment de la journée, ni avec le même éclairage, que lorsqu'ils se sont dit au revoir enfants. C'est le même éclairage que celui du moment présent. Cela signifie que ces deux enfants attendent leur adieu à ce coin de rue depuis vingt-quatre ans. Et c'est ce qui compte le plus pour moi : que Nora puisse organiser les funérailles de cette part d'elle-même à laquelle elle n'a jamais pu dire au revoir."
"Le cadeau que représente la venue d'Hae Sung à New York, c'est de lui rappeler que cette petite fille a vraiment existé et qu'elle n'a jamais eu droit à un adieu digne de ce nom. Mais grâce à ce cadeau, ils peuvent se dire au revoir comme il se doit. Et Arthur [John Magaro] reçoit aussi quelque chose d'extraordinaire, car il peut la voir pleurer et n'en avait jamais eu l'occasion. Hae Sung leur a offert ce beau cadeau, mais il est aussi venu parce qu'il voulait fermer la porte."
"Il avait besoin de venir pour fermer la porte à tout ce qu'il pensait qui aurait pu se produire. Il est vraiment question de clore un chapître. Ainsi, quand Nora pleure en rentrant chez elle, elle le fait au sujet de cette petite fille qu'elle a laissée derrière elle. Elle ne pleure pas car elle ne va pas finir avec Hae Sung : elle fait ce qu'elle n'a pas fait au moment où elle a émigré, car pleurer ne lui semblait alors pas important."
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Deauville le 2 septembre 2023