ÇA PARLE DE QUOI ?
À la mort de sa mère, Mona Achache découvre des milliers de photos, de lettres et d’enregistrements, mais ces secrets enfouis résistent à l’énigme de sa disparition. Alors par la puissance du cinéma et la grâce de l’incarnation, elle décide de la ressusciter pour rejouer sa vie et la comprendre.
Tout sur sa mère
Révélée par Le Hérisson, d'après le roman du même nom, puis Les Gazelles, co-écrit et porté par l'énergie comique de Camille Chamoux, Mona Achache signe l'un des films plus étonnants de cette année cinéma 2023. Documentaire ? Fiction ? Un peu des deux ?
La réalisatrice brouille les frontières entre les genres, les médias (photos, écrits, extraits sonores) et les techniques dans cet exercice introspectif. Où elle cherche à la fois à ressusciter sa mère au travers de ce qu'il lui reste d'elle, et prolonger son héritage. Carole Achache était en effet autrice, et elle a notamment écrit un livre sur sa propre mère.
Mona Achache s'inscrit donc dans le même élan, à travers l'art qu'elle maîtrise. Et elle apparaît à l'écran. Au milieu de photos et carnets noircis de pensées, comme hantée par des souvenirs qui s'immiscent dans le montage de manière brève, et face à Marion Cotillard, qui incarne donc sa mère. En playback (avec un léger décalage) ou en imitant sa voix, avec une perruque et les vêtements de la défunte.
Il s'agit là des séquences les plus déstabilisantes de Little Girl Blue dans un premier temps. Car malgré le travail d'incarnation (qui rappelle un peu celui de La Môme, en moins extrême), il est difficile de ne pas voir Marion Cotillard. Mais on finit par s'y habituer et cela participe à cet "onirisme" qu'évoque l'actrice dans le dossier de presse.
Et le principal, pour la réalisatrice, ne s'arrête pas à cette notion de star : "Il y avait ma passion, mon admiration pour Marion Cotillard, l’actrice. Et pour nous être croisées un peu, l’intuition qu’elle comprendrait Carole", déclare-t-elle. "Que quelque chose nous liait autour de son histoire, qui pouvait être le point de départ d’une incarnation très forte. Le parcours de ma mère est marqué, fracturé par celui d’écrivains puissants et reconnus."
"J’avais envie de répondre à cela par un geste cinématographique exigeant, et donner à Carole l’aura d’une actrice iconique. Contredire les ténèbres de Carole par cette lumière. Je savais que ce personnage demandait un travail et un talent hors normes." Un travail que le film ne cache pas, en montrant les ratés et questionnements de l'actrice.
Le parcours de ma mère est marqué, fracturé par celui d’écrivains puissants et reconnus. J’avais envie de répondre à cela par un geste cinématographique exigeant, et donner à Carole l’aura d’une actrice iconique.
Si le terme "expérimental" peut faire peur au grand public, il est bien difficile de ne pas l'accorder à Little Girl Blue, qui tire son titre de la chanson homonyme de Janis Joplin, qui illustre le générique de fin. Les mots ne peuvent pas totalement retranscrire ce que nous voyons à l'écran, et qui se révèle plus universel qu'on ne pourrait le croire.
On pense parfois au documentaire Toute la beauté et le sang versé, Lion d'Or du Festival de Venise en 2022, qui suit autant le combat de Nan Goldin contre les responsables de la crise des opiacés qu'il fait un portrait d'elle et de son époque. Car Little Girl Blue ressuscite autant Carole Achache que l'univers dans lequel elle a évolué.
Une manière, pour la réalisatrice, d'élargir son champ de vision, et d'inclure davantage le spectateur dans cette histoire intime. Alors qu'elle se met aussi en scène et révèle ses blessures et failles ("Les femmes sont maudites dans la famille", entend-on), chacun pourra y projeter de son propre vécu.
"J'ai jamais rien fait d'aussi dur de ma vie", râle Marion Cotillard dans l'une des scènes. Nul doute qu'il en va de même pour Mona Achache, que la dernière image montre libérée après être venue à bout de ce film indescriptible mais bouleversant.