Dire que Michel Gondry nous avait manqué est un euphémisme. Il y avait bien eu des épisodes de la série Kidding avec Jim Carrey. Des pubs et des clips (pour -M-, les Chemical Brothers ou Julien Clerc), et un court métrage produit par Apple.
Mais cela faisait huit ans que le réalisateur d'Eternal Sunshine of the Spotless Mind était absent des salles de cinéma. Le revoici donc, enfin, avec Le Livre des solutions, film hautement personnel.
Et pour cause : lorsque nous le rencontrons, peu après une première projection couronnée de succès à la Quinzaine des Cinéastes du Festival de Cannes, il précise que l'histoire de ce réalisateur qui se retire chez sa tante, dans les Cévennes, pour tenter de finir un film, est inspiré de l'une de ses expériences les plus douloureuses.
Porté par Pierre Niney en alter ego d'un metteur en scène très critique envers lui-même, le résultat amuse autant qu'il émeut. Grâce à un mélange d'humour et de sincérité, lorsque l'auteur évoque sa propre santé mentale, sans détour. L'un des films incontournables de la rentrée cinéma, qu'il évoque à notre micro.
AlloCiné : Devant "Le Livre des solutions", on pense parfois à "Adaptation" de Spike Jonze, dans lequel le scénariste Charlie Kaufman se mettait en scène face à ses difficultés à écrire un scénario. Votre film part-il du même genre de point de départ, d'un projet que vous n'arriviez pas à lancer ?
Michel Gondry : Non, celui-ci est basé sur une expérience personnelle. Le film [auquel fait référence "Le Livre des solutions"] existait, c'est sa post-production qui a coincé un petit peu. Et le personnage principal fait un peu ce que j'ai moi-même fait pendant cette période, à savoir pas mal de choses extravagantes. C'est ce que raconte ce film. Je n'ai d'ailleurs pas du tout pensé à celui de Spike.
Pierre Niney nous a dit que les scènes les plus improbables du "Livre des solutions" étaient vraiment arrivées : quelle part de vrai y a-t-il dans le récit ?
75%. Si vous prenez, par exemple, la scène du camiontage [un camion transformé en station de montage, ndlr] : le camion était là depuis que je suis né, ou presque, car c'est dans cette maison que j'ai passé toutes mes vacances. Et pendant cette période où nous essayions de terminer le film, j'avais envie de le transformer en salle de montage.
Je ne l'ai pas fait, mais quand on a fait Le Livre des solutions, j'ai trouvé l'occasion de le construire. À l'inverse, des choses que j'ai faites à l'époque ne sont pas dans le film : j'avais fait un groupe disco avec la factrice qui avait 75 ans, et on a fait des concerts dans des soirées moules-frites.
J'avais aussi fait un spectacle de marionnettes pour le village, qu'on a tourné mais pas pu monter pour des histoires de temps. Donc ça s'équilibre. Il y a aussi des choses que j'ai pensées mais pas faites, mais il y a un gros pourcentage de similitudes avec la réalité au final.
Je considère que j'ai une tête à claques, et je crois que Pierre Niney a un peu ça aussi
Est-ce que ce livre des solutions a vraiment existé ?
Les quatre symboles que l'on voit, qui expliquent comment réaliser un projet, existent. Je les ai recopiés avec ce qui était écrit. Pour ce qui est du texte, j'avais des post-it collés partout avec plein d'idées, mais je n'ai pas commencé le livre en tant que tel. Ce qui est un peu le cas dans le film, sauf qu'il le prend là où je l'ai laissé et il le continue.
Ce qui surprend, dans le film, c'est de voir à quel point vous êtes critique vis-à-vis de vous-même. Vous ne vous donnez pas le beau rôle.
Toutes les expériences que j'ai faites, les choses que j'ai fabriquées, étaient assez comiques. Mais quand j'ai commencé à les regrouper en pensant à faire un film, je me suis dit que je ne pouvais pas montrer que ces expériences drôles. Il me fallait mettre le contexte.
C'était difficile pour moi, et encore plus pour les gens qui m'entouraient. C'est ainsi que le film, dans son ensemble, est né.
Qu'est-ce qui vous a conduit vers Pierre Niney pour jouer votre alter ego ?
On avait déjà un rapport, car il m'avait choisi comme parrain pour une soirée pré-César. On était restés en contact - il m'appelait "parrain", je l'appelais "filleul" - et j'ai pensé à lui dix ans plus tard, parce que…
C'est dur à expliquer, mais quand je cherche un acteur qui doit plus ou moins me représenter, il faut que je puisse m'identifier. S'il y a une virilité qui est trop forte, je n'y arrive pas.
C'est par exemple très difficile avec les Américains, car ils portent leur rôle d'homme sur les épaules, leur rôle viril. Pierre n'a pas ça, donc j'ai plus de facilités à m'identifier à lui. Et je considère que j'ai une tête à claques, et je crois qu'il a un peu ça aussi. (il sourit)
Pour vous donner un exemple : j'étais allé voir un concert de la chanteuse Bebel Gilberto au Hollywood Bowl. J'étais avec sept ou huit personnes, et nous sommes tous allés la voir ensuite, dans sa loge. Et, quand nous sommes entrés, elle m'a pointé du doigt en disant "Lui, il ne rentre pas". Pour aucune raison.
Et ce genre de chose m'est arrivé plusieurs fois. Dès qu'il y avait une baston quand j'étais ado, c'est toujours moi qui me prenais ma rouste en premier. Car je pense que j'ai une tête à claques. Et je pense aussi que Pierre a un peu cet aspect, donc il y a un rapprochement qui se faisait. Je ne sais pas s'il apprécierait que je dise qu'il a une tête à claques. (rires)
Ceci étant dit, je me considère comme étant une tête à claques. J'avais un prof qui m'appelait "bâton merdeux", c'est-à-dire un bâton qui a de la merde des deux côtés, et qu'on ne peut pas prendre. (il sourit)
Il est agréable de faire un film plus petit au niveau de la production : on n'a pas le sentiment d'avoir moins de matériel et de temps, mais plus de liberté et de sincérité.
On sent dans vos derniers projets une envie de revenir à des choses plus personnelles. Et c'est ce que semble raconter "Le Livre des solutions", avec la première scène qui évoque votre expérience avec les producteurs et les studios, pour ensuite aller vers quelque chose de plus intimiste.
Oui et non. La fabrication du vrai film dans la vie, oui. Mais le projet dont on parle ici a coûté beaucoup d'argent. C'est pour ça qu'il y a cette pression, avec les producteurs qui veulent venir prendre le film. Le réalisateur se comporte de cette manière dans le cadre d'un projet qui a coûté très cher, donc tout le monde panique. Il y a cette pression qui existe.
Mais, effectivement, Le Livre des solutions est un peu intimiste. Comme Microbe et Gasoil. Là j'ai un projet beaucoup plus cher [un biopic musical consacré à la jeunesse de Pharrell Williams, ndlr], donc je vais un peu de l'un à l'autre.
Mais c'est vrai qu'il est agréable de faire un film plus petit au niveau de la production : on n'a pas le sentiment d'avoir moins de matériel et de temps, mais plus de liberté et de sincérité.
Et cela pousse à être plus créatif, ce qui est aussi le sujet du film.
Oui, complètement. Et ce qu'on raconte dans Le Livre des solutions, ce sont des choses que l'on a faites et qui n'étaient pas chères en soi. Ce qui a coûté cher, c'était le vrai tournage du film, il était assez important.
Le film en question, c'est bien "L'Écume des jours" ?
Oui.
Il y a cette image des personnages assis sur le nuage au début, qui nous met sur la voie.
Ah oui. Je n'ai pas essayé de le reproduire. Je n'ai pas réfléchi longtemps pour trouver des images.
Je me souviens de cette photo du nuage au-dessus des Halles à Paris, ça a longtemps été l'une des seules images du projet.
C'est vrai, mais je ne sais même pas si j'y ai pensé.
Comme quoi il y a vraiment quelque chose d'introspectif, parfois de manière inconsciente, dans ce "Livre des solutions".
Oui, il y a beaucoup de choses qui me sont arrivées. A des périodes différentes aussi. Comme quand Marc rencontre cette jeune fille [Gabrielle, jouée par Camille Rutherford, ndlr], et la manière dont cela se passe avec elle. Ça m'est aussi arrivé.
Propos recueillis par Maximilien Pierrette à Cannes le 21 mai 2023