ATTENTION - L'article ci-dessous contient quelques légers spoilers sur "The Creator", car il évoque des éléments de son intrigue. Veuillez donc passer votre chemin si vous ne l'avez pas encore vu.
Les relations compliquées entre le monde du cinéma et des séries et l'intelligence artificielle ne datent pas d'hier. HAL 9000 et Ash ont respectivement eu un rôle clé dans l'échec des missions de 2001, l'odyssée de l'espace et Alien. Les expériences de Skynet et de la Matrice ont mal tourné. Et Ultron n'a mis que quelques secondes à échapper à ses créateurs Tony Stark et Bruce Banner dans Avengers 2.
Mais les réplicants de Blade Runner sont pleins d'humanité. A.I. et Chappie ont revisité le mythe de Pinocchio à la sauce futuriste. Et il est bien difficile de ne pas fondre devant Wall-E.
Le sujet a donc infusé, de différentes manières, dans la pop culture depuis des décennies. Mais il n'a jamais été aussi présent qu'en 2023. Devant comme derrière la caméra.
AÏE, ROBOT ?
Au mois de juin, Disney et Marvel faisaient polémique avec le générique de la série Secret Invasion, conçu à l'aide d'une intelligence artificielle. En août, la technologie était au cœur d'une guerre entre agences de renseignement dans Agent Stone sur Netflix, alors que les acteurs venaient de rejoindre les scénaristes dans leur grève. Pour lutter, entre autres, contre l'utilisation de l'IA qui compromettrait leurs travaux, dans l'écriture des scripts comme dans l'utilisation de visages et voix.
Et c'est dans ce contexte pour le moins houleux que sortent deux blockbusters qui tournent autour de l'intelligence artificielle : Mission Impossible 7 et The Creator. Des films qui laissent entendre que l'IA est devenue le nouveau grand méchant du cinéma américain. S'ils traduisent effectivement une inquiétude mondiale, la réalité est un peu plus complexe que cela.
MISSION IMPOSSIBLE 7 : L'IA, ENNEMIE DU CINÉMA ?
Tom Cruise aime se raconter à travers ses films. Et c'est encore plus vrai dans la saga Mission : Impossible, qui évoque quelques moments clés de sa carrière. Le premier épisode, dans lequel il prend les commandes de la franchise derrière et devant la caméra, fait écho à son baptême du feu de producteur.
Le troisième film, avec un Ethan Hunt sur le point de se marier, n'est que le prolongement au cinéma de sa romance avec Katie Holmes dont il fait le cœur de chaque sortie médiatique, quitte à en faire claquer les ressorts du canapé d'Oprah Winfrey.
Et chaque opus depuis Protocole Fantôme, qui marquait son grand retour après avoir été mis au ban d'Hollywood par la Paramount suite aux chiffres décevants du précédent film (et à ses sorties de route médiatiques) montre un héros régulièrement lâché par sa hiérarchie, contraint de se surpasser physiquement à l'aide d'une poignée de gens auxquels il peut encore faire confiance.
Contrarié par la pandémie de Covid, qui a scindé son tournage en plusieurs parties et repoussé sa date de sortie à de nombreuses reprises, Mission : Impossible 7 confronte le héros à un double ennemi : un tueur redoutable issu de son passé, qui n'est autre que le bras armé de l'Entité, intelligence artificielle capable d'anticiper ses faits et gestes.
"Tu joues une partie d'échecs en quatre dimensions avec un algorithme", dit Luther (Ving Rhames) à Ethan dans un dialogue qui contient l'une des clés de lecture du film. Grand défenseur de la salle, désigné "sauveur des miches d'Hollywood" par Steven Spielberg suite au carton de Top Gun : Maverick, Tom Cruise ne se bat pas tant pour sauver le monde que le cinéma.
Métaphoriquement parlant, sauf si la seconde partie de l'histoire révèle que les PDG des plateformes de streaming ont aussi créé l'Entité. Mais à l'heure où le tournage du 8 a été interrompu par la grève des scénaristes et des acteurs, en partie due à une question d'IA, Tom Cruise affronte une intelligence artificielle capable de changer les visages et les voix, et d'écrire elle-même ses propres scénarios.
Soit, notamment, ce contre quoi les grévistes restants se battent actuellement. Récit visionnaire ? Oui dans le sens où la post-production était déjà bien avancée quand le mouvement a débuté. Mais les derniers Mission : Impossible sont des films qui s'écrivent et ses réécrivent en cours de tournage. Et nul doute que le contexte et les pauses à répétition ont eu une influence sur le grand méchant de cet opus.
A travers le face-à-face entre Ethan Hunt et l'Entité, Dead Reckoning raconte le combat de l'homme face à la machine, et de l'analogique face au numérique. Une opposition qui s'incarne notamment dans la volonté de Tom Cruise de réaliser ses propres cascades et de limiter au maximum l'usage des images de synthèse.
Le hasard a fait que Mission : Impossible 7 est sorti quelques semaines après Fast & Furious X, qui nous offre également une course-poursuite dans les rues de Rome mais avec davantage de trucages numériques, ce qui se voit. Et appuie le message du film de Christopher McQuarrie. Même si celui-ci s'accompagne de quelques ambivalences, en plus de son score inférieur aux attentes au box-office.
Tu joues une partie d'échecs en quatre dimensions avec un algorithme
Même s'il est ouvertement contre, le long métrage ne peut se passer totalement du numérique. Pour transformer une rampe de saut en morceau de falaise par exemple. De la même manière qu'il pointe les algorithmes du doigt mais se doit de respecter les codes de la saga, quitte à devenir légèrement programmatique.
Sauf quand il parvient à transcender cet écueil, à Venise, lorsqu'un événement dramatique annoncé plus tôt se produit et imprègne le récit de fatalité. Car il se repose sur l'humain, qui semble être la clé de la victoire d'un Ethan Hunt que l'on imagine mal ne pas voir gagner. Quitte à se sacrifier pour mettre un terme à son chemin de croix en sauvant le monde (et le cinéma avec lui ?) de cette intelligence artificielle ?
THE CREATOR : L'IA, ENNEMIE DE L'HOMME ?
En l'espace de trois films, Gareth Edwards nous a quant à lui montré son goût prononcé pour l'apocalypse. Qu'elle soit causée par des créatures (Monsters, Godzilla) ou la toute nouvelle arme de destruction massive de l'Empire intergalactique (Rogue One). Son nouveau long métrage, The Creator, ne fait pas exception, en faisant d'ailleurs écho à son spin-off de Star Wars.
Il y est aussi question d'une conflit armé (entre des humains et des machines) et le fait que la majeure partie du récit se déroule en Asie rappelle davantage le premier opus signé George Lucas, aussi bien dans ses influences que son statut de métaphore de la Guerre du Viêtnam, que Rogue One.
Peut-être parce que ce dernier avait été grandement refait par Tony Gilroy pendant la post-production, laissant à Gareth Edwards un goût d'inachevé alors qu'il s'apprêtait à poser son empreinte sur la saga qui l'a fait rêver étant petit et l'a, indirectement, conduit derrière une caméra. The Creator serait donc sa deuxième tentative de faire son Star Wars.
Et il ne cache rien, à notre micro, de la manière dont l'héritage de George Lucas a infusé dans ce récit futuriste où la Terre a basculé lorsque "l'intelligence artificielle conçue pour notre sûreté a largué une tête nucléaire sur Los Angeles", comme le dit la bande-annonce. Une réplique qui fait basculer le film dans la catégorie de ces histoires où la créature a échappé à son créateur.
Mais cela ne fait que commencer, car la rumeur d'une arme puissante créée par une intelligence artificielle fait planer la menace d'une victoire de l'Orient sur l'Occident, dans le conflit qui les oppose. Et contraint le soldat américain Joshua (John David Washington) à retourner en Asie, où sa femme Maya (Gemma Chan) et l'enfant qu'elle portait ont été tués pendant un assaut alors qu'il était en infiltration.
Jadis hostile aux intelligences artificielles ("ce ne sont que des programmes", disait-il à sa compagne qui les défendait), le héros a quelque peu revu sa position. Et pour cause : il a désormais un bras et une jambe robotiques. Le film glisse alors vers les écrits d'Isaac Asimov (et on pense au personnage joué par Will Smith dans I, Robot, qui était dans la même situation), puis vers Blade Runner.
Car l'arme en question possède l'apparence… d'une enfant (jouée par l'étonnante Madeleine Yuna Voyles). Une machine qui, malgré ses impressionnants pouvoirs, se révèle plus humaine que certains des hommes et femmes qui la traquent. Déjà bien bousculées, nos certitudes le sont encore plus lorsque l'on nous fait comprendre que le vrai méchant de l'histoire n'est pas l'IA, mais ce que l'humanité en fait.
Comme un écho inattendu de la situation actuelle à Hollywood, où les scénaristes viennent d'obtenir gain de cause alors que les acteurs se soulèvent toujours, entre autres, contre l'utilisation que les patrons de studios pourraient faire de cette technologie. "C'est facile de blâmer l'IA, actuellement, pour les problèmes que l'on sent arriver", nous dit Gareth Edwards en interview à ce sujet.
"C'est comme blâmer un ordinateur pour ce que quelqu'un écrit sur internet. Ou un avion pour le 11-Septembre. Il y a toujours quelqu'un qui détourne cette technologie. J'ai moins peur de l'IA que de ce que les gens pourraient faire avec. De la même manière que toute une classe est punie à cause d'un seul élève turbulent, vous ne pouvez pas retenir ces outils incroyables capables d'aider les gens dans le monde, car une seule personne peut faire le Mal avec."
J'ai moins peur de l'IA que de ce que les gens pourraient faire avec
"Nous devons faire attention. Et il y aura des problèmes. Mais je pense souvent à cette image : si je vous dis 'Nous pouvons avoir l'intelligence artificielle, mais elle tuera 40 000 personnes par an aux États-Unis', vous refuseriez. Mais les voitures tuent autant de gens chaque année dans le pays, et nous les conservons car elles ont beaucoup d'avantages. Personne ne veut abandonner la voiture."
"L'IA peut aussi avoir des solides avantages, et je ne sais pas à quel point il faudrait que les choses tournent mal pour que nous voulions l'arrêter. Mais c'est une question intéressante, et je ne sais pas si quelqu'un en connaît la réponse." Comme lui, personne ne parvient à déterminer si l'intelligence artificielle est une amie ou une ennemie.
Mais les inquiétudes d'Hollywood à son sujet sont plus que jamais au cœur des débats et des récits, qui font d'elle un adversaire ou l'arme ultime des méchants. Avec toutefois, et de manière pas aussi évidente que dans The Creator, cette idée que l'humain est la clé de notre avenir, et que la place de l'intelligence artificielle dans notre vie ne dépend que de nous.
Attendu le 25 octobre dans nos salles, The Pod Generation ira dans ce sens en s'aventurant également sur les traces de Bienvenue à Gattaca, avec son histoire de bébé développé dans un module, pour rendre la grossesse plus paritaire. Et on a hâte de voir comment leurs heurts qu'a connu Hollywood cette année se répercuteront sur petit et grand écran.
Propos de Gareth Edwards recueillis par Maximilien Pierrette à Paris le 21 septembre 2023