Souvenez-vous, il y a un peu moins d'un mois, on apprenait que le candidat pour représenter la France aux Oscars serait La Passion de Dodin Bouffant. Alors qu'Anatomie d'une chute de Justine Triet était perçu comme le grand favori pour être sélectionné, fort de sa Palme d'or, le choix de cet autre film primé à Cannes (Prix de la Mise en Scène au Festival de Cannes 2023) a provoqué beaucoup de réactions, de la surprise, voire des critiques virulentes.
Pour la première fois, le réalisateur de La Passion de Dodin Bouffant, Tran Anh Hung, s'exprime sur le sujet des Oscars, dans les colonnes de Première.
"Personne n’est venu remettre en cause la décision du jury du Festival de Cannes de décerner la Palme d’or au film de Justine Triet et c’est parfaitement normal. Pourquoi, faudrait-il aujourd’hui remettre en cause celle du comité qui désigne le représentant français des Oscars ? Je n’ai pas compris cette violence", souligne-t-il.
La Passion de Dodin Bouffant, film gourmand, porté par un casting reconnu à l'international, comme Juliette Binoche, ou Benoît Magimel, raconte une passion amoureuse et gustative... L'histoire d'Eugénie, cuisinière hors pair, et depuis 20 ans au service du célèbre gastronome Dodin. Au fil du temps, de la pratique de la gastronomie et de l'admiration réciproque est née une relation amoureuse. De cette union naissent des plats tous plus savoureux et délicats les uns que les autres qui vont jusqu’à émerveiller les plus grands de ce monde. Pourtant, Eugénie, avide de liberté, n’a jamais voulu se marier avec Dodin. Ce dernier décide alors de faire quelque chose qu’il n’a encore jamais fait : cuisiner pour elle.
Le magazine Première a également invité Tran Anh Hung à commenter l'aspect très français du film, qui met en lumière la bonne cuisine. "Je pense, en effet, l’avoir traduit avec La passion de Dodin Bouffant, par ce refus de l’exubérance et de l’ostentation. Mes influences restent toutefois japonaises. La recherche constante de l’humanité vient d’Ozu, l’amour des plans séquences et du dispositif de Mizoguchi. Enfin, la structure très complexe du scénario, où le sens et les émotions sont emmêlés, de Kurosawa..."
Peu de temps après la publication de cet article, le producteur Said Ben Said, connu pour avoir notamment produit Benedetta de Paul Verhoeven, ou plus récemment L’Été dernier de Catherine Breillat, a écrit un long texte sur Twitter pour donner son sentiment global sur le processus de sélection des films français aux Oscars.
Nous reproduisons son texte ci-dessous :
"Nous avons été nombreux à réagir avec une indignation incrédule au choix de la passion de Dodin Bouffant pour représenter la France dans la course à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère.
On nous a répondu que ce ce film, même s’il n’était pas le meilleur candidat, avait été choisi par une commission de sept personnes qui ont voté majoritairement pour lui en toute indépendance, intégrité, et qu’il fallait respecter ce choix.
Mais la question que nous soulevions n’était pas là. Personne ne doutait de la probité des personnes choisies. Il s’agissait plutôt de savoir si on n’avait pas désigné certaines d’entre elles pour faire délibérément pencher le vote en faveur du film de Trân Anh Hùng dans le but de punir Justine Triet pour son discours cannois.
Le choix du film représentant la France ne devrait-il pas être fait par les membres français de l’académie des Oscars afin d’éviter les éventuelles (basses) manœuvres politiciennes ?
La question posée aujourd’hui est donc avant tout celle du mode de scrutin. Le choix du film représentant la France ne devrait-il pas être fait par les membres français de l’académie des Oscars afin d’éviter les éventuelles (basses) manœuvres politiciennes ?
Ce mode de scrutin, difficile à imaginer dans certains pays où très peu de ressortissants sont membres de l’académie, est tout à fait envisageable en France. Sa mise en œuvre est relativement simple.
En 2016, Aquarius de Kleber Mendonça Filho que je coproduisais et distribuais, aurait dû représenter le Brésil dans la course à l’Oscar du meilleur film en langue étrangère, mais avait été écarté par le ministère brésilien de la culture en raison du soutien affiché par le cinéaste à Dilma Rousseff (victime d’un coup d’état) avant la projection de son film à Cannes. Personne ne se souvient du titre du film brésilien choisi mais je me souviens de l’enfer vécu par Kleber et Emilie Lesclaux, sa productrice, à la suite de cela : calomnies, audits punitifs de sa société, retrait de subventions, etc
Certes, la France n’est pas le Brésil et Dodin Bouffant aurait eu une vraie légitimité à concourir pour les Oscars en l’absence du film de Justine Triet. Il ne faut donc pas être paranoïaque. Mais l’une des contrariétés de l’existence, c’est que les paranoïaques finissent par avoir raison."
La passion de Dodin Bouffant sortira le 8 novembre 2023. Pour mémoire, l'Académie des Oscars dévoilera, le 15 décembre prochain, la shortlist de quinze longs métrages parmi les candidats venus du monde entier. Puis les cinq nommés seront connus le 23 janvier 2024, et le grand gagnant annoncé le 10 mars.
Précisons enfin que le film de Justine Triet, Anatomie d'une chute, mentionné ci-dessus, est sorti aux Etats-Unis le week-end dernier, après avoir été présenté dans plusieurs festivals à travers le monde. Son distributeur américain, Neon (déjà aux manettes de la distribution américaine à succès de Parasite et Portrait de la jeune fille en feu), mène une intense campagne pour faire connaitre le film du public américain.
Comme mentionné ci-dessus, le lancement américain d'Anatomie d'une chute est plutôt convaincant, et Neon aimerait que le film puisse être nommé aux Oscars, dans des catégories autres que celle du meilleur film étranger.
Anatomie d'une chute est sorti le 24 août 2023 en France et a à présent dépassé les 1,2 million d'entrées dans nos contrées.