Est-ce que tout est vrai dans le film L'abbé Pierre ? Sorti au cinéma ce mercredi 8 novembre, il a pour ambition de retracer la vie de cette figure très connue des Français. Avec une performance de Benjamin Lavernhe saluée à l'unanimité par tous les premiers spectateurs.
Comme nous l'a confié son réalisateur, Frédéric Tellier, à notre micro, la "première idée", pour L'abbé Pierre - une vie de combats, était "de ne pas paraphraser l'icône que tout le monde connaissait plus ou moins". Et d'ajouter : "Ce qui me touche particulièrement, ce sont les êtres humains, ce qui pouvait être derrière. Et évidemment, quand je découvre qu'il a un amour inconditionnel avec Lucie Coutaz pendant quarante ans, je commence à être très intéressé par cette histoire. J'avais envie de montrer quelqu'un avec des creux et des pleins, avec des reliefs en fait, quelqu'un d'assez normal dans son quotidien, qui a été capable de la constance de sa bonté dans la longévité d'une vie incroyable."
Trouver des réponses, d'en imaginer certaines en collant un peu des petits fragments récoltés à droite à gauche
Il poursuit : "Le travail commence vraiment là. Maintenant qu'on a bien identifié les grandes parties saillantes de l'histoire, quelles étaient ses mécaniques internes pour y arriver ? Qu'est-ce qui le poussait à bouger, à se mouvoir constamment ? Est-ce qu'il s'est cassé la gueule ? Est-ce qu'il a eu peur ? Est-ce qu'il a baissé les armes à un moment ? Est-ce qu'il s'est trahi lui-même ? Les mille questions qu'on se pose tous les matins, sur le sens de la vie...
C'est ça que j'ai essayé de traiter, de trouver comme réponses, d'en imaginer certaines en collant un peu des petits fragments récoltés à droite à gauche. Pour proposer un regard sur lui qui n'est pas celui qu'on a jusqu'à présent, dans tout le respect de celui qu'on a jusqu'à présent sur lui."
Pour écrire le scénario du film, Frédéric Tellier a travaillé avec Olivier Gorce, qui avait d'ailleurs la particularité d'avoir écrit une biographie consacré à l'abbé Pierre, en 1994, sous le titre Le Missionnaire de l'impossible.
On est vite parti sur des références assez épiques, et pas juste un petit biopic avec les étapes obligées !
"A ce niveau de notoriété, [s'emparer d'un tel sujet] est presque piégeux. Le danger est d'être complètement inhibé par le personnage réel, a-t-il expliqué lors de la conférence de presse du film à Cannes. On ne consacre pas 5 ans de sa vie juste pour faire un hommage. On s'est tout de suite posé la question : quelle voie de cinéma on va trouver pour raconter cette histoire ? Quelle ambition artistique on va se donner à travers ce personnage ? C'était la grande difficulté. On a vite parlé de film épique. Par exemple, Neuilly Plaisance, les débuts d'Emmaüs, c'était comme un western. On est assez vite parti sur des références assez épiques, et pas juste un petit biopic avec les étapes obligées !"
Pour documenter le film, les scénaristes ont pu compter sur le soutien de la Fondation Abbé Pierre qui leur a donné accès à une vaste documentation. Concrètement, l'équipe a pu avoir accès aux archives, soit environ 5 000 photos dont 1 500 inédites. Il y avait aussi des documents vidéo, et l'équipe a pu visiter des communautés, faire des maraudes.
"Les producteurs m'ont présenté à la Fondation Abbé Pierre, qui était complice du film. C'est là que j'ai commencé à avoir accès aux témoignages incroyables. (...) Tout ça a commencé à constituer des témoignages, avec des petites confidences qui sont nulle part.
Et je garderai en tête que la Fondation nous disait tout le temps : Il faut être irrévérencieux ! Parce que l'abbé n'aurait pas aimé que ce soit un peu trop propre. Tu n'hésites pas ! Tu y vas, tu montres tout !"
Le défi, au-delà du réalisme, était de faire rentrer une vie très dense dans un temps imparti assez réduit, et en montrant également des épisodes moins connus de sa vie, comme son internement en hôpital psychiatrique. "C'est injuste de résumer 74 ans de la vie d'un homme en 2 heures 15", synthétise Frédéric Tellier. "C'est un point de vue subjectif sur les choses qui représente, d'une certaine manière, ce qu'il s'est passé. Il manque évidemment beaucoup de choses, beaucoup de nuances, beaucoup de variations de sa vie qui ont existé. C'est un point de vue sur sa vie, assez subjectif."
Dans la première time-line, c'est parti pour un film de 5h30 !
Il donne quelques précisions sur leur méthode de travail : "On a fait une espèce de time-line de sa vie, à la fois sur le factuel et à la fois sur l'intime, en essayant de juxtaposer les incontournables. Par exemple, on s'est demandé s'il fallait parler de l'appel de 54, vu que tout le monde le connaissait. Et très vite, en discutant, on se dit : on ne peut pas ne pas faire l'appel de 54. Donc comment on le fait ? Et évidemment ce qui prend du temps à l'écriture, c'est que dans la première time-line, c'est parti pour un film de 5h30 ! Puis, on rétrécit, puis on garde des choses. Et puis si on enlève ça, il manque ça là. Comment transformer ? On a commencé en bâtissant les parties saillantes du factuel, et en trouvant ce qu'on aimait bien dans l'intime, et en essayant d'articuler tout ça."
Le risque, c'était du trop
Olivier Gorce complète : "Ce n'est pas si courant quelqu'un qui a accompli autant de choses. Le risque, c'était du trop. Presque pas crédible, d'accumuler les combats, les actions héroïques, donc il a fallu faire un travail : lui laisser du temps, des fragilités, et le duo effectivement avec Lucie Couttaz, qui est très fondamental, et qui a structuré la dramaturgie, qui s'est imposée à nous."
Quant au caractère dépeint, Frédéric Tellier indique que l'abbé Pierre avait "un caractère, voire des colères, et effectivement de la douceur". Benjamin Lavernhe ajoute : "Le film fait le choix de montrer sa combativité, de le montrer en action. J'espère qu'on voit aussi sa tendresse et sa douceur."
L'abbé Pierre - une vie de combats est actuellement en salles.