Ce devait être le plus gros événement de ce 49ème Festival du Cinéma Américain de Deauville : la venue de Natalie Portman sur les planches. Afin d'y recevoir un hommage (également appelé Deauville Talent Award), en marge de la présentation, en avant-première, de May December.
Mais, comme Jude Law, Peter Dinklage et Joseph Gordon-Levitt, la comédienne a annulé son séjour, par solidarité avec les acteurs et scénaristes en grève à Hollywood depuis plusieurs semaines.
Passé par la Compétition du dernier Festival de Cannes, le nouveau long métrage de Todd Haynes sortira dans nos salles le 24 janvier 2024. Natalie Portman y incarne une actrice qui se rapproche de celle qu'elle doit incarner dans un prochain film, et dont la vie sentimentale a enflammé la presse à scandale et passionné le pays vingt ans plus tôt.
Elle fait face à Julianne Moore et Charles Melton dans ce drame tout en nuances et ambiguïté, que l'on peut déjà classer comme l'un de ses meilleurs films. Et tandis que l'hommage lui sera quand même rendu, malgré son absence, retour sur huit rôles marquants de sa carrière.
LEON (1994) : LA RÉVÉLATION
Le film n'a certes pas bien vieilli, Natalie Portman ayant elle-même souligné que la sexualisation de son personnage et sa relation avec celui joué par Jean Reno (qui devait être encore moins ambigüe dans les scènes coupées) donnait au long métrage "des aspects malaisants".
La comédienne garde aujourd'hui des "sentiments compliqués" à l'égard de cet opus tourné alors qu'elle n'avait pas 13 ans et demi. Mais il est difficile de passer à côté lorsque l'on aborde sa carrière, vu comme il a révélé son talent au grand jour.
Comme dans Heat l'année suivante, Natalie Portman y fait preuve d'une maturité impressionnante. A l'heure où bon nombre de jeunes acteurs peinent à passer de l'enfance à l'adolescence, elle se montre capable de s'emparer de rôles plus adultes, riches en émotions fortes. Les termes "surdouée" et "précoce" reviennent régulièrement pour évoquer sa prestation, à juste titre. A voir sur Prime Video et Paramount+
STAR WARS - ÉPISODE I (1999) : LE DÉCOLLAGE
Tim Burton lui a offert son baptême de science-fiction, tout en gardant les pieds sur Terre (Mars Attacks). George Lucas l'emmène dans une galaxie lointaine, très lointaine : celle du film le plus attendu de tous les temps. Jamais un long métrage n'avait fait souffler un vent de folie comme Star Wars - Épisode I au moment de sa sortie.
Et cette bourrasque a emporté son casting (Ewan McGregor, Natalie Portman, Liam Neeson), les emmenant au sommet d'Hollywood avec les mauvais côtés qu'une telle surexposition comporte, lorsque des fans ont exprimé leur déception de manière très véhémente. Avant de réévaluer leur jugement quelques années plus tard.
Dans le rôle de Padmé Amidala, future épouse d'Anakin Skywalker et mère de Luke et Leia, Natalie Portman n'a certes pas toujours beaucoup de choses à jouer, même si elle est mieux servie dans les épisodes II et III sur ce plan.
Malgré les fonds bleus/verts et les effets numériques qui l'entourent, la comédienne est loin d'être ridicule et concentre finalement peu des critiques émises envers la prélogie.
Des longs métrages qu'il est impossible de ne pas évoquer lorsque l'on veut revenir sur sa carrière. Car ils constituent l'un de ses tournants. Et restent, aujourd'hui encore, les plus gros films auxquels elle a participé, en termes d'attentes, d'ampleur et d'impact (positif et négatif) dans la pop culture. Plus que les Thor dans lesquels elle s'illustre ensuite chez Marvel. A voir sur Disney+
GARDEN STATE (2004) : L'ICÔNE INDÉ
Complice d'un tueur à gages, fille du président des États-Unis, compagne du futur plus grand méchant de la galaxie… Si Natalie Portman a souvent joué des personnages hors du commun, Zach Braff lui offre un rôle un peu plus ordinaire : celui de la jeune femme dont son personnage tombe amoureux dans Garden State, son premier film en tant que réalisateur.
Pas de look particulier, pas de super pouvoirs, pas d'histoire extraordinaire… Sam a des allures de "girl next door" dotée de son petit brin de folie, et dont les préoccupations sont celles des jeunes adultes de son âge, qui contemplent un avenir incertain. En plus d'avoir de très bons goûts musicaux et de faire découvrir The Shins au héros (et une bonne partie du public).
Grâce à ce film, devenu culte pour toute une génération, Natalie Portman s'impose comme une icône du cinéma indé américain. Et un cliché : celui de la "manic pixie dream girl", certes officiellement créé quelques années plus tard pour évoquer le personnage de Kirsten Dunst dans Rencontres à Elizabethtown.
Mais Sam de Garden State correspond totalement à cette vision de femme idéale, fantaisiste et délurée, sans personnalité propre, qui sert à faciliter l'évolution psychologique du héros, qui en est bien souvent amoureux.
Zooey Deschanel (dans (500) jours ensemble et la série New Girl) en est une incarnation encore plus prononcée, alors que Scott Pilgrim réussit à s'en détourner avec Ramona Flowers, mais on retrouve cet élément dans beaucoup de longs métrages indépendants américains. Y compris celui-ci, qui n'en reste pas moins énormément attachant.
CLOSER (2005) : L'ADULTE
Le sous-titre français, "Entre adultes consentants", désigne bien cette évolution dans la carrière de Natalie Portman. Si les partitions précédentes étaient un peu plus poussées et complexes que celles réservées aux jeunes acteurs et actrices, elle se met réellement en danger dans ce marivaudage moderne mis en scène par Mike Nichols (Le Lauréat), dans son rôle le plus sexualisé (de son plein gré) jusqu'alors.
Son talent n'était pas à remettre en cause, mais c'est avec Closer que Natalie Portman passe à l'étape supérieure et devient une comédienne dont le nom peut revenir souvent lors des cérémonies de récompense. La scène de son strip-tease face à Jude Law est évidemment restée dans bon nombre de mémoires, mais sa performance va au-delà.
Elle s'empare à bras-le-corps des dialogues ciselés et cinglants de Patrick Marber (qui adapte sa propre pièce de théâtre), casse son image sage, tient tête au reste du casting (Julia Roberts, Jude Law, Clive Owen) et décroche sa première nomination aux Oscars. Mais pas la dernière. A voir sur Ciné+ (jusqu'au 17/09)
V POUR VENDETTA (2006) : LE GESTE FORT
En mai 2005, sur les marches du Festival de Cannes où elle vient présenter Star Wars - Épisode III en avant-première mondiale, Natalie Portman attire l'attention pour des raisons capillaires : c'est avec le crâne rasé qu'elle se tient aux côtés de George Lucas, Hayden Christensen et Ewan McGregor.
Défi perdu ? Envie de marquer le coup pour fêter la fin de sa participation à la saga intergalactique ? La réponse arrive vite : l'actrice a coupé ses cheveux pour les besoins de V pour Vendetta, adaptation très attendue du roman graphique d'Alan Moore et David Lloyd signée James McTeigue, protégé des Wachowski.
Beaucoup ont fait le parallèle avec Sigourney Weaver dans Alien 3, et la comparaison se tient à plus d'un titre. Car le long métrage, histoire d'une révolution en marche dans un Londres devenu totalitaire, lui permet de jouer les héroïnes d'action. Plus encore que dans les Star Wars, qui lui offraient assez peu d'occasions de se défouler sur ce plan, sauf dans le final de l'Épisode II.
Sa performance est brute, physique, émotionnelle. Et l'émancipation de son personnage, Evey Hammond, est aussi la sienne. Une preuve qu'elle est une actrice de défis qui compte bien être là où on ne l'attend pas. Le long métrage n'a certes rapporté "que" 135 millions de dollars au box-office mondial (pour un budget de 54), son aura a depuis grandi hors des salles.
BLACK SWAN (2010) : LA CONSÉCRATION
Plus physique encore que V pour Vendetta. Plus intense psychologiquement. Dire que Natalie Portman a tout donné sur Black Swan est loin d'être exagéré, car elle se livre corps et âme. Et pas seulement pour les besoins des scènes de danse, qui ont nécessité un entraînement drastique (même si sa doublure a depuis laissé entendre qu'on la voyait plus à l'écran qu'on ne le pense).
L'actrice doit aussi incarner la folie dans laquelle plonge son personnage, Nina, étoile sur le déclin prête à tout pour décrocher le rôle principal du "Lac des cygnes" face à une rivale plus jeune. Le milieu de la danse était au moins aussi impitoyable que celui du cinéma, nombreux sont les aspects métatextuels que l'on peut relever ici. A voir sur Disney+
Devant la caméra de Darren Aronofsky, cinéaste de l'obsession et de la perte de repères, entre autres thèmes, Natalie Portman délivre sa performance la plus totale. La plus visible aussi et cela explique aussi pourquoi l'Académie des Oscars, très sensible à ce type de lâcher prise, lui a remis la statuette de la Meilleure Actrice en 2011. Sa première et, à ce jour, dernière.
UNE HISTOIRE D'AMOUR ET DE TÉNÈBRES (2015) : LA RÉALISATRICE
L'intérêt principal de ce film dans sa carrière ne réside pas tant dans le rôle de Natalie Portman devant la caméra. Mais celui qu'elle tient derrière. Après un segment de New York, I Love You et le court métrage Eve avec Lauren Bacall, elle fait le grand saut et signe son premier long métrage. Sans choisir la facilité.
Alors que beaucoup optent pour des films légers à tendance semi-autobiographiques (comme Zach Braff, qui l'a dirigée dans Garden State), elle s'empare d'un roman d'Amos Oz, inspiré de sa propre vie et de son éducation à Jérusalem pendant la création de l'État d'Israël.
L'ambition est là, mais le résultat n'est pas à sa hauteur. La presse anglo-saxone salue sa prise de risque mais déplore une mise en scène un peu scolaire et un point de vue flou. Présenté en Séance Spéciale au Festival de Cannes 2015, Une histoire d'amour et de ténèbres passe inaperçu et sort directement en vidéo et sur Canal+ en France.
Mais ce coup d'essai mérite néanmoins le coup-d'œil, tant il montre chez la jeune réalisatrice des prédispositions qui ne demandent qu'à être confirmées, avec un peu plus d'assurance. Et il constitue une étape clé de sa carrière.
JACKIE (2016) : LE REBOND
Outre son Oscar pour Black Swan, les années 2010 ne sont pas aussi marquantes qu'espérées pour Natalie Portman. Son rôle dans les deux Thor ne resteront pas parmi les sommets de sa carrière (surtout qu'elle a voulu quitter le second film lorsque Patty Jenkins en a été évincée).
Jane Got A Gun est surtout mémorable pour ses coulisses chaotiques, avec une réalisatrice qui ne s'est jamais présentée et un casting qui a changé. Et Planétarium, son premier long métrage sous la direction d'une réalisatrice française (la très talentueuse Rebecca Zlotowski) déçoit. Heureusement, il y a Jackie.
Second biopic d'affilée pour Pablo Larrain, après le très emballant Neruda, le long métrage fait un gros plan sur la veuve de John F. Kennedy. En la suivant pendant les jours consécutifs à l'assassinat du 35ème Président des États-Unis, pour nous révéler ce qui se cachait derrière l'image élégante et sophistiquée qui était la sienne.
Un pur jeu de miroirs où la mise en scène, brillante, décrypte une icône en opposant ses facettes publique et privée, comme le réalisateur le fera quelques années plus tard avec Lady Di dans Spencer.
Dans un rôle beaucoup plus complexe et nuancé qu'on aurait pu le penser, Natalie Portman nous offre l'une de ses meilleures prestations, sans tomber dans la performance.
Comme le film et son héroïne, la comédienne a souvent tenté d'aller au-delà de l'image qui était la sienne, avec plus ou moins de réussite. Mais la nomination aux Oscars reçue pour Jackie ne rend pas assez justice à sa partition phénoménale.