Un paysage désert, un cactus solitaire, un bar illuminé par un timide néon : nous voilà atterri dans L’Autre Laurens, nouveau film de Claude Schmitz. Après le court, le moyen-métrage et la mise en scène de pièces de théâtre, le réalisateur belge propose ici un voyage aussi troublant que passionnant et déconcertant, dans ce long-métrage présenté à la dernière Quinzaine des cinéastes de Cannes.
Fable hybride, bercée par des personnages haut en couleur, des décors multiples et une multitude de références, L’Autre Laurens lève le voile sur un détective privé pas comme les autres, à savoir Gabriel Laurens (Olivier Rabourdin, immense, comme à son habitude), bousculé dans sa lassitude par l’arrivée de sa nièce. Elle, c’est sa Jade (Louise Leroy, foudroyante révélation). Sorte de Brigitte Bardot badass et déterminée, elle déboule auprès de son oncle pour lui demander d’enquêter sur la mort de son père, frère jumeau de Gabriel.
POL’ART DE DIRE SANS DIRE
Entre souvenirs et secrets bien dissimulés, Gabriel va voir ressurgir les fantômes de son passé dans cette enquête mêlant faux-semblants, fantasmes et trafic de stupéfiants. Allant bien au-delà de cette recherche, le récit se déploie dans un sublime brassage des genres qui interroge sur les codes du cinéma, l’identité, et qui met à mal non sans talent certains mensonges du patriarcat.
“J’ai voulu questionner sur l’identité et aborder le patriarcat, ce que cela véhicule depuis longtemps… trop longtemps, nous confie Claude Schmitz. Je m’identifie beaucoup au personnage de Jade, qui va se faire son itinéraire en découvrant les mensonges de son père, le remplacer par ce qui va devenir une copie de lui, s’entourer d’autres figures que l’on pourrait qualifier de néfaste, avant de briser toute cette dynamique.”
“Au-delà de ça, ce qui m'intéressait était de questionner le genre. Il y a le genre en tant que tel, mais aussi le genre au cinéma. Après mes premiers films en parallèle de mon travail au théâtre, j’avais un vrai besoin de proposer quelque chose de romanesque, de m’investir dans une forme dramaturgique plus ample”, explique celui qui réussit aussi bien à nous offrir des scènes de pures comédies, que des séquences sombres, donnant naissance à un objet cinématographique baroque, méta et pour le moins singulier
ALLÉGO(L)RIE BAROCK
Des genres et des ambiances qui se côtoient et s’entrechoquent donc, de la même manière que la dualité symétrique des deux frères Laurens, du duo Gabriel/Jade, ou d’un tandem d’hilarants policiers.
Cet effet miroir, on le retrouve dans de nombreux détails du long-métrage, comme dans le décor d’une Maison-Blanche qui est en réalité le Château de Rastignac situé en Dordogne, et qui serait selon certains historiens non pas une réplique, mais bien le modèle du fameux bâtiment américain.
Incontestablement allégorique, donc, le film parle de l’effondrement d’une vision de notre monde à travers - entre autres - l’effondrement des tours jumelles. Là aussi, tout un symbole. “Pour les tour jumelles, il y a effectivement la référence à la gémellité des Laurens. Mais c’est aussi parce que le 11 septembre est un évènement qui m’a forgé.”
“J’avais 20 ans et ça a marqué ma mémoire dans le sens où cela a mis fin à l’imaginaire que j’avais de l’Amérique, de sa toute-puissance supposée, des films de série B avec Stallone et Norris, militaristes et plein de contradictions, se souvient-il. Après ça, j’ai découvert une autre Amérique, et un cinéma plus complexe qui m’a passionné." Aussi fascinant pour ce qu’il raconte que pour la manière dont il le fait, L’Autre Laurens est donc une œuvre à côté de laquelle il ne faut pas passer, qui va vous inspirer, certainement; vous marquer, indéniablement.
Découvrez L’Autre Laurens, actuellement et exclusivement au cinéma.
Propos recueillis par Mathilde Fontaine, à Paris le 20 septembre 2023