Séquence flashback. Sorti en 2010 au terme de cinq longues et douloureuses années de développement, Alan Wake fut bien accueilli par les Critiques. Si le studio de développement Remedy avait bien commencé à travailler sur une suite, celle-ci n'est jamais sortie, malgré les 4,5 millions d'exemplaires vendus du premier jeu. Alan Wake's American Nightmare, sorti en 2012, n'était pas une suite directe mais un Spin Off.
Le premier jeu mettait en scène un personnage du nom d'Alan Wake, auteur de thriller à succès. Ce dernier louait avec sa femme Alice un chalet isolé près de Bright Falls, une charmante bourgade nichée au cœur d’un massif montagneux, au cœur des Etats-Unis. Cette escapade était l’occasion pour lui de se rapprocher de sa femme qui le comprenait de moins en moins, et de surmonter sa terrible angoisse de la page blanche. Au point de semer le trouble dans sa carrière et de mettre en péril son couple.
Mais Bright Falls cachait un sombre secret, et le chalet au bord du lac nétait pas le havre de paix que l’écrivain était venu chercher. Lorsqu’Alice disparaissait, Wake se lancait à sa recherche, et découvrait les pages d’un livre qu’il ne se souvenait pas avoir écrit.
Alors qu’il s’enfoncait toujours plus profondément dans les bois au prix d’une santé mentale de plus en plus précaire, les pages de ce livre prenaient vie. Les ténèbres s’emparaient d’Alan ; le chalet devenait l’antichambre de l’Enfer, tandis que la majestueuse forêt devenait le terrain de chasse de forces maléfiques...
Stephen King à la rescousse
"Pour Alan Wake, je voulais vraiment créer un personnage qui ne soit pas dans la veine d’un Action Héros ; d’où l’idée de faire de lui un écrivain. A cela se greffait l’envie de faire un thriller surnaturel, avec des éléments appartenant au genre horrifique. Stephen King était évidemment le mètre-étalon, une référence incontournable et absolue. Il expose très souvent son métier d’écrivain dans ses sombres histoires. Donc oui, c’était une référence naturelle" nous confiait Sam Lake, pilier du studio Remedy et créateur du jeu, lorsque nous l'avions rencontré en 2016.
Ajoutant : "C'est Twin Peaks qui nous a donné l’idée de situer l’histoire d’Alan Wake dans la petite bourgade du nom de Cauldron Lake, coincée entre un fleuve et la montagne. Tout comme dans Twin Peaks, la forêt est un lieu habité par le Mal. On trouvait aussi que cet environnement fonctionnait formidablement bien par contraste avec celui de Max Payne ; proposer une petite ville comme point de départ, au lieu de plonger le joueur dans une grande ville comme New York. Ca renforcait aussi le côté claustrophobique qu’on recherchait pour Alan Wake".
Abstraction faite du spin off, il aura donc fallu attendre 13 ans - et deux jeux dans ce lap de temps- pour embrasser à nouveau la destinée contrariée de l'écrivain maudit. Un opus sur lequel d'ailleurs Sam Lake coiffe plusieurs postes, de directeur créatif en passant l'écriture du scénario et même carrément l'incarnation d'un personnage du jeu. En l'occurrence un agent du FBI du nom d'Alex Casey, protagoniste des romans écrits par Alan Wake...
Mais si Lake prête ses traits à celui-ci, sa voix est en revanche celle de l'acteur James McCaffrey, bien connu des aficionados pour être celle des jeux Max Payne. Un choix évidemment tout sauf neutre, dans la mesure où ce Alan Wake II navigue dans une sorte de Remedy-verse, soit l'univers créé par le studio depuis le premier jeu Max Payne, avec ses personnages torturés, ses monologues intérieurs, son ambiance de film néo noir, etc.
En voici la bande-annonce...
Piégé entre deux mondes
Treize ans après, rien ou si peu n'a changé à Bright Falls, baignant toujours dans son inquiétante étrangeté. Une série de meurtres rituels menace la petite ville. Saga Anderson, un agent accompli du FBI, arrive pour enquêter.
Pendant ce temps, Alan Wake, toujours piégé dans un cauchemar au-delà de notre monde dont il n'avait pas réussi à sortir il y a 13 ans, écrit un sombre histoire dans le but de façonner la réalité qui l'entoure, et échapper à sa prison. Anderson et Wake, deux personnages plongés dans des récits aux réalités distinctes, mais liés intimement.
Assemblée comme une série policière procédurale et scandinave, Alan Wake II plonge plus loin encore le scalpel dans les méandres de l'âme torturée de son géniteur. Un récit très méta et tentaculaire, qui déploie ses atours sur 25h de jeu environ (en prenant vraiment son temps).
Toujours calqué sur le modèle des séries TV, avec ses épisodes et ses Cliffhangers finaux refermés en musique d'ailleurs comme le faisait David Lynch dans sa 3e saison de Twin Peaks (là aussi pas un hasard...), le récit pousse jusqu'à un point d'incandescence rarement atteint la réflexion sur l'angoisse de la page blanche et ses frustrations, la parentalité, la fiabilité ou l'absence de fiabilité de sa mémoire, la nature de l'Art, ce que cela signifie de créer...
Un récit pour tout dire assez vertigineux et vraiment complexe, multi couches, dont il nous est parfois arrivé de perdre un peu le fil. Si Sam Lake n'a évidemment pas oeuvré seul aux commandes de l'histoire, il est clair que nombre des thèmes abordés dans le jeu sont le fruit de ses propres interrogations, doutes et aspirations.
Plongée dans une antre mentale
Alan Wake II intègre des éléments de jeu d'enquête. Lorsque le joueur incarne Saga Anderson, il peut mettre le jeu pause, ce qui lui permet d'accéder à un espace sans ennemi dénommé "l'antre mentale".
Il s'agit en fait d'une représentation visuelle des pensées de Saga, dans laquelle peut relier des indices pour reconstituer les différentes affaires, relier les témoins entre eux et les scènes de crimes, etc. En plus de pouvoir effectuer un profilage, c'est-à-dire "entrer" dans la tête des suspects et des victimes pour s'interroger sur leurs modus operandi et recueillir des indices qui feront avancer l'intrigue.
Le basculement sur le contrôle d'Alan Wake est une surpuissante trouvaille de gameplay. Traqué par un double maléfique, à la manière du personnage de La Part des ténèbres de Stephen King, Alan Wake n'a pas d'autre issue que d'écrire et réécrire en permanence les chapitres d'une histoire (toujours sombre, évidemment...) qui prend littéralement vie.
Piégé à écrire dans son antre, comme une boucle sans fin, il peut ainsi modifier les environnements dans lequel il est amené à évoluer au gré de l'histoire. C'est plus facile à vivre manette en main qu'à décrire, mais le résultat est absolument saisissant et grisant.
Comme dans le précédent volet, le joueur affronte des personnes contrôlées par des forces obscures et protégées par une ombre. Ceux-ci sont très vulnérables à la lumière et le joueur doit tirer parti des sources lumineuses pour enlever l'ombre qui fait office de bouclier, avant de vraiment pouvoir les abattre grâce à un (petit) râtelier d'armes.
Du pistolet en passant par l'arbalète, le fusil à pompe / de chasse, le pistolet de détresse, grenade flashbang ou autre feu de bengale. Et, même en difficulté normale (soit le 2e palier sur les trois proposés), les affrontements peuvent faire vraiment mal, surtout lorsque l'on tombe sur des grappes d'ennemis très énervés et / ou qui tendent de vicieuses embuscades...
L'appel (terrifiant) de la forêt
Tandis qu'Alan Wake passe une grande partie de son temps à déambuler dans une version absolument sinistre et cauchemardesque de New York (nourri par les influences de Taxi Driver aux dires de Sam Lake), impressionnante visuellement, et qui est en fait la version noire de son Doppelgänger, Saga évolue beaucoup dans les forêts environnantes de Bright Falls.
Plus organiques et vivantes que jamais, elles sont aussi sublimes visuellement que très oppressantes à traverser, distillant constamment un malaise diffus. Les bois n'attendent même pas la tombée du jour pour devenir hantés, prenant vie et déchaînant leurs forces maléfiques sur l'héroïne, traquée comme du gibier.
On se surprend même souvent à courir le plus vite possible vers la lumière, ou la chercher parfois frénétiquement. Des moments de (bref) répit au milieu de pics de tension qui mettent parfois les nerfs à rude épreuve.
Tant qu'à parler des environnements, on décernera une mention toute particulière à la bourgade de Watery, où Saga mène aussi son enquête. Semblant surgir au milieu d'une nappe de brume, presque oubliée de tous et peuplée d'une galerie de personnages tous plus lunaires les uns que les autres, comme si le temps semblait s'être figé, celle-ci est adossée à un parc d'attractions dénommé "Coffee World".
Une espèce de Luna Park abandonné et anxiogène, comme une sorte de pendant vidéoludique à celui aperçu dans Le carnaval des âmes. Un lieu à la fois fascinant et absolument sinistre, au coeur d'événements passés et tragiques qui ne demandent qu'à refaire surface...
Bilan des courses
Porté par une intrigue propre à vous vriller les neurones et poussant jusqu'au vertige ses multiples interprétations, irrigué aussi dans sa forme (géniale, on ne le dira jamais assez) par des incursions de séquences Live lorgnant vers le cinéma Arty qui font totalement sens (et déjà expérimentés dans le passé par le studio) et surtout qui s'insèrent dans la trame avec une fluidité parfois déconcertante, Alan Wake II laisse au bout du compte plus de questions qu'il n'apporte de réponses.
Deux contenus additionnels prévus devraient se charger de cela. Le premier, Night Springs, devrait débouler au printemps 2024. Le second, intitulé The Lake House, est encore sans date de sortie. En attendant, le dernier jeu créé par les sorciers de Remedy est absolument incontournable. L'attente a été interminable, mais elle en valait largement la peine.